Dernier scandale en date, l’affaire Ségura vient
s’ajouter à une série de dérapages dans les finances sénégalaises qui ne semble pourtant pas rompre l’harmonie entre le pays et ses partenaires techniques
et financiers (PTF).
En octobre dernier, un scandale éclate à Dakar : l’ex-représentant du Fonds monétaire international (FMI) quitte
le Sénégal avec une valise remplie de billets… La somme exacte varie selon les sources entre 90 millions de FCFA (plus exactement 100 000 euros et 50 000 dollars) et 500 millions
de F CFA (soit 762 000 euros) mais l’incident est avéré. Il est surtout reconnu par le FMI et les autorités Sénégalaises.
100 000 euros ! « Bagatelle », vous dira le premier ministre sénégalais, Souleymane Ndéné
Ndiaye, qui interviewé par le journal sénégalais Kotch le 26 octobre déclare « Avec cette somme, qu’est ce que vous pouvez acheter en France ? Vous ne pouvez même pas
vous payer un appartement. Vous pouvez juste vous payer quelques habits, refaire votre équipement, c’est tout ». Soit !
La valise Ségura : petit rappel des
faits
Dans un pays où 48,5% des ménages sont considérés comme pauvres[1], la « bagatelle » a quand même fait du bruit,
largement relayé à l’étranger[2]. Les journalistes ont (tenté[3]) d’enquêter sur le déroulement exact des faits. Le 25 septembre, Alex Segura, dîne à la Présidence de la République
sénégalaise et s’apprête à quitter le Sénégal après 3 ans de bons et loyaux services pour le FMI, quand on lui remet une valise fermée.
Il ne se serait aperçu que plus tard (sur le trajet de l’aéroport, à l’aéroport ou dans l’avion selon les
sources) que la valise était pleine d’argent en cash ! Si la presse sénégalaise annonce dans un premier temps que Segura a été pris la main dans le sac en passant la douane à Paris, le
FMI affirme lui que son
ex-représentant a lui-même contacté le bureau d’éthique du FMI dès le 26 septembre, lequel lui demande alors de rendre l’argent au plus vite. Il remettra ainsi la précieuse mallette à
l’ambassadeur du Sénégal en Espagne.
Plusieurs hypothèses sont formulées pour expliquer l’histoire : Alex Segura aurait dans un premier temps accepté l’argent avant de se raviser (sans qu’on en comprenne vraiment les
raisons). Deuxième hypothèse, il aurait été piégé par les autorités sénégalaises, cherchant à entacher son institution, voire Segura lui-même[4]. Enfin, troisième hypothèse, Segura serait la victime innocente de rivalités au sein de la mouvance présidentielle
cherchant à atteindre le ministre des finances[5].
Il est fort probable que nous ne sachions jamais réellement le pourquoi du comment de cette affaire. Mais
celle-ci révèle deux choses. Premièrement, le FMI n’est pas à l’abri de scandales. Les affaires Wolfowitz et Strauss Kahn nous l’avaient déjà montré. Deuxièmement la « rigueur
budgétaire » prônée par le FMI, pourtant « gendarme du monde »[6], ne semble
pas aussi rigoureuse que cela au Sénégal.
Le bémol sénégalais ….
En octobre 2007, le directeur des opérations du Fonds monétaire international pour le Sénégal, Johannes
Muler, a critiqué les dérapages budgétaires au Sénégal, affirmant qu’ils représentent près de 6% du produit intérieur brut du pays.
En janvier 2008, les résultats provisoires de l’audit de l’Inspection Générale des Finances (
conditionnalité de l’Initiative de soutien à la politique économique, ISPE) révèlent d’importants retards de paiement au secteur privé ( 225 milliards de FCFA soit 3 ¾ % du PIB) et surtout
des dépenses extrabudgétaires – sans crédit budgétaire- d’un montant total de 74 milliards de FCFA ( soit 1 ¼ % du PIB) qui conduisent, sous la pression du FMI, au limogeage du ministre du Budget,
Ibrahima Sarr.
Selon le journal sénégalais, Le Quotidien, « La colère de Dominique Strauss-Kahn et de son représentant local viendrait
surtout, […], de ce qu’ils se rendent compte qu’ils ont été bernés comme de novices, par le gouvernement. En fait, résume de manière lapidaire une personne proche de l’entourage
présidentiel, le programme conclu entre le Fmi et l’Etat était différent de ce qui était voté dans la Loi des finances »[7].
Douze mois et une série de conditionnalités[8] plus tard, le FMI approuve pourtant un accord au titre de la
facilité de protection contre les chocs exogènes (montant 75,6 millions de dollars EU) et confirme la poursuite de l’instrument de Soutien à la Politique Economique. Il faut dire que le
Sénégal est le premier pays d’Afrique francophone a avoir bénéficié de cette Initiative (ISPE) après le succès de l’Initiative PPTE. Difficile donc, pour l’institution de punir un si
« bon élève » !
