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28 mai 2013 2 28 /05 /mai /2013 20:28

Médias - le 27 Mai 2013

Souscription pour l'Humanité

Olivier Barbarant

Un monde brutal et écervelé a besoin d’Humanité


Rappelant que les écrivains du groupe dit de l’Abbaye (Vildrac, Duhamel, Jules Romains, Pierre-Jean Jouve…) finiront tous par écrire dans l’Humanité, René Ballet, dans sa présentation d’un livre déjà ancien (Grandes Plumes dans l’Humanité, Messidor, 1990), se demandait pourquoi : « Quel est leur point commun ? Sans doute la recherche de formes inédites pour rendre compte de réalités nouvelles. Sauver la culture en l’actualisant. »

Sauver la culture en l’actualisant… Programme admirable, dont le journal d’aujourd’hui ne paraît pas démériter, et qui ne se limite pas aux pages dites culturelles. L’Humanité fournit une mise en perspective de l’actualité, tant sociale, économique, politique, qu’artistique. Dans un univers précipité, qui n’offre guère le temps de la réflexion, où ce qu’on appelle « information » demeure le plus souvent un tas de brèves informes et tronquées, de faits privées de sens, l’Humanité prend le temps de l’analyse, de la remontée vers les causes.

Déclaration de principe, répondra-t-on ? Prenons quelques exemples avec l’édition de ce jour, vendredi 24 mai, et de l’Humanité Dimanche. Essentiel dans une société d’amnésie, l’anniversaire du 25 mai 1913 (p. 22) permet de rafraîchir ses connaissances. On se souvient bien des images – le lyrisme de Jaurès, la main levée, la barbe au vent – et des pages d’Aragon sur le discours du Pré-Saint-Gervais… Mais le contexte ? L’importance aujourd’hui ? Il est rare qu’un journal aide à réviser, sans didactisme, ses cours d’histoire et, surtout, d’histoire du mouvement ouvrier.

Par le bruit de fond des radios, les notules des gratuits qui traînent dans les trains, que l’on feuillette négligemment, j’avais appris qu’il y avait une grève dans le métro lillois. Il m’a fallu la page 11 de l’HD pour en connaître les motifs et la conclusion, le brouhaha médiatique se contentant de la traditionnelle « gêne pour les usagers ». Même chose pour le conflit social en Bolivie (p. 23), ou pour les prélèvements d’ADN que l’on prétend imposer à des syndicalistes (p. 6). Ailleurs, les luttes sociales sont traitées avec une superficialité unanime, incontestablement orientée. Pour ces pages aussi, comme pour les débats et les éclairages politiques, l’Humanité est irremplaçable.

La diversité de la presse reste un leurre si des titres, nombreux, en se copiant les uns les autres, répercutent la même antienne en cultivant de vagues nuances pour donner l’impression de divergences. La réticence qu’on m’objecte quelquefois en me voyant lire un journal dit d’opinion prêterait à sourire : on sait qu’un journal de « référence », c’est un journal qui n’avoue pas son opinion, laquelle se trouve refléter la pensée dominante. Non, je ne lis pas l’Humanité pour me conforter dans des certitudes. Si je n’approuve pas tous les articles, le journal toujours me donne à penser.

Pour entendre cet air différent, encore faut-il y accéder. Pigeon voyageur, je ne suis pas abonné à l’Humanité, qui m’attendrait autrement à l’une des mes adresses. Au kiosque du métro Bonne-Nouvelle, où je le prends la moitié du temps, l’Humanité est disponible, mais derrière le vendeur, non sur les présentoirs extérieurs où trônent d’autres titres. Dans les gares, le nombre d’exemplaires est si réduit qu’il faut passer le premier pour être sûr d’avoir le sien. Dans les hôtels, il est rare de le trouver entre les régionaux et la presse dite économique. Le wagon-bar des TGV, d’après mon expérience, ignore son existence, quand il est aisé de s’y alimenter en magazines arborant inlassablement en une le palmarès des hôpitaux ou le prix de l’immobilier… Il existe ainsi une forme nouvelle de censure par évaporation dans les canaux de distribution. De ce point de vue, l’Humanité connaît désormais le sort de la poésie, du cinéma exigeant, de tout ce qui n’a pas abdiqué l’ambition d’éclairer les hommes. Rappeler aux marchands qu’ils ratent des ventes, faute de commandes suffisantes, est devenu un jeu et une forme de micromilitantisme quotidien.

Un monde brutal et écervelé a besoin du journal fondé par Jean Jaurès, et du programme même de son titre : besoin d’humanité. Un monde sans l’Humanité, ce serait le triomphe de ce que mon ami Jean-Baptiste Para, l’autre jour, désignait à juste titre comme « un totalitarisme à l’état gazeux ».

Olivier Barbarant

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