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9 janvier 2012 1 09 /01 /janvier /2012 18:34
LES DIX STRATEGIES DE MANIPULATION DES MASSES
Transmis par Jean-François Dirringer

mardi 3 janvier 2012 par Noam Chomsky

 

1/ La stratégie de la distraction

Élément primordial du contrôle social, la stratégie de la diversion consiste à détourner l’attention du public des problèmes importants et des mutations décidées par les élites politiques et économiques, grâce à un déluge continuel de distractions et d’informations insignifiantes. La stratégie de la diversion est également indispensable pour empêcher le public de s’intéresser aux connaissances essentielles, dans les domaines de la science, de l’économie, de la psychologie, de la neurobiologie, et de la cybernétique. « Garder l’attention du public distraite, loin des véritables problèmes sociaux, captivée par des sujets sans importance réelle. Garder le public occupé, occupé, occupé, sans aucun temps pour penser ; de retour à la ferme avec les autres animaux. » Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

 

2/ Créer des problèmes, puis offrir des solutions

Cette méthode est aussi appelée « problème-réaction-solution ». On crée d’abord un problème, une « situation » prévue pour susciter une certaine réaction du public, afin que celui-ci soit lui-même demandeur des mesures qu’on souhaite lui faire accepter. Par exemple : laisser se développer la violence urbaine, ou organiser des attentats sanglants, afin que le public soit demandeur de lois sécuritaires au détriment de la liberté. Ou encore : créer une crise économique pour faire accepter comme un mal nécessaire le recul des droits sociaux et le démantèlement des services publics.

 

3/ La stratégie de la dégradation

Pour faire accepter une mesure inacceptable, il suffit de l’appliquer progressivement, en « dégradé », sur une durée de 10 ans. C’est de cette façon que des conditions socio-économiques radicalement nouvelles (néolibéralisme) ont été imposées durant les années 1980 à 1990. Chômage massif, précarité, flexibilité, délocalisations, salaires n’assurant plus un revenu décent, autant de changements qui auraient provoqué une révolution s’ils avaient été appliqués brutalement.

 

4/ La stratégie du différé

Une autre façon de faire accepter une décision impopulaire est de la présenter comme « douloureuse mais nécessaire », en obtenant l’accord du public dans le présent pour une application dans le futur. Il est toujours plus facile d’accepter un sacrifice futur qu’un sacrifice immédiat. D’abord parce que l’effort n’est pas à fournir tout de suite. Ensuite parce que le public a toujours tendance à espérer naïvement que « tout ira mieux demain » et que le sacrifice demandé pourra être évité. Enfin, cela laisse du temps au public pour s’habituer à l’idée du changement et l’accepter avec résignation lorsque le moment sera venu.

 

5/ S’adresser au public comme à des enfants en bas-âge

La plupart des publicités destinées au grand-public utilisent un discours, des arguments, des personnages, et un ton particulièrement infantilisants, souvent proche du débilitant, comme si le spectateur était un enfant en bas-âge ou un handicapé mental. Plus on cherchera à tromper le spectateur, plus on adoptera un ton infantilisant. Pourquoi ? « Si on s’adresse à une personne comme si elle était âgée de 12 ans, alors, en raison de la suggestibilité, elle aura, avec une certaine probabilité, une réponse ou une réaction aussi dénuée de sens critique que celle d’une personne de 12 ans ». Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

 

6/ Faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion

Faire appel à l’émotionnel est une technique classique pour court-circuiter l’analyse rationnelle, et donc le sens critique des individus. De plus, l’utilisation du registre émotionnel permet d’ouvrir la porte d’accès à l’inconscient pour y implanter des idées, des désirs, des peurs, des pulsions, ou des comportements…

 

7/ Maintenir le public dans l’ignorance et la bêtise

Faire en sorte que le public soit incapable de comprendre les technologies et les méthodes utilisées pour son contrôle et son esclavage. « La qualité de l’éducation donnée aux classes inférieures doit être la plus pauvre, de telle sorte que le fossé de l’ignorance qui isole les classes inférieures des classes supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes inférieures. Extrait de « Armes silencieuses pour guerres tranquilles »

 

8/ Encourager le public à se complaire dans la médiocrité

Encourager le public à trouver « cool » le fait d’être bête, vulgaire, et inculte…

 

9/ Remplacer la révolte par la culpabilité

Faire croire à l’individu qu’il est seul responsable de son malheur, à cause de l’insuffisance de son intelligence, de ses capacités, ou de ses efforts. Ainsi, au lieu de se révolter contre le système économique, l’individu s’auto-dévalue et culpabilise, ce qui engendre un état dépressif dont l’un des effets est l’inhibition de l’action. Et sans action, pas de révolution !…

 

10/ Connaître les individus mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes

Au cours des 50 dernières années, les progrès fulgurants de la science ont creusé un fossé croissant entre les connaissances du public et celles détenues et utilisées par les élites dirigeantes. Grâce à la biologie, la neurobiologie, et la psychologie appliquée, le « système » est parvenu à une connaissance avancée de l’être humain, à la fois physiquement et psychologiquement. Le système en est arrivé à mieux connaître l’individu moyen que celui-ci ne se connaît lui-même. Cela signifie que dans la majorité des cas, le système détient un plus grand contrôle et un plus grand pouvoir sur les individus que les individus eux-mêmes.


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8 janvier 2012 7 08 /01 /janvier /2012 20:28

Nouvelles d’Orient Les blogs du Diplo

Les préjugés "ordinaires" d’un écrivain israélien


A. B. Yehoshua est incontestablement un grand écrivain israélien. Mais, bien qu’ayant soutenu et la guerre contre le Liban en 2006 et l’invasion de Gaza il y a trois ans, il prétend appartenir au « camp de la paix ». De la paix des cimetières, faudrait-il préciser. Car sa pensée est fondamentalement coloniale, ne concevant l’Autre, le Palestinien, que comme profondément différent.

 

Dans une libre opinion publiée par le quotidien Haaretz le 2 janvier et intitulée « An unwelcome intro to the binational state », il veut répondre à Avraham Burg, l’ancien président du parlement israélien, et sans doute l’une des plus courageuses personnalités du pays. Celui-ci écrivait, dans « Now it’s your turn » (Haaretz, 23 décembre), qu’il n’existerait demain qu’un seul Etat entre la Méditerranée et le Jourdain et que celui-ci serait aussi peu démocratique qu’Israël aujourd’hui.

 

« Même si, parmi nous, beaucoup croient qu’il est possible d’empêcher la création d’un tel Etat par des mesures politiques énergiques, il faut pourtant s’y préparer, à la fois intellectuellement et émotionnellement, tout comme nous nous préparons à d’autres situations d’urgence. L’objectif de cette préparation est de garantir qu’un Etat binational ne sapera pas la structure démocratique d’Israël, et ne détruira pas complètement l’identité collective juive-israélienne qui a pris forme au cours des dernières décennies.

L’avènement d’un Etat binational ne serait pas seulement dû aux agissements d’Israël, mais serait également le résultat de la coopération silencieuse des Palestiniens, tant à l’intérieur d’Israël qu’au-delà de ses frontières. Même les membres pragmatiques du Hamas veulent entraîner Israël, comme une première étape, vers une telle éventualité.

(...) « Pour le peuple palestinien, un Etat binational dans l’intégralité du grand Israël est une meilleure option que le morceau de Palestine haché et découpé qui pourrait être arraché des griffes d’Israël après beaucoup de peine et de sang ».

« Grâce à la puissante économie d’Israël et ses liens étroits avec l’Occident, un Etat binational, même à moitié démocratique, pourrait promettre aux Palestiniens une vie meilleure et plus sûre, et (surtout) un territoire plus vaste que celui qui pourrait être obtenu après des dizaines d’années de campagne menée avec l’objectif d’obtenir toute la Palestine.

(…) Cette vision d’un Etat binational explique peut-être l’obstination de l’Organisation de libération de la Palestine, à la fois au sommet de Camp David en 2000 et pendant les négociations entre l’Autorité palestinienne et le gouvernement Olmert. Elle pourrait aussi avoir influencé la position de l’Autorité palestinienne au cours des derniers contacts avec le gouvernement israélien actuel, une position destinée à empêcher l’émergence d’une véritable solution. »

Ah bon ? On sait que selon la propagande israélienne, au sommet de Camp David de 2000 entre Ehud Barak et Yasser Arafat, le premier ministre israélien avait présenté une offre généreuse que les Palestiniens auraient rejeté. Pourtant, les mémoires de la plupart des protagonistes — y compris américains — publiées depuis confirment qu’il n’en a rien été. Que Barak n’a jamais proposé de rendre même 95 % des territoires occupés. Qu’il avait décidé, avant même le sommet, de faire porter la responsabilité d’un échec prévisible sur Yasser Arafat. C’est Barak qui a inventé l’idée qu’il n’y avait pas de partenaire palestinien pour la paix (lire « Le “véritable visage” de M. Ehoud Barak », Le Monde diplomatique, juillet 2002). Yehoshua peut-il ignorer tous ces témoignages ? Peut-il ignorer la responsabilité de Barak, qualifié à juste titre par Uri Avnery de « criminel de paix » ?

