Des enfants troublants et
troublés.
Le 16
Octobre dernier le lab. De Saint-Malo organisait une journée d'étude sur le thème "comment apprennent les enfants troublants et troublés ?" En voici quelques échos …
"Trouver la clef, là est le secret" Myriam
Perrin
« Trouver la clé, là est le secret » fut en filigrane ce qui
orienta cette riche Journée d’études du CIEN intitulée « Comment apprennent les enfants troublés/troublants ? » organisée le 16 Octobre 2010 à
Saint-Malo par le laboratoire CIEN
« En trois actes ». La responsable du lab. Isabelle Fauvel,
psychologue, membre de l’ ACF , et Michel Forget, co-responsable directeur adjoint de l’Institut Médico Educatif la Passagère, ont su avec rigueur et talent, et il convient de les en remercier,
faire preuve de leur souci constant de transmission des travaux inter-disciplinaires du lab. quant à l’autisme. Les participations décidées et de
Mme Jacquemin, maire-adjointe de Saint-Malo, et d’Isabelle Guinic,
présidente de TUBA , association de parents d’autistes, à cette journée furent un signe majeur de l’efficace du travail du CIEN dans ses échanges de
réflexions avec des partenaires de la cité.
« Trouver la clé, là est le secret » adage aux signifiants choisis,
car cette journée nous aura appris que, ce qui pourrait n’apparaître qu’une formule vide, se révèlera un véritable positionnement clinique, prenant acte de la spécificité du sujet autiste, de sa
façon singulière d’être au monde, entre modes de défenses contre l’angoisse et constructions pour se dynamiser et pour apprendre. La précieuse présence de Claudine Valette- Damase,
vice-présidente du CIEN, membre de l’ECF , dont les commentaires appuyés sur son riche parcours professionnel auprès de sujets aux problématiques
diverses et variées auront permis d’ouvrir les conversations et questions éthiques et cliniques bien au-delà de l’autisme. La participation de Jean-Claude Maleval, professeur de Psychopathologie
à l’Université, membre de l’ ECF et du lab. CIEN de St Malo a
permis de préciser les enjeux de la journée. Car en effet, l'enjeu
éthique pour chaque professionnel, parent, politique, etc., consiste à opérer un choix. Chacun est mis en demeure de se positionner face aux considérations contradictoires de l’être humain, sa
diversité, et ses façons singulières d’être au monde. Soit
les ressources dont le sujet fait preuve sont considérées, et
l’acte clinique est de les soutenir car l’effort inventif du sujet est de trouver son mode d’inscription dans le lien social, soit elles ne sont pas prises en considération, bien au contraire,
elles sont entravées, voire supprimées et c’est la norme qui gouverne : « rééduquer », « réinsérer » venant là comme maîtres mots.
C’est bien autre chose qu’un apprentissage à la soumission que la
matinée clinique de cette journée nous a transmis. Ainsi, les interventions cliniques des membres du laboratoire CIEN de Saint-Malo, portées par leur axe de recherche « Comment apprennent les enfants ?» nous auront enseignés d’une part que cette question est à laisser ouverte
car, comme le précise I.Fauvel, « cette recherche s’articule à partir d’un espace vide laissant la place à la logique du particulier. D’autre part, ces témoignages inter-disciplinaires, où la
part de chacun s’y révèlera, nous auront offert de repérer que la ‘‘boussole’’ de ces « subtiles praticiens » s’est avérée être le surgissement de l’angoisse Il en va de la responsabilité de
chacun d’avoir une attention particulière aux manifestations et d’y entendre une défense de l’enfant devant ce qui le menace.
Au temps des outils et méthodes prêts à porter, ces praticiennes,
professeurs des écoles spécialisées, auxiliaire de vie scolaire et psychomotricienne n’ont pas « refusé les outils, mais les ont adaptés, commente C.Valette-Damase, les ont humanisés pour
l’enfant », sans psychologisation des cas, mais ayant choisies de
parler à partir de leur fonction, chacune y mettant son désir, et
témoignant de sa position clinique qui les porte à investir la trouvaille de l’enfant, en se dégageant d’un face à face : « Vous produisez un écart, poursuit C.Valette-Damase, vous vous laissez
surprendre, vous consentez à ne plus être en face à face mais à côté ».
« Apprendre » donc des enfants autistes « sa clé », accueillir sa
trouvaille et s’y régler, tout en opérant un « doux forçage » ; en effet, pour ne prendre qu’un seul exemple parmi toutes ces précieuses expériences cliniques, Pascale Valentini, institutrice,
témoigne comment dans sa classe, à partir du constat d’un soulagement de l’angoisse par la trouvaille d’un sujet autiste, l’écriture du mot « pâte » sur tout le menu semainier jusqu’à lors
insupportable, elle se servira des diverses sortes de pâtes (macaroni, spaghetti, etc.) afin de décliner des règles de grammaire ou encore, l’enfant témoignant de ses connaissances quant à
la
composition des chaînes télévisuelles de la boule « Canal sat. »,
elle s’en servira pour décliner les conjugaisons.