Et pourtant l’ensemble des observateurs (journalistes, ONG, chercheurs et partenaires techniques et financiers du Sénégal) s’accordent à dire que le Sénégal accumule les fausses notes
depuis l’arrivée de Maître Wade au pouvoir en 2000, avec une augmentation importante de la corruption et une « démocratie en trompe-l’œil »[9] . L’espoir nourri par l’alternance en 2000, après 40 ans de règne PS, a vite été déchu, et les deux premiers
présidents du Sénégal, Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, font aujourd’hui figure de démocrates hors paire en comparaison au président actuel[10].
En terme de corruption, le Sénégal est classé 99e sur
180 pays en 2009 par Transparency international, avec un recul de 14 places par rapport à 2008. Les scandales financiers qui entachent le pouvoir sont de plus en plus nombreux, avec en tête
la gestion plus que douteuse, des fonds de l’Agence nationale pour l’organisation de la conférence islamique (ANOCI) par le propre fils du président, Karim Wade. Violations du Code des
Marchés Publics, dépenses non prévues (plus du double des sommes annoncées), absence de transparence des comptes : la gestion de la structure mise en pace par le président Abdoulaye
Wade pour piloter l’organisation de la conférence islamique qui s’est tenue à Dakar en mai 2008 a été largement dénoncée par le journaliste Abdou Latif Coulibaly[11] en 2009 et par l’Autorité nationale de régulation des marchés publics dans son rapport 2008.
D’un point de vue institutionnel, la situation n’est guère plus reluisante. La Constitution est régulièrement révisée au bon gré du président sans consultation ni validation des chambres
parlementaires : déjà 10
révisions constitutionnelles d’une constitution pourtant adoptée en 2001 par
référendum, et des mesures pour le moins contradictoires : suppression du Sénat et du Conseil Economique et social en 2000, tous les deux recréés
en 2007, passage du septennat au quinquennat pour revenir au septennat en 2008…
Sur le plan politique, les principaux partis d’opposition ayant boycotté les élections législatives, il
n’y a quasiment plus d’opposition à l’Assemblée nationale depuis 2007 (131 sièges sur 150 reviennent à la Coalition SOPI 2007) .
Aujourd’hui, le fils du président Karim Wade prend une place de plus en plus importante dans les
institutions sénégalaises : ce dernier a fait son entrée sur la scène politique sénégalaise en 2002 en tant que conseiller personnel du président de la République, chargé de la mise en
œuvre de grands projets. Karim Wade crée alors son propre mouvement (et peut être futur parti) la Génération du Concret, présenté comme mouvement de soutien au Parti Démocratique Sénégalais
et à Abdoulaye Wade. En 2004, il est nommé Président de l’ANOCI. Malgré sa défaite aux élections municipales de Dakar en mars 2009, Karim Wade est nommé ministre d’État, de la Coopération
internationale, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures en mai 2009.
Autant de pratiques qui sont largement dénoncées ailleurs par les Institutions financières
internationales. Mais paradoxalement, dans le grand concert international de la « bonne gouvernance », les fausses notes sénégalaises semblent en partie ignorées.
… mis en sourdine !
Au contraire, le Sénégal continue d’avoir la cote, en témoigne le nombre de partenaires techniques et
financiers présents sur son territoire[12] et les flux d’aide reçus par le pays, qui ont augmentés par
rapport à la décennie précédente.
Et malgré les dérapages, l’appui budgétaire[13] y est à la mode.
APD allouée au
Sénégal par l’ensemble des bailleurs[14]
(En millions de dollars US courant)
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Source : Base QWIDS OCDE[15]
Depuis son élection en 2000, le président Wade adopte un discours officiel critique à l’égard des
Institutions financières internationales. S’il n’est pas suivi d’effets depuis 10 ans, ce discours concourt pourtant à influencer le rapport de force du pays avec ses PTF. Dans les
coulisses des négociations, les PTF admettent que le Sénégal sait jouer sur la multiplicité des bailleurs, en leur rappelant que « ce que vous ne financez pas, d’autres le
financeront ». A l’échelle mondiale, le nombre de donateurs par pays a d’ailleurs triplé en vingt ans entrainant une certaine concurrence des bailleurs[16].
La « menace » des nouveaux bailleurs est cependant à relativiser. Ils ne représentent qu’une faible part de l’aide allouée au Sénégal. Par exemple l’aide des pays arabes
représente seulement 1,13% de la totalité de l’APD allouée entre 2000 et 2008 alors qu’elle représentait 7,11% sur la décennie 1980-1989. Après 9 ans d’interruption, la reprise de la
coopération chinoise en 2005 avec un programme de coopération de plus de 100 milliards de
FCFE pourrait
changer la donne, mais la France (32,9%[17]), la Banque mondiale (IDA, 12,19%) et la Commission Européenne (10,21 %) restent les plus gros bailleurs historiques
du pays.