 

Quant aux négociations entre Mahmoud Abbas et Ehud Olmert, on nage aussi en pleine propagande israélienne. Je renvoie Yehoshua au journal, très instructif, d’un des négociateurs palestiniens, Ziyad Clot : Il n’y aura pas d’Etat palestinien, Max Milo, 2010.

A moins que l’intransigeance de la direction palestinienne corresponde, pour Yehoshua, au fait de ne pas accepter que les 22 % de la Palestine historique qu’elle réclame soient encore amputés, que l’Etat palestinien n’ait aucune souveraineté, ni sur son espace aérien ni sur ses frontières, bref, que ce soit un simple bantoustan.

 

Mais le meilleur est à venir. L’écrivain affirme que cette volonté des Palestiniens d’avoir un Etat binational « explique aussi la passivité sinon incompréhensible des Palestiniens quant à l’organisation de protestations civiles et non violentes contre les colonies. Peut-être cela explique-t-il qu’ils restent dans leur lit quand des voyous brûlent leurs mosquées ».

 

Mépris ? Impudence ? Ignorance ? L’écrivain ne connaît-il pas l’histoire de la première Intifada (non violente) ou celle de la seconde, souvent armée ? Ont-elles réussi à stopper la colonisation ? Quant à parler de Palestiniens qui dorment pendant que des voyous brûlent leurs mosquées, c’est oublier que les colons bénéficient de la protection de l’armée, qu’ils sont souvent armés et n’hésitent pas à tuer – pendant que Yehoshua écrit ses chroniques dans Haaretz...

 

Et l’auteur de conclure que, si l’on veut éviter cet Etat binational, il faudra « persuader les Palestiniens de se mobiliser » pour cette solution à deux Etats. Le problème du colonisateur est de toujours rejeter sur le colonisé la faute : celle d’être arriéré, celle de ne pas se mobiliser selon les normes qu’il fixe, celle de dormir dans son lit

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5 janvier 2012 4 05 /01 /janvier /2012 19:14
Albert Camus, ou l’inconscient colonial

Après L’Age des extrêmes, d’Eric Hobsbawm, le Monde diplomatique publie — cette fois avec Fayard — Culture et impérialisme, d’Edward W. Said. Dans ce livre, également inédit en français, le grand intellectuel américano-palestinien démontre comment l’œuvre majeure de grands écrivains occidentaux n’échappe pas à la mentalité coloniale de leur temps. Exemple : Albert Camus.

 

par Edward W. Said, novembre 2000
 

Albert Camus est le seul auteur de l’Algérie française qui peut, avec quelque justification, être considéré comme d’envergure mondiale. Comme Jane Austen (1) un siècle plus tôt, c’est un romancier dont les oeuvres ont laissé échapper les réalités impériales qui s’offraient si clairement à son attention. (...)

 

Camus joue un rôle particulièrement important dans les sinistres sursauts colonialistes qui accompagnent l’enfantement douloureux de la décolonisation française du XXe siècle. C’est une figure impérialiste très tardive : non seulement il a survécu à l’apogée de l’empire, mais il survit comme auteur « universaliste », qui plonge ses racines dans un colonialisme à présent oublié. (...)

 

Le parallèle frappant entre Camus et George Orwell (2), c’est qu’ils sont tous deux devenus dans leur culture respective des figures exemplaires dont l’importance découle de la puissance de leur contexte indigène immédiat qu’ils paraissent transcender. C’est dit à la perfection dans un jugement sur Camus qui survient presque à la fin de l’habile démystification du personnage à laquelle se livre Conor Cruise O’Brien, dans un livre qui ressemble beaucoup à l’étude de Raymond Williams sur Orwell (et paru dans la même collection, les « Modern Masters » (3).

O’Brien écrit :

« Il est probable qu’aucun auteur européen de son temps n’a si profondément marqué l’imaginaire et aussi la conscience morale et politique de sa propre génération et de la suivante. Il était intensément européen parce qu’il appartenait à la frontière de l’Europe et était conscient d’une menace. La menace lui faisait aussi les yeux doux. Il a refusé, mais non sans lutte. Aucun autre écrivain, pas même Conrad, n’est plus représentatif de l’attention et de la conscience occidentale à l’égard du monde non occidental. Le drame interne de son oeuvre est le développement de cette relation, sous la montée de la pression et de l’angoisse. »

(...)

 

De plus, Joseph Conrad et Camus ne sont pas les représentants d’une réalité aussi impondérable que la « conscience occidentale », mais bien de la domination occidentale sur le monde non européen. Conrad exprime cette abstraction avec une force qui ne trompe pas, dans son essai Geography and Some Explorers  (4). Il y célèbre 1’exploration de l’Arctique par les Britanniques puis conclut sur un exemple de sa propre « géographie militante » : « J’ai posé le doigt au beau milieu de la tache, alors toute blanche, qu’était l’Afrique, et j’ai déclaré : "Un jour j’irai là-bas." » Il y est allé, bien sûr, et il reprend le geste dans Au coeur des ténèbres.

 

Le colonialisme occidental, qu’O’Brien et Conrad se donnent tant de mal pour décrire, est, premièrement, une pénétration hors des frontières européennes et dans une autre entité géographique. Deuxièmement, il ne renvoie nullement à une « conscience occidentale » anhistorique « à l’égard du monde non occidental » : l’écrasante majorité des indigènes africains et indiens ne rapportaient pas leurs malheurs à la « conscience occidentale », mais à des pratiques coloniales très précises comme l’esclavage, l’expropriation, la violence des armes. C’est une relation laborieusement construite où la France et la Grande-Bretagne s’autoproclamaient l’« Occident » face aux peuples inférieurs et soumis du « non-Occident », pour l’essentiel inerte et sous-développé. (...)

O’Brien use aussi d’un autre moyen pour tirer Camus de l’embarras où il l’a mis : il souligne que son expérience personnelle est privilégiée. Tactique propre à nous inspirer pour lui quelque sympathie, car, si regrettable qu’ait été le comportement collectif des colons français en Algérie, il n’y a aucune raison d’en accabler Camus. L’éducation entièrement française qu’il a reçue là-bas - bien décrite dans la biographie de Herbert Lottman (5) - ne l’a pas empêché de rédiger, avant-guerre, un célèbre rapport sur les malheurs locaux, dus pour la plupart au colonialisme français. Voici donc un homme moral dans un contexte immoral. Et le centre d’intérêt de Camus, c’est l’individu dans un cadre social : c’est aussi vrai de L’Etranger que de La Peste et de La Chute. Ses valeurs, ce sont la conscience de soi, la maturité sans illusion, la fermeté morale quand tout va mal. Mais, sur le plan méthodologique, trois opérations s’imposent.

 

La première, c’est d’interroger et de déconstruire le cadre géographique que retient Camus pour L’Etranger (1942), La Peste (1947) et son recueil de nouvelles (du plus haut intérêt) L’Exil et le Royaume (1957). Pourquoi l’Algérie, alors qu’on a toujours considéré que les deux premières oeuvres citées renvoyaient surtout à la France, et plus particulièrement à son occupation par les nazis ?

 

Allant plus loin que la plupart des critiques, O’Brien observe que le choix n’est pas innocent : bien des éléments de ces récits (par exemple le procès de Meursault [dans L’Etranger]) constituent une justification furtive ou inconsciente de la domination française, ou une tentative idéologique de l’enjoliver. Mais chercher à établir une continuité entre l’auteur Camus, pris individuellement, et le colonialisme français en Algérie, c’est d’abord nous demander si ses textes sont liés à des récits français antérieurs ouvertement impérialistes. (...)

 

La seconde opération méthodologique porte sur le type de données nécessaires à cet élargissement de perspective, et sur une question voisine : qui interprète ?