« Apprendre », c’est aussi le signifiant que Madame Jacquemin,
maire-adjointe à la ville de Saint- Malo, lors de son ouverture de la journée, mis en exergue afin de faire part de son choix de rester toute la journée « en position d’apprendre ». L’engagement
de Mme Jacquemin sur la question de l’autisme est depuis des années une bataille politique, soldée, précise-t-elle, par de nombreuses difficultés, « un échec » ou plutôt le constat d’un
impossible dans sa tentative de mettre en place une conversation entre professionnels et parents d’autistes. La journée CIEN nous aura appris que cette possible conversation entre parents et professionnels fut le fruit d’un long travail du lab. de St-Malo. Accueillir la parole,
entendre la souffrance certes, mais encore faut-il s’orienter à partir du discours du psychanalyste (et non du maître) afin d’obtenir un effet de sujet et des écarts possibles. La conversation
proposée lors de cette journée entre I.Guinic, représentant de l’association parentale TUBA ayant créé un accueil temporaire de week-end pour autistes, et, un professionnel, Michel Forget, membre
du lab. et directeur adjoint du DAT (service d’accueil temporaire
Selon l’expression que CValette-Damase, vice-présidente du CIEN, a
emprunté à C. Lacaze-Paule au dernier Colloque du CIEN à Nancy, institutionnel de l’Ime La Passagère), a été animée par I.Fauvel. I.Guinic y témoigna de la nécessité de prendre en compte
l’angoisse des parents, de ce qu'il y a de vital pour eux à obtenir des relais et à avoir la possibilité de retrouver des loisirs. Il est important « d’avoir perçu la dangerosité d’un face à
face, commente I.Fauvel. Pour être mère, il s’agit aussi de s’accorder la possibilité d’être une femme. Il n’est pas tant question d’une « démarche égoïste » comme I.Guinic le disait au début des
conversations CIEN , mais une demande légitime d' un ‘‘répit’’. Michel Forget, par une fine analyse de son
expérience professionnelle, nous enseignera qu’il n’est pas si aisé pour un parent de faire justement « cette demande de répit », car si l’offre du DAT a été justement créé sur cette légitimité du droit au répit, pour pouvoir la formuler, « il s’agit d’abord de
prendre conscience de l’insupportable ». Ce n’est donc pas parce qu’il y a le droit que le sujet peut s’approprier ce droit au répit. Le témoignage de l’association parentale nous transmet que ce
n’est que par la conversation avec d’autres parents, et avec plusieurs, qu’un désir se crée, et surtout, pour qu’un désir crée du nouveau. Ainsi, là où la loi a créé un droit au répit pour les
parents, Tuba a créé un droit au répit pour les enfants. « Quand les parents s’autorisent et pensent à eux, commente M.Forget, un espace
s’ouvre pour les enfants autistes ». L’enjeu aujourd’hui de l’association parentale est de maintenir ouverte la question de la prise en charge « comment garder la fraîcheur, poursuit I.Guinic,
comment se laisser surprendre et continuer à se laisser surprendre ?» La mise en place récente de réunions cliniques est un acte, ouvrant aujourd’hui pour les professionnels de Tuba une nouvelle réflexion : « comment construire à Tuba
un quotidien paisible ? » conclut I.Fauvel. « Apprendre ne suffit
pas » fut déjà une première interprétation et c’est ce qu’apporta l’intervention de J-C.Maleval comme écart, comme décalage à la question princeps posée. En effet, par sa
conceptualisation lacanienne de la spécificité du fonctionnement
subjectif de l’autiste, J-C.Maleval a pu transmettre lors de cette journée d’études CIEN
, la nécessité de la prise en compte des obsessions autistiques,
des stéréotypies, de l’immuabilité, des objets autistiques, non comme des parasites mais bien comme « des modes de défenses appropriés face à l’angoisse ». De même, la prise en considération des
capacités créatrices de l’autiste, de la recherche de ses sujets de « greffe symbolique » et « de règles absolues », ne sauraient être que plus assurées par le soutien d’un partenaire éclairé, «
un double rassurant, poursuit JC. Maleval, un double évidé », véritable « structure de soutien » à la condition « d’une énonciation discrète ». Pour conclure, faisons part du préambule qui
ponctua le coeur de cette journée des plus enseignantes : un hommage, d’abord aux parents d’enfants autistes, par la voix d’une mère, Anne Idoux-Thivet, choisie pour ce qu’elle nous enseigne,
pour que sa présence soit supportée par son fils Matthieu, « pour que quelque chose de cette présence fusionnelle » écrit-elle – d’appui sur un double dirons-nous enseignée par Rosine et Robert
Lefort – puisse permettre à ce jeune autiste une ouverture au monde. Il aura fallu à cette femme, institutrice de formation, à cette mère, consentir à « la clé » singulière ouvrant sur le monde
de Matthieu, car « chaque petit autiste est différent des autres petits malades. Ils sont différents dans la différence et c’est à chaque parent, écrit-elle – de trouver à leur dire quelque chose
précisons-nous – de trouver le ‘‘sésame magique’’ poursuit Anne Idoux-Thivet, qui doit lui permettre de déverrouiller la lourde porte derrière laquelle son enfant se retranche ». « Trouver la
clé, là est le secret », c’est d’ailleurs ainsi que dans les premières pages de son livre Ecouter l’autisme , elle témoigne de son
expérience face à l’autisme.
Un hommage également aux sujets autistes par la voix de Donna
Williams et ses autobiographies, pour ce qu’elle nous apprend sur la prégnance et la primauté du double dans la construction d’une dynamique autistique, mais aussi dans son lien à l’école et son
souhait d’apprendre. Pour rendre cet hommage, deux comédiennes de la Troupe ‘‘La jeune Compagnie’’ A.Verlingue (également infirmière en service de consultations adolescentes hospitalières) et
N.Ibagne (également enseignante spécialisée en EREA) ; leurs lectures et interprétations de morceaux choisis de ces ouvrages, sous le titre « Reflets troublants », eut cet effet de mettre en
avant de la scène la voix – tant en défaut chez le sujet autiste – de rendre vivantes ces paroles de sujet, des paroles énonciatives, de les rendre vivantes, elles justement si désincarnées chez
l’autiste. L’émotion fut palpable.