Le Sénégal bénéficie à cet égard d’un background qui le rend « attractif » : intérêt géostratégique, tradition de stabilité politique, ressources humaines compétentes,
infrastructures relativement développées… Il est d’ailleurs le seul autre pays d’Afrique avec la Zambie à faire partie des 15 premiers pays africains les plus aidés en volume (montant
total de l’aide allouée au pays) ET en volume par habitant (montant de l’aide/ population) depuis 1960[18].
Pris dans des logiques bureaucratiques internes et
face à l’impératif d’ « être présent » [19], les PTF du Sénégal, et notamment les partenaires occidentaux qui ont pourtant mis la bonne gouvernance comme
préalable à leur aide, préfèrent se concentrer sur la mélodie du pays de la Teranga[20], qui tire ainsi son épingle du jeu ; Au point que l’on
pourrait se demander si une fausse note « Karim Wade, nouveau président du Sénégal » pourrait arrêter le concert ?
Véronique SAMBE est doctorante en science politique
à l’Université Paris 1. Ses travaux portent sur les « experts du développement » au Sénégal.
vjampy@yahoo.fr
[1] http://www.dsrp-senegal.org/analyse.htm#insuffisances[2] Rien qu’en France :*Le Monde : ici*Libération : ici*L’Express : ici*Jeune Afrique : ici*CADTM : ici[3] Comme on pouvait s’y attendre les versions de l’Etat sénégalais et du FMI
diffèrent sans qu’on ne puisse vraiment démêler le vrai du faux ![4]
Durant ses trois ans de mandat, Segura a, à plusieurs reprises, dénoncé certaines « opacités administratives » du Sénégal et
médiatisés ses interventions.[5] « A travers lui, suggère un initié, c’est le ministre des Finances, Abdoulaye Diop, que les proches de Karim Wade fils du chef de l’Etat et
prétendant à sa succession - cherchent à atteindre.” (source)
[6] Roland Seroussi,
GATT, FMI et Banque mondiale : les nouveaux gendarmes du monde, Dunod, 1994
[7] Mohamed GUEYE
« Le ministre du budget poussé à la démission : Un gouffre de 450 milliards dans le trésor », Le Quotidien, 8 août 2008
[8] Ajuster régulièrement
les tarifs d’électricité/ rétablir les taxes sur les aliments, y compris le riz/ Eliminer la subvention au gaz butane à partir du milieu de 2009 et plafonner la subvention d’ici là/
Eliminer la taxe protectionniste sur l’huile végétale/ Elargir le programme d’alimentation scolaire/ Vendre des actifs de l’etat ( p.ex. licence de téléphonie cellulaire, hôtel Méridien
préseident)/ Reforme des dépenses publiques (source)
[9] Assane Thiam,
« « une constitution ça se révise ! », Relativisme constitutionnel et état de droit au Sénégal », Politique Africaine, N° 108, Décembre 2007, p 145. Cf aussi le
numéro de Politique africaine, « Sénégal 2000-2004, l’alternance et ses contradictions », décembre 2004
[10] Après 15 ans de
régime présidentiel fort, Léopold Sédar Senghor instaure en 1976 un multipartisme limité, fait rare en Afrique à cette époque. Les acquis démocratiques seront renforcés par Abdou Diouf, qui
arrive au pouvoir en 1980. Celui-ci est battu au deuxième tour face à l’opposant de longue date Abdoulaye Wade, et quitte le pouvoir en 2000, permettant ainsi au Sénégal de connaître sa
première alternance politique.
[11] : Abdou Latif
Coulibaly, « Contes et mécomptes de l’Anoci », Paris, l’Harmattan, 2009. Le livre a été publié simultanément à Paris et à Dakar et a été particulièrement bien distribué dans les
rues dakaroises.
[12] Selon l’OCDE le
Sénégal se caractérise par un fort nombre de donneurs, 26 au total, mais aussi par une
fragmentation aigue de son aide. Rapport CAD 2009
[13] Aide
financières versées aux Trésors des pays bénéficiaires qui l’exécutent selon ses propres procédures
[14] Ensemble des
bailleurs multilatéraux et bilatéraux répertoriés par l’OCDE. Certains partenaires, comme la chine, n’y figurent pas.
[15] Les données de
2009 n’étant pas encore disponibles, le montant de l’aide pris en compte pour cette année est une moyenne des montants de l’aide versés sur les neuf années précédentes.
[16] source
[17] de l’aide allouée
au pays depuis 1960
[18] De grands et
moyens pays comme l’Egypte, la Tanzanie, l’Ethiopie, la Mozambique, le Nigeria, la RDC ou encore le Soudan ont reçu plus d’aide en volume que le Sénégal, mais arrivent derrière le Sénégal
en terme de volume par habitant.
[19] Comme le décrit
Béatrice Hibou pour la Tunisie. Cf Hibou B., la Force de l’obéissance, Economie politique de la répression en Tunisie, Paris, La Découverte, 2006.
[20] L’hospitalité
sénégalaise.
Cet article a été posté le Vendredi, février 19th, 2010 à 10:02 dans la catégorie Sénégal, Non classé. Vous pouvez envoyer un commentaire en utilisant le formulaire ci-dessous.