Un critique européen intéressé par l’histoire dira probablement que Camus représente l’impuissance tragique de la conscience française face à la crise de l’Europe, à l’approche d’une de ses grandes fractures. Si Camus semble avoir considéré qu’on pouvait maintenir et développer les populations de colons au-delà de 1960 (l’année de sa mort), il avait tout simplement tort historiquement puisque les Français ont abandonné l’Algérie et toute revendication sur elle deux ans plus tard seulement.

 

Lorsque son oeuvre évoque en clair l’Algérie contemporaine, Camus s’intéresse en général aux relations franco-algériennes telles qu’elles sont, et non aux vicissitudes historiques spectaculaires qui constituent leur destin dans la durée. Sauf exception, il ignore ou néglige l’histoire, ce qu’un Algérien, ressentant la présence française comme un abus de pouvoir quotidien, n’aurait pas fait. Pour un Algérien, 1962 représentera probablement la fin d’une longue et malheureuse époque inaugurée par l’arrivée des Français en 1830, et l’ouverture triomphale d’une ère nouvelle. Interpréter du même point de vue les romans de Camus, ce serait voir en eux, non des textes qui nous informent sur les états d’âme de l’auteur, mais des éléments de l’histoire de l’effort français pour rendre et garder l’Algérie française.

 

Il faut donc comparer les assertions et présupposés de Camus sur l’histoire algérienne avec les histoires écrites par des Algériens après l’indépendance, afin d’appréhender pleinement la controverse entre le nationalisme algérien et le colonialisme français. Et il serait juste de rattacher son oeuvre à deux phénomènes historiques : l’aventure coloniale française (puisqu’il la postule immuable) et la lutte acharnée contre l’indépendance de l’Algérie. Cette perspective algérienne pourrait bien « débloquer » ce que l’oeuvre de Camus dissimule, nie ou tient implicitement pour évident.

 

Enfin, étant donné l’extrême densité des textes de Camus, l’attention au détail, la patience, l’insistance sont méthodologiquement cruciales. Les lecteurs associent d’emblée ses romans aux romans français sur la France, non seulement en raison de leur langue et des formes qu’ils semblent hériter d’aussi illustres prédécesseurs qu’Adolphe et Trois contes  (6), mais aussi parce que leur cadre algérien paraît fortuit, sans rapport avec les graves problèmes moraux qu’ils posent. Près d’un demi-siècle après leur publication, ils sont lus comme des paraboles de la condition humaine.

 

C’est vrai, Meursault tue un Arabe, mais cet Arabe n’est pas nommé et paraît sans histoire, et bien sûr sans père ni mère. Certes, ce sont aussi des Arabes qui meurent de la peste à Oran, mais ils ne sont pas nommés non plus, tandis que Rieux et Tarrou sont mis en avant. Et l’on doit lire les textes pour la richesse de ce qui s’y trouve, non pour ce qui en a été éventuellement exclu. Mais justement. Je voudrais souligner qu’on trouve dans les romans de Camus ce qu’on en croyait autrefois évacué : des allusions à cette conquête impériale spécifiquement française, commencée en 1830, poursuivie de son vivant, et qui se projette dans la composition de ses textes.

 

Cette entreprise n’est pas inspirée par la vengeance. Je n’entends pas reprocher rétrospectivement à Camus d’avoir caché dans ses romans certaines choses sur l’Algérie qu’il s’efforce longuement d’expliquer, par exemple, dans les divers textes des Chroniques algériennes. Mon objectif est d’examiner son oeuvre littéraire en tant qu’élément de la géographie politique de l’Algérie méthodiquement construite par la France sur plusieurs générations. Cela pour mieux y voir un reflet saisissant du conflit politique et théorique dont l’enjeu est de représenter, d’habiter et de posséder ce territoire - au moment précis où les Britanniques quittaient l’Inde. L’écriture de Camus est animée par une sensibilité coloniale extraordinairement tardive et en fait sans force, qui refait le geste impérial en usant d’un genre, le roman réaliste, dont la grande période en Europe est depuis longtemps passée. (...)

 

Souvenons-nous. La révolution algérienne a été officiellement annoncée et déclenchée le 1er novembre 1954. Le massacre de Sétif, grande tuerie de civils algériens par des soldats français, est de mai 1945. Et les années précédentes, celles où Camus écrivait L’Etranger, ont été riches en événements ponctuant la longue et sanglante histoire de la résistance algérienne. Même si, selon tous ses biographes, Camus a grandi en Algérie en jeune Français, il a toujours été environné des signes de la lutte franco-algérienne. Il semble en général les avoir esquivés, ou, dans les dernières années, traduits ouvertement dans la langue, l’imagerie et la vision géographique d’une volonté française singulière de disputer l’Algérie à ses habitants indigènes musulmans. En 1957, François Mitterrand déclarait sans ambages, dans son livre Présence française et abandon  (7) : « Sans Afrique, il n’y aura pas d’histoire de France au XXe siècle. »

 

Pour situer Camus en contrepoint sur l’essentiel (et non sur une petite partie) de son histoire réelle, il faut connaître ses vrais prédécesseurs français, ainsi que l’oeuvre des romanciers, historiens, sociologues et politologues algériens d’après l’indépendance. Aujourd’hui, une tradition eurocentrique parfaitement déchiffrable et persistante refoule toujours dans l’interprétation ce qui, sur l’Algérie, était refoulé par Camus (et Mitterrand), et refoulé par les personnages de ses romans. Quand, dans les dernières années de sa vie, Camus s’oppose publiquement, et même violemment, à la revendication nationaliste d’indépendance algérienne, il le fait dans le droit-fil de la représentation qu’il a donnée de l’Algérie depuis le début de sa carrière littéraire, même si ses propos font alors tristement écho à la rhétorique officielle anglo-française de Suez.

 

Ses commentaires sur le « colonel Nasser », sur l’impérialisme arabe et musulman, nous sont familiers, mais le seul énoncé politique, d’une intransigeance totale, qu’il consacre à l’Algérie dans ce texte apparaît comme un résumé sans nuance de tout ce qu’il a écrit antérieurement : « En ce qui concerne l’Algérie, l’indépendance nationale est une formule purement passionnelle. Il n’y a jamais eu encore de nation algérienne. Les juifs, les Turcs, les Grecs, les Italiens, les Berbères auraient autant de droit à réclamer la direction de cette nation virtuelle. Actuellement, les Arabes ne forment pas à eux seuls toute l’Algérie. L’importance et l’ancienneté du peuplement français en particulier suffisent à créer un problème qui ne peut se comparer à rien dans l’histoire. Les Français d’Algérie sont eux aussi et au sens fort du terme des indigènes. Il faut ajouter qu’une Algérie purement arabe ne pourrait accéder à l’indépendance économique sans laquelle l’indépendance politique n’est qu’un leurre. (...) »

 

Le paradoxe est que partout où, dans ses romans et descrip- tions, Camus en parle, la présence française en Algérie est rendue soit comme un thème narratif extérieur, une essence échappant au temps et à l’interprétation, soit comme la seule histoire qui mérite d’être racontée en tant qu’histoire. Quelle différence d’attitude et de ton dans le livre de Pierre Bourdieu, Sociologie de l’Algérie  (8), publié, comme L’Exil et Le Royaume, en 1958 : ses analyses réfutent les formules à l’emporte-pièce de Camus et présentent franchement la guerre coloniale comme l’effet d’un conflit entre deux sociétés. C’est cet entêtement de Camus qui explique l’absence totale de densité et de famille de l’Arabe tué par Meursault ; et voilà pourquoi la dévastation d’Oran est implicitement destinée à exprimer non les morts arabes (qui, après tout, sont celles qui comptent démographiquement), mais la conscience française. (...)

 

On dispose d’une excellente recension des nombreux postulats sur les colonies françaises que partagent les lecteurs et critiques de Camus. Une étude remarquable de Manuela Semidei sur les livres scolaires français, de la première guerre mondiale au lendemain de la seconde (9), note que ces manuels comparent favorablement l’administration coloniale de la France à celle de la Grande-Bretagne : ils laissent entendre que les possessions françaises sont gouvernées sans les préjugés et le racisme des Britanniques. Dans les années 30, ce thème est inlassablement répété.

Quand il est fait allusion à l’usage de la violence en Algérie, par exemple, la formulation donne à croire que les forces françaises ont été obligées de prendre des mesures déplaisantes pour répondre à des agressions de la part des indigènes « poussés par leur ardeur religieuse et par l’attrait du pillage ». L’Algérie est toutefois devenue « une nouvelle France », prospère, dotée d’excellentes écoles, d’hôpitaux, de routes. Même après l’indépendance, l’image de l’histoire coloniale de la France reste essentiellement constructive : on pense qu’elle a posé les bases de liens « fraternels » avec les anciennes colonies.

Mais ce n’est pas parce qu’un seul point de vue paraît pertinent à un public français, ou parce que la dynamique complète de l’implantation coloniale et de la résistance indigène flétrit regrettablement le séduisant humanisme d’une grande tradition européenne, qu’il faut suivre ce courant d’interprétation et accepter les constructions et images idéologiques.

J’irai jusqu’à dire que, si les plus célèbres romans de Camus intègrent, récapitulent sans compromis et, à bien des égards, supposent un discours français massif sur l’Algérie qui appartient au langage des attitudes et références géographiques impériales de la France, cela rend son oeuvre plus intéressante, et non le contraire. La sobriété de son style, les angoissants dilemmes moraux qu’il met à nu, les destins personnels poignants de ses personnages, qu’il traite avec tant de finesse et d’ironie contrôlée - tout cela se nourrit de l’histoire de la domination française en Algérie et la ressuscite, avec une précision soigneuse et une absence remarquable de remords ou de compassion.

 

Une fois de plus, la relation entre géographie et lutte politique doit être réanimée à l’endroit précis où, dans les romans, Camus la recouvre d’une superstructure qui, écrit élogieusement Sartre, nous plonge dans le « climat de l’absurde ». Tant L’Etranger que La Peste portent sur des morts d’Arabes, des morts qui mettent en lumière et alimentent silencieusement les problèmes de conscience et les réflexions des personnages français.

 

Municipalités, système judiciaire, hôpitaux, restaurants, clubs, lieux de loisirs, écoles - toute la structure de la société civile, présentée avec tant de vie, est française, bien qu’elle administre surtout une population non française. L’homologie de ce qu’écrivent à ce sujet Camus et les livres scolaires est frappante. Ses romans et nouvelles racontent les effets d’une victoire remportée sur une population musulmane, pacifiée et décimée, dont les droits à la terre ont été durement restreints. Camus confirme donc et raffermit la priorité française, il ne condamne pas la guerre pour la souveraineté livrée aux musulmans algériens depuis plus d’un siècle, il ne s’en désolidarise pas.

 

Au centre de l’affrontement, il y a la lutte armée, dont les premiers grands protagonistes sont le maréchal Théodore Bugeaud et l’émir Abd El-Kader. Le premier est un militaire intraitable qui, dans sa sévérité patriarcale envers les indigènes, commence en 1836 par un effort pour les discipliner et finit une dizaine d’années plus tard par une politique de génocide et d’expropriation massive. Le second est un mystique soufi et guérillero infatigable, qui ne cesse de regrouper, reformer, remobiliser ses troupes contre un envahisseur plus fort et plus moderne.

 

Quand on lit les documents de l’époque - les lettres, proclamations et dépêches de Bugeaud (réunies et publiées à peu près au même moment que L’Etranger), ou une édition des poèmes soufis d’Abd ElKader (...), ou encore la remarquable reconstruction de la psychologie de la conquête par Mostafa Lacheraf, dirigeant du Front de libération nationale (FLN) et professeur à l’université d’Alger après l’indépendance, à partir des journaux et lettres français des années 1830 et 1840 (10) -, on perçoit la dynamique qui rend inévitable l’amoindrissement de la présence arabe chez Camus.

 

Le coeur de la politique militaire française telle que l’avaient mise au point Bugeaud et ses officiers, c’était la razzia, le raid punitif sur les villages, maisons, récoltes, femmes et enfants des Algériens. « Il faut empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer », avait ordonné Bugeaud. Lacheraf donne un échantillon de l’état d’ivresse poétique que ne cessent d’exprimer les officiers français à l’oeuvre : enfin ils avaient l’occasion de faire la « guerre à outrance », sans morale, sans nécessité. Le général Changarnier décrit l’agréable distraction qu’il octroie à ses soldats en les laissant razzier de paisibles villages ; ce type d’activité est enseigné par les Ecritures, dit-il, Josué et d’autres grands chefs dirigeaient « de bien terribles razzias » et étaient bénis par Dieu. La ruine, la destruction totale, l’implacable brutalité sont admises non seulement parce qu’elles sont légitimées par Dieu, mais aussi parce que - formule inlassablement répétée de Bugeaud à Salan - « les Arabes ne comprennent que la force brutale ».

Certains, comme Tocqueville, qui par ailleurs critiquait sévèrement la politique américaine à l’égard des Noirs et des Indiens, estimaient que le progrès de la civilisation européenne nécessitait de faire subir des cruautés aux musulmans. Dans la pensée de Tocqueville, « conquête totale » devient synonyme de « grandeur française ». L’islam, c’est « la polygamie, la séquestration des femmes, l’absence de toute vie publique, un gouvernement tyrannique et ombrageux qui force de cacher sa vie et rejette toutes les affections du coeur du côté de l’intérieur de la famille ». Et, croyant que les indigènes sont des nomades, il estime que « tous les moyens de désoler les tribus doivent être employés. Je n’excepte que ceux que l’humanité et le droit des nations réprouvent (11) ». (...)

Les romans et nouvelles de Camus distillent très précisément les traditions, langages et stratégies discursives de l’appropriation française de l’Algérie. Ils donnent son expression ultime et la plus raffinée à cette « structure de sentiments » massive. Mais, pour discerner celle-ci, il nous faut considérer l’oeuvre de Camus comme une transfiguration métropolitaine du dilemme colonial : c’est le colon écrivant pour un public français, dont l’histoire personnelle est irrévocablement liée à ce département français du Sud ; dans tout autre cadre, ce qui se passe est inintelligible.

Mais les cérémonies de noces avec le territoire - célébrées par Meursault à Alger, par Tarrou et Rieux enfermés dans les murs d’Oran, par Janine une nuit de veille au Sahara - incitent paradoxalement le lecteur à s’interroger sur la nécessité de ces réaffirmations. Quand la violence du passé français est ainsi rappelée par inadvertance, ces cérémonies deviennent, en raccourci extrêmement condensé, des commémorations de la survie d’une communauté sans perspective qui n’a nulle part où aller.

L’impasse de Meursault est plus radicale que celle des autres. Car, même si nous supposons que ce tribunal qui sonne faux continue d’exister (curieux endroit pour juger un Français meurtrier d’un Arabe, note à juste titre Conor Cruise O’Brien), Meursault lui-même comprend que tout est fini ; c’est enfin le soulagement - dans la bravade : « J’avais eu raison, j’avais encore raison, j’avais toujours raison. J’avais vécu de telle façon et j’aurais pu vivre de telle autre. J’avais fait ceci et je n’avais pas fait cela. Je n’avais pas fait telle chose alors que j’avais fait cette autre. Et après ? C’était comme si j’avais attendu pendant tout le temps cette minute et cette petite aube où je serais justifié. »

Plus de choix ici, plus d’alternative. La voie de la compassion est barrée. Le colon incarne à la fois l’effort humain très réel auquel sa communauté a contribué et le refus paralysant de renoncer à un système structurellement injuste. La conscience de soi suicidaire de Meursault, sa force, sa conflictualité ne pouvaient venir que de cette histoire et de cette communauté-là. A la fin, il s’accepte tel qu’il est - et il comprend aussi pourquoi sa mère, enfermée dans un asile de vieillards, a décidé de se remarier. « Elle avait joué à recommencer (...) si près de la mort, maman devait s’y sentir libérée et prête à tout revivre. » Nous avons fait ici ce que nous avons fait, donc refaisons-le. Cette obstination froide et tragique se mue en faculté humaine de se reproduire sans faiblir. Pour les lecteurs de Camus, L’Etranger exprime l’universalité d’une humanité existentiellement libre, qui oppose un insolent stoïcisme à l’indifférence du cosmos et à la cruauté des hommes.

 

Resituer L’Etranger dans le noeud géographique où prend naissance sa trajectoire narrative, c’est voir en ce roman une forme épurée de l’expérience historique. Tout comme l’oeuvre et le statut d’Orwell en Angleterre, le style dépouillé de Camus et sa sobre description des situations sociales dissimulent des contradictions d’une complexité redoutable, et qui deviennent insolubles si, comme tant de ses critiques, on fait de sa fidélité à l’Algérie française une parabole de la condition humaine. Tel est encore le fondement de sa renommée sociale et littéraire.

 

Pourtant, il n’a cessé d’exister une autre voie, plus difficile et stimulante : juger, puis refuser la mainmise territoriale et la souveraineté politique de la France, qui interdisaient de porter sur le nationalisme algérien un regard compréhensif. Dans ces conditions, il est clair que les limites de Camus étaient paralysantes, inacceptables. Comparés à la littérature de décolonisation de l’époque, française ou arabe - Germaine Tillion, Kateb Yacine, Frantz Fanon, Jean Genet -, ses récits ont une vitalité négative, où la tragique densité humaine de l’entre prise coloniale accomplit sa dernière grande clarification avant de sombrer. En émane un sentiment de gâchis et de tristesse que nous n’avons pas encore entièrement compris. Et dont nous ne sommes pas tout à fait remis.

Edward W. Said

Décédé en septembre 2003, Edward W. Said était professeur de littérature comparée à l’université Columbia (Etats-Unis), auteur notamment de Culture et impérialisme, Fayard-Le Monde diplomatique, Paris, 2000. Il a publié son autobiographie, A contre-voie, au Serpent à plumes (Paris) en 2002.
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4 janvier 2012 3 04 /01 /janvier /2012 19:20
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Les conditions de vie des migrants en Europe
le 2 janvier 2012
  

35 % des immigrés qui sont nés à l’extérieur de l’Union européenne sont menacés de pauvreté ou d’exclusion sociale en Europe [1] contre 20 % des personnes qui vivent là où elles sont nées, selon un rapport d’Eurostat sur les conditions de vie des migrants en Europe (données pour l’année 2008, lire en ligne le rapport, en anglais, un résumé en français est disponible ici). Le taux de risque de pauvreté des immigrés nés dans un autre pays d’Europe est de 21 %.

 

C’est en Belgique que les écarts de risque de pauvreté sont les plus importants : 51 % des immigrés sont concernés, contre 13 % pour ceux qui sont nés en Belgique. L’écart est également important en Finlande (43 % contre 13 %), en Suède (37 % contre 10 %) ou encore en France (40 % contre 10 %). Ces disparités sont inférieures à la moyenne européenne en Allemagne (33 % contre 19 %) ou au Portugal (28 % contre 22 %).

 

Ces écarts s’expliquent en partie par les disparités dans l’accès à l’emploi. En Europe, 10 % des immigrés sont au chômage et 34 % sont en situation de surqualification [2]. Pour les personnes vivant dans le pays où elles sont nées, le taux de chômage s’élève à 6 % et le taux de surqualification à 19 %. Ces données datent de 2008 : il est probable que la crise économique et la hausse consécutive du chômage aient accentué ces écarts.

CR

[1] Les personnes menacées de pauvreté sont celles qui vivent dans un ménage dont le niveau de revenu est inférieur à 60 % du revenu médian national, qui sont confrontées à un manque de ressources ou qui sont en situation de sous-emploi. Ces données concernent la tranche d’âge de 25 à 54 ans.

[2] Ce sont les travailleurs qui ont un niveau d’éducation élevé mais qui occupent des emplois peu ou moyennement qualifiés.



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4 janvier 2012 3 04 /01 /janvier /2012 19:16

 

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le 27 décembre 2011
Près d’un quart des actifs non-ressortissants de l’Union européenne sont au chômage contre 9,1 % de l’ensemble de la population active et 8,6 % des Français.




Le chômage frappe beaucoup plus les étrangers que les Français : 17,8 % sont sans emploi, contre 8,6 % des Français. Le taux atteint 23,5 % pour les actifs non-ressortissants de l’Union européenne. Une partie de cet écart tient au niveau de diplôme : les étrangers sont moins qualifiés en moyenne que les Français (et les diplômes de certains d’entre eux ne sont pas reconnus) et au fait qu’une partie importante des emplois, notamment dans la fonction publique, leur sont interdits (lire notre article). Mais les étrangers subissent aussi des discriminations.

Taux de chômage selon la nationalité et le sexe
Unité : %
  Homme
Femme
Ensemble
Français 8,3 8,9 8,6
Etrangers 17,9 17,5 17,8
- dont Union européenne N.S N.S 9,0
- dont non UE 23,3 23,8 23,5
 
Ensemble 8,9 9,4 9,1
UE : Union Européenne à 27 pays
Source : Insee - Enquête emploi en continu. Année des données : 2009, France métropolitaine, population des ménages, personnes de 15 ans ou plus

Le chômage touche tout particulièrement les jeunes de moins de 29 ans en France (17,4 %) et davantage les jeunes étrangers pour qui ce taux grimpe à 24,3 %. Les écarts entre les Français et les étrangers se retrouvent dans toutes les tranches d’âge.

Taux de chômage selon la nationalité et l'âge
Unité : %
  Français
Etrangers
Ensemble
15 à 29 ans 17,1 24,3 17,4
30 à 49 ans 6,5 18,1 7,2
50 ans et plus 5,7 13,0 6,1
Ensemble 8,6 17,8 9,1
UE : union Européenne à 27 pays
Source : Insee - Enquête emploi en continu. Année des données : 2009, France métroplitaine, population des ménages, personnes de 15 ans et plus

Le secteur d’emploi entre aussi en considération. Une partie des étrangers (c’est le cas de ceux qui sont originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne), ont été plus fortement touchés par la crise des grandes industries françaises (l’automobile et la sidérurgie notamment), alors que d’autres (Italiens, Espagnols et Portugais par exemple) étaient plus souvent employés dans des secteurs qui ont moins perdu d’emplois, et où le réseau familial joue davantage pour trouver du travail, le bâtiment par exemple. C’est ce qui explique pour partie les écarts de taux de chômage selon la nationalité, avec le fait qu’un grand nombre d’emplois sont interdits aux nationalités hors Union européenne.

Taux de chômage selon la nationalité détaillée
Données pour les 30-39 ans
Unité : %
  Taux de chômage
en %
Ensemble des étrangers 23,7
Union européenne 10,9
Espagnols 15,1
Italiens 13,8
Portugais 10,1
Algériens 37,3
Marocains 35,4
Tunisiens 35,8
Autres nationalités de l’Afrique(*) 36,8
Turcs 31,6
Vietnamiens, Laotiens et Cambodgiens 26,4
Autres 23,3
(*) Anciennes colonies françaises
Source : Insee - Recensement de la population. Année des données : 1999

Chez les jeunes

Entre les jeunes dont les parents sont nés en France et ceux dont au moins un des deux parents est né à l’étranger, les différences de taux de chômage après trois ou cinq années de vie active, pour ceux qui sont entrés sur le marché du travail en 1998, sont considérables. Le taux de chômage des jeunes dont au moins un des parents est né en Turquie atteint même 26 % (en 2003).

Taux de chômage des jeunes issus de l'immigration entrés dans la vie active en 1998
Unité : %
  Un des parents né en Europe du Sud
Un des parents né au Maghreb
Un des parents né en Afrique subsaharienne
Un des parents né en Asie du Sud-Est
Un des parents né en Turquie
Les deux parents sont nés en France
Taux de chômage au bout de 3 ans de vie active 11,8 20,1 21* 14,3* 19,6* 10,2
Taux de chômage au bout de 5 ans de vie active 12,6 21,1 19,4* 12,9 26,1* 10,4
* chiffres donnés à titre indicatif. Ils ne sont pas pleinement fiables compte tenu du faible effectif des catégories correspondantes.
Source : Céreq - Enquêtes Génération 1998

A diplôme équivalent, en l’occurrence pour cette étude du Céreq, un CAP ou un BEP, les jeunes d’origine maghrébine ont entre 1,3 et 1,6 fois plus de risques que ceux d’origine française de se retrouver au chômage. Ce risque est d’autant plus fort que le temps passé sur le marché du travail est bref, et a augmenté pour ceux qui sont entrés dans la vie active en 1998 par rapport à 1992.

Les jeunes d'origine maghrébine face au risque de chômage
Probabilité pour les titulaires d'un CAP ou d'un BEP d'être au chômage par rapport à un Français de même niveau de diplôme
  Entrés dans la vie active en 1992 et 3 ans passés sur le marché du travail
Entrés dans la vie active en 1992 et 5 ans passés sur le marché du travail
Entrés dans la vie active en 1998 et 3 ans passés sur le marché du travail
Entrés dans la vie active en 1998 et 5 ans passés sur le marché du travail
D'origine maghrébine 1,6 1,3 1,6 1,5
D'origine française (référence) 1 1 1 1
Source : Céreq - Enquêtes Génération 92 et Génération 98



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2 janvier 2012 1 02 /01 /janvier /2012 21:05

Jean Ziegler : « Les spéculateurs devraient être jugés pour crime contre l’humanité »

 

Par Elodie Bécu (19 décembre 2011)http://www.bastamag.net/article1995.html > Les ressources de la planète peuvent nourrir 12 milliards d’humains, mais la spéculation et la mainmise des multinationales sur les matières premières créent une pénurie. Conséquence : chaque être humain qui meurt de faim est assassiné, affirme Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation. Il dénonce cette « destruction massive » par les marchés financiers. Des mécanismes construits par l’homme, et que l’homme peut renverser. Entretien.>

Basta ! : Craignez-vous que la crise financière amplifie celle de la faim dans le monde ?> Jean Ziegler : Tous les cinq secondes, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim. Près d’un milliard d’humains sur les 7 milliards que compte la planète souffrent de sous-alimentation. La pyramide des martyrs augmente. À cette faim structurelle, s’ajoute un phénomène conjoncturel : les brusques famines provoquées par une catastrophe climatique – comme en Afrique orientale, où 12 millions de personnes sont au bord de la destruction – ou par la guerre comme au Darfour. En raison de la crise financière, les ressources du Programme alimentaire mondial (PAM), chargé de l’aide d’urgence, ont diminué de moitié, passant de 6 milliards de dollars à 2,8 milliards. Les pays industrialisés ne paient plus leurs cotisations car il faut sauver la Grèce, l’Italie et les banques françaises. Une coupe budgétaire qui a un impact direct sur les plus démunis. Dans la corne de l’Afrique, le PAM est contraint de refuser l’entrée de ses centres de nutrition thérapeutique à des centaines de familles affamées qui retournent dans la savane vers une mort presque certaine.> > Et les financiers continuent de spéculer sur les marchés alimentaires. Les prix des trois aliments de base, maïs, blé et riz – qui couvrent 75 % de la consommation mondiale – ont littéralement explosé. La hausse des prix étrangle les 1,7 milliard d’humains extrêmement pauvres vivant dans les bidonvilles de la planète, qui doivent assurer le minimum vital avec moins de 1,25 dollar par jour. Les spéculateurs boursiers qui ont ruiné les économies occidentales par appât du gain et avidité folle devraient être traduits devant un tribunal de Nuremberg pour crime contre l’humanité.>

 

 Les ressources de la planète suffisent à nourrir l’humanité. La malnutrition est-elle seulement une question de répartition ?> Le rapport annuel de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) estime que l’agriculture mondiale pourrait aujourd’hui nourrir normalement 12 milliards d’humains [1], presque le double de l’humanité. Au seuil de ce nouveau millénaire, il n’y a plus aucune fatalité, aucun manque objectif. La planète croule sous la richesse. Un enfant qui meurt de faim est assassiné. Il n’est pas la victime d’une « loi de la nature » !>

 

 Au-delà de la spéculation, quelles sont les autres causes de la faim dans le monde ?> Tous les mécanismes qui tuent sont faits de main d’homme. La fabrication d’agrocarburants brûle des millions de tonnes de maïs aux États-Unis. L’océan vert de la canne à sucre au Brésil mange des millions d’hectares de terres arables. Pour remplir un réservoir de 50 litres de bioéthanol, vous devez brûler 352 kg de maïs. Au Mexique ou au Mali, où c’est l’aliment de base, un enfant vit une année avec cette quantité de maïs. Il faut agir face au réchauffement climatique, mais la solution ne passe pas par les agrocarburants ! Il faut faire des économies d’énergies, utiliser l’éolien, le solaire, encourager les transports publics.> Autre élément : le dumping agricole biaise les marchés alimentaires dans les pays africains. L’Union européenne subventionne l’exportation de sa production agricole. En Afrique, vous pouvez acheter sur n’importe quel étal des fruits, des légumes, du poulet venant d’Europe à quasiment la moitié du prix du produit africain équivalent. Et quelques kilomètres plus loin, le paysan et sa famille travaillent dix heures par jour sous un soleil brûlant sans avoir la moindre chance de réunir le minimum vital.> Et la dette extérieure des pays les plus pauvres les pénalise. Aucun gouvernement ne peut dégager le minimum de capital à investir dans l’agriculture, alors que ces États ont un besoin crucial d’améliorer leur productivité. En Afrique, il y a peu d’animaux de traction, pas d’engrais, pas de semences sélectionnées, pas assez d’irrigation.> Enfin, le marché agricole mondial est dominé par une dizaine de sociétés transcontinentales extrêmement puissantes, qui décident chaque jour de qui va vivre et mourir. La stratégie de libéralisation et de privatisation du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a ouvert la porte des pays du Sud aux multinationales. La multinationale Cargill a contrôlé l’an dernier 26,8 % de tout le blé commercialisé dans le monde, Louis Dreyfus gère 31 % de tout le commerce du riz. Ils contrôlent les prix. La situation est la même pour les intrants : Monsanto et Syngenta dominent le marché mondial – donc la productivité des paysans.>

 

Que faire face à cette situation ?> Ces mécanismes, faits de main d’homme, peuvent être changés par les hommes. Mon livre, Destruction massive, Géopolitique de la faim, malgré son titre alarmant, est un message d’espoir. La France est une grande et puissante démocratie, comme la plupart des États dominateurs d’Europe et d’Occident. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. Nous avons toutes les armes constitutionnelles en main – mobilisation populaire, vote, grève générale – pour forcer le ministre de l’Agriculture à voter pour l’abolition du dumping agricole à Bruxelles. Le ministre des Finances peut se prononcer au FMI pour le désendettement total et immédiat des pays les plus pauvres de la planète.>

 

La crise de la dette européenne rend cette position plus difficile à envisager…> Elle complique la situation. Mais la taxe Tobin, quand elle a été proposée par Attac il y a quinze ans, était qualifiée d’irréaliste. Aujourd’hui, elle est discutée par le G20 ! Les organisations internationales sont obligées de constater la misère explosive créée par la hausse des prix des matières premières. Un chemin se dessine. Nous avons un impératif catégorique moral – au-delà des partis, des idéologies, des institutions, des syndicats : l’éveil des consciences. Nous ne pouvons pas vivre dans un monde où des enfants meurent de faim alors que la planète croule sous les richesses. Nous ne voulons plus du banditisme bancaire. Nous voulons que l’État à nouveau exprime la volonté du citoyen, et ne soit pas un simple auxiliaire des entreprises multinationales. Ces revendications créent des mouvements dans la société civile.>

 

La crise ne risque-t-elle pas de provoquer une montée du populisme en Europe, plutôt qu’un nécessaire sursaut des consciences ?> La lutte est incertaine. Le chômage et la peur du lendemain sont les terreaux du fascisme. Mais il y a une formidable espérance à la « périphérie », comme le montrent les insurrections paysannes pour la récupération des terres que les multinationales se sont appropriées au nord du Brésil et du Sénégal, au Honduras ou en Indonésie. Si nous arrivions à faire la jonction, à créer un front de solidarité entre ceux qui luttent à l’intérieur du cerveau de ces monstres froids et ceux qui souffrent à la périphérie, alors l’ordre cannibale du monde serait abattu. J’ai d’autant plus d’espoir que l’écart entre Sud et Nord se réduit, parce que la jungle avance. La violence nue du capital était jusqu’ici amortie au Nord, par les lois, une certaine décence, la négociation entre syndicats et représentants patronaux. Aujourd’hui, elle frappe ici les populations humbles. Il faut montrer la voie de l’insurrection et de la révolte.>

 Propos recueillis par Élodie Bécu 

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23 décembre 2011 5 23 /12 /décembre /2011 21:51
"Libéralisme, altermondialisme, luttes sociales et territoires"

Animé par Jean-Claude Mairal, président du CIDEFE, élu, administrateur de la fondation Gabriel Péri, avec :

  • Bernard Vasseur, professeur de philosophie, directeur de la maison Elsa Triolet-Aragon, auteur de « La Démocratie anesthésiée » (Éditions de l’Atelier, 2011).
  • Pierre Zarka, Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE), auteur de « Oser la vraie rupture », (Éditions L’Archipel, 2011).
  • Tony Andréani, professeur émérite de sciences politiques à l’université de Paris VIII, auteur de « Entre public et privé, vers un nouveau secteur socialisé » (note de la Fondation Gabriel Péri, 2011).

Mardi 17 janvier de 18h30 à 20h30
Fondation Gabriel Péri
11 rue Etienne Marcel à Pantin (93)
métro Hoche.

 
Plan d’accès>>

Entrée libre. Le nombre de place étant limité, il est recommandé de s’inscrire par mail à l’adresse : inscription@gabrielperi.fr

Il n’y a pas un seul territoire, même le plus petit qui ne soit pas confronté aux enjeux et défis planétaires, aux effets de la globalisation économique, de la crise systémique du capitalisme et des politiques libérales avec leurs conséquences sur la vie des populations.

 

Dans un tel contexte, les territoires sont des lieux de résistance, de luttes sociales et syndicales pour la défense de l’emploi, des services publics, du droit au logement, à la santé, à l’éducation, à l’alimentation et à un environnement de qualité. Ils sont le lieu d’actions de solidarité en faveur des sans-papiers, des sans domicile et des plus démunis, d’actions de proximité autour de projets alternatifs d’économie sociale et solidaire. Une vie associative et culturelle se déploie dans les quartiers et les territoires ruraux permettant de lutter contre la désintégration du lien social et la désertification territoriale.

 

C’est dans l’ensemble de ces initiatives grandes ou petites, du local au mondial, que se trouvent les ferments du changement et de la construction d’une nouvelle société plus juste, plus solidaire et plus fraternelle. Mais se pose souvent la question du lien entre les unes et les autres, ainsi qu’avec les élus et les collectivités, de la place du mouvement social et de ses liens avec le territoire de proximité.


Le séminaire Mondialisation, territoires et citoyenneté : Pour une nouvelle approche de la réalité des territoires, de leur développement et de leur organisation, organisé en partenariat avec le Centre d’information, de documentation, d’étude et de formation des élus (CIDEFE), a pour objectif de présenter des préconisations pour une réforme territoriale axée sur la démocratie, la coopération, la solidarité.

 

La crise économique, sociale, financière, environnementale, mais aussi de la représentation politique a des conséquences sur les territoires locaux de chaque pays.

En France, les inégalités entre territoires perdurent et les réformes successives de leur gestion et de leur organisation pèsent sur leurs capacités de développement.

 

Des résistances s’organisent au niveau local pour l’amélioration de la qualité de la vie, les services publics, pour développer des projets alternatifs et des coopérations solidaires. Au niveau universitaire, de nombreux travaux et actions vont aussi dans ce sens.

 

Mais ces initiatives souffrent d’un manque de transversalité entre les acteurs, et d’une dimension politique indispensable pour que ce bouillonnement de réflexions et d’initiatives soit pris en compte au niveau de la nation.

 

Avec ce séminaire il s’agira de développer, en lien avec les enjeux politiques nationaux et planétaires, un regard croisé entre tous les acteurs des territoires : élus, administrations, associatifs, chercheurs, syndicats, mouvement social, etc. L’objectif est de promouvoir une citoyenneté politique active ; de travailler l’articulation des différentes échelles territoriales au plan national et mondial ; de mettre en perspective sociétale et politique les enjeux territoriaux, de faire avancer des propositions en faveur d’une révolution territoriale de coopération, de solidarité et de citoyenneté.


Séances :

  1. « Face aux défis de la globalisation et de la crise de la représentation politique, les enjeux de la décentralisation, de la gouvernance territoriale et de la démocratie locale » avec Jean-Claude Mairal, Martin Vanier et Loïc Blondiaux.
  2. « Elus locaux, société civile, mouvements sociaux et populations : Ensemble pour une gestion concertée, efficace et durable des territoires », atelier organisé en partenariat avec le CIDEFE et le PIT du Sénégal au Forum social mondial de Dakar (6-11 février 2011), à Thiès.
  3. « Crise sociale, emploi et territoires : comment relancer une dynamique territoriale ? », au CIDEFE, reporté.
  4. « Quelles articulations entre les échelles de la gouvernance du local au mondial en passant par l’Europe », à la fondation Gabriel Péri.
  5. « Urbain, périurbain, rural, métropoles : quel dialogue et quelle synergie pour les territoires ? », au CIDEFE, le 13 avril 2011.
  6. « Décentralisation ou recentralisation : Quelle réforme de l’organisation territoriale en France ? », à la fondation Gabriel Péri.
  7. « La culture et l’interculturalité, leviers du développement des territoires », au CIDEFE, le 31 mai 2011.
  8. « Territoires, démocratie participative et citoyenneté », à la fondation Gabriel Péri.
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22 décembre 2011 4 22 /12 /décembre /2011 23:05
Bulletin mensuel de TERRA
Réseau scientifique de recherche et de publication

TERRA Mensuel n°13 - décembre 2011

* * *
Samedi 7 janvier 2012, Paris, EHESS
(9h30 /13h - Amphi. Furet  - 105 Bd Raspail - M° N.D. des Champs/St Placide))

Conférence & débat
.
organisée à l’occasion de la sortie de l’ouvrage sous la direction de Michel Agier :
.
POLITIQUES DE L’EXCEPTION
Réfugiés, sinistrés, sans-papiers
.
(éditions Téraèdre/Le sujet dans la cité/Actuels n°1, janvier 2012)


par TERRA (réseau scientifique de recherche et de publications) et Le sujet dans la Cité (Revue internationale de recherche biographique) en collaboration avec le Centre d’Études Africaines (UMR 194 IRD-EHESS), l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, le laboratoire EXPERICE (Paris 13/Nord-Paris 8)

"Réfugiés, sans-papiers, sinistrés, demandeurs d’asile ou migrants clandestins : ces noms pèsent lourd, effraient ou scandalisent. Ils semblent autoriser un traitement à part, « exceptionnel », des personnes qu’ils désignent. L’ouvrage et le débat dont il sera l’occasion cherchent à décrire les formes de la mise à l’écart des étrangers et autres indésirables, mais aussi les conflits, tensions et révoltes dont ces situations d’exception sont le lieu."

- 9h30-10h : Conférence introductive par Etienne BALIBAR (Paris Ouest Nanterre La Défense / University of California, Irvine)

- 10h-13h : Rencontre-débat animée par Gérard GROMER avec Michel AGIER (EHESS/IRD), Alain BROSSAT (Paris 8), Clara LECADET (EHESS), Simona TERSIGNI (Rennes 2), Jérôme VALLUY (Paris 1)

Informations : http://www.reseau-terra.eu/article1221.html


 

LIVRE :

Michel Agier (dir.), Politiques de l’exception - Réfugiés, sinistrés, sans-papiers Éditions Tétraèdre / Le sujet dans la cité / Actuels n°1, janvier 2012
Réfugiés, déplacés, sinistrés, tolérés, demandeurs d’asile ou migrants clandestins : ces noms pèsent lourd, étonnent, effraient ou scandalisent. Leur sont associés des effets juridiques, des images médiatiques, des postures morales qui créent la fausse évidence des figures de la victime, de la souffrance et de la vulnérabilité d’une part ; du coupable, du ressentiment et de l’indésirable d’autre part. Ces deux figures semblent autoriser un traitement à part, « exceptionnel », des personnes qu’elles désignent. A chaque nouvelle catastrophe dite « naturelle » ou chaque nouvelle guerre, à chaque exode ou passage de frontière interdit, une administration spécifique et un pouvoir direct les gouvernent, sans médiation politique, superposant l’assistance et le contrôle. Les textes réunis dans ce volume décrivent les formes de la mise à l’écart et du rejet des étrangers et autres indésirables − de l’Europe à l’Afrique du nord et au Proche Orient, de l’Afghanistan à l’Amérique latine. Ils mettent également en évidence les conflits, tensions et révoltes dont ces situations d’exception sont le lieu. 
Avec Lisa Anteby-Yemini, Régis Barbau, Jonathan Benthall, Alain Brossat, Giovanna Cavatorta, Carolina Kobelinsky, Clara Lecadet, Sami Makki, Antoine Pécoud, Sandrine Revet, Stellio Rolland, Giulia Scalettaris, Simona Tersigni, Jérôme Valluy. Lire l'introduction : http://www.reseau-terra.eu/article1225.html


Livre issu du programme de recherches  "ASILES"
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15 décembre 2011 4 15 /12 /décembre /2011 08:23

LES COMITES D'ENTREPRISES

 

Depuis quelques jours les attaques pleuvent contre les comités d'entreprises.

 

Un peu d'histoire est nécessaire pour se rappeler de la façon dont ils ont vu le jour.

Il faut savoir, qu'avant, c'était le charitable qui s'incarnait dans des formes caritatives puis vinrent des nouvelles formes d'aides avec le développement industriel du 19éme siècle et début du 20éme siècle. Nous y avons vu naitre le "familistère" de Godin: il suppose que l'action économique soit corriger et les effets néfastes du capitalisme soit amendés par le Travail, la solidarité, l'équité, la liberté, le devoir comme le propose ce patron réformiste.

Mais cette façon de faire est rejetée par le capitalisme le plus dur, celui des forges, et nous allons voir se développer, en particulier, le paternalisme d'Eugène Schneider au Creusot.

Celui-ci, pour empêcher la naissance du syndicalisme dans son entreprise, au Creusot, va développer ce que l'on appellera le paternalisme familial.

Il mettra en place des oeuvres sociales gérées par lui-même et ses cadres. Ainsi, dés la naissance et jusqu'à la mort, le patron apportait son concours à la vie de l'ouvrier et pour ainsi dire à la reproduction de la force de travail. L'on naissait dans le berceau payé par les Schneider, l'école leur appartenait, le centre d'apprentissage et les petits cadeaux aux méritants confortaient l'esprit de

maison et enfin l'on mourait et l'on finissait dans le cercueil payé par les maîtres du Creusot.

Au Creusot, tout le monde devait pointer à la messe le dimanche sinon il était marqué, plusieurs églises existaient et portaient le nom de "Saints" qui étaient aussi les prénoms des fils Schneider.

Tout cela visait à couper l'herbe sous le pied des syndicalistes qui voulaient du social et du revendicatif de manière collective avec un syndicat dans l'entreprise.

Ils furent l'objet de la vindicte patronale la plus violente avec nervis et jaunes et l'armée quand il le fallait pour mater les révoltés. 1936, fut un des premiers moments d'incursion d'une autre vie sociale et syndicale à l'entreprise.

Les délégués du personnel allaient changer les us et coutumes existants. Les revendications bien sûr, mais aussi l'accès à la culture, aux sports, la prévention et surtout la fin des dames patronnesses venant visiter les femmes ,les incitant à rester à la maison et à être de bonnes maitresses du foyer comme l'enseignaient les femmes des maitres des forges et autres patrons.

Venait aussi l'idée d'intervenir dans la marche de l'entreprise, mais l'exercice syndical, s'il était reconnu à l'extérieur de l'entreprise ne l'était pas en tant que tel à l'intérieur et il fallut attendre 1945 et 1968 pour qu'il en fut ainsi.

Je résume cela à grand traits pour en venir à ce que la libération de la France apporta.

Mais auparavant il y eut le pétainisme, ce pétainisme ambiant qui nous revient dans une forme de déconstruction actuellement. C'est fut un système de collaboration entre Pétain et les patrons français qui s'installa pendant l'occupation de la France avec la charte du travail, avec ces grands patrons français qui collaboraient allégrement avec les nazis pour faire marcher la production pour les forces occupantes, en particulier dans l'aéronautique, l'automobile avec Renault, Berliet pour les camions, la chimie pour les gaz et autres produits de guerre, tout ce monde là fut en quête d'intégration des travailleurs et ils créèrent les comités sociaux d’établissement : ces comités ditssociaux, ne pouvaient débattre que des questions sociales (de l'approvisionnement des pommes de terre par exemple par ces temps de disette) mais, en aucune façon, des questions économiques. Des employeurs qui n'étaient que les continuateurs, sous d'autres formes, d'un paternalisme lié à leur devise de la collaboration: "Travail, Famille, Patrie".

Mais la résistance s'exerçait dans les entreprises en opposition avec la constitution des comités populaires clandestins dans les usines. Comme le disait Bourderon historien: " Tous sont d'accord sur les objectifs, initialement modestes vu la déstructuration du mouvement ouvrier : retrouver des militants, les convaincre de s'investir dans l'objectif majeur qu'est la défense des revendications ouvrières, et par là s'affirmer « contre Vichy et, derrière Vichy, contre l'occupant », comme le dira plus tard Henri Jourdain, qui précise : « Nous insistons sur la nécessité de développer la production non militaire, afin de satisfaire les besoins pressants de la population française, et de ne pas alimenter la machine de guerre allemande. Cette démarche ouvrira la voie au sabotage de la production de guerre."

On peut dire que se furent les premières formes nouvelles pour dépasser le paternalisme d'avant guerre, l'intégration, et son dernier avatar: la collaboration.

Les comités d'entreprises survinrent donc à libération et font partie intégrante du programme du Conseil national de la Résistance.

Ils verront le jour en 1945 par une ordonnance du Général de Gaulle qui limite leur attribution aux questions sociales et culturelles mais surtout pas à l'intervention des salariés dans la marche de l'entreprise. De Gaulle a vu le danger, il ne veut aucunement que les travailleurs aient leur mot à dire dans le fonctionnement de l'entreprise.

Pourtant les choses ne se passeront pas ainsi, les travailleurs et la CGT, qui ont participé à la libération de la France, qui ont vu le patronat collaborer avec l'ennemi, veulent des nouveaux droits et ils vont imposer que toutes les activités sociales, sportives et culturelles soient financées par l'entreprise et non par l'employeur comme on dit à tort, en prenant un pourcentage sur la masse salariale.

Toutes ces évolutions se font par une loi de Croizat, alors ministre du travail et de la Sécurité sociale.

Celui-ci, rappelons-le, met en oeuvre les dispositions qui n’avaient pas été retenues par le gouvernement précédent : ramener à 50, et non 100, le nombre de salariés à partir duquel une entreprise aurait un comité d’entreprise, obligation de consulter le CE en matière de gestion et de marche de l’entreprise, communication des documents remis aux actionnaires, assistance d’un expert-comptable, 20 heures de délégation, etc. L’Assemblée vota la loi à l’unanimité le 16 mai 1946.

Les réactions patronales furent très vives. Voilà à quoi s'attaque maintenant le capital avec ce néo-vichysme de retour en ces années de crise.

La campagne qui vient de démarrer vise cela: démolir cette conquête de la libération comme celle en cours de la Sécurité sociale.

Reprenons encore Kessler, l'ex-vice président du Medef, assureur privé, qui déclarait en 2007 à l'intention de Sarkozy: Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie….

La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance !

Et dans ce programme du Conseil national de la Résistance il y a effectivement les comités d'entreprises.

L'attaque est menée dans ce cadre en faisant douter les travailleurs sur la gestion des comités d'entreprises par le syndicalisme qui serait celle de privilégiés.

Ce discours nous l'avons entendu en d'autres occasions pour démolir des droits à la retraite dans la fonction publique où encore pour les régimes spéciaux.

On met en avant tout et n'importe quoi et l'on additionne de chiffres en milliards d'euros détournés des CE dans les syndicats. Bande de faussaires!

Un seul exemple de la malhonnêteté de ces scribouillards, c'est l'intégration dans ces chiffres du coût des heures de délégation des élus qui sont de droit et dont certainement le patronat voudrait s'en défaire. Cela représente en salaires plusieurs milliards d'euros.

Ces sommes, consacrées à l'exercice syndical, ont été obtenus en 1936 par les délégués du personnel puis en 1945 avec les membres du comité d'entreprise et enfin avec le droit syndical en 1968 permettant l'exercice syndical sur le lieu de travail et pendant le temps de travail.

Voilà l'attaque qui se cache derrière des prétendus détournements.

Casser la représentation syndicale qui doit être rémunérée comme temps de travail. Ces aboyeurs, qui viennent tout droit de la niche patronale, de cette nichée héritière de ce paternalisme, de ce vichysme, n'ont bien sûr jamais calculé les sommes énormes dépensées par les patrons pour casser les luttes, pour déposer leurs larcins dans les niches fiscales de Suisse, payer des nervis contre le syndicalisme etc.

Leur but est bien de jeter le trouble, d'opposer les travailleurs entre eux, bref de diviser pour régner. Le but est évident: dans ces moments d'une crise du système, du jamais vu, pour faire accepter l'austérité et le recul social, les comités d'entreprises dont le rôle est important dans la lutte contre les fermetures, les licenciements, les délocalisations, doivent être mis hors d'état de nuire face aux politiques de rigueur décidées par l'Europe des profiteurs.

Les travailleurs ont toutes les raisons de défendre leurs lieux de représentation et les comités d'entreprises sont indispensables à la lutte contre les mesures édictées par l'Europe du Capital.

Nul doute que ceux-ci ne marcheront pas dans les attaques réactionnaires actuelles distillées par ceux qui veulent faire taire le syndicalisme.

Bernard LAMIRAND

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11 décembre 2011 7 11 /12 /décembre /2011 19:33
Appel de Thorens-Glières, le 14 mai 2011

Le 8 mars 2004 treize vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France libre lançaient un « Appel aux jeunes générations » dénonçant notamment « la remise en cause du socle des conquêtes sociales de la Libération ». Cette tendance régressive s’accélère dramatiquement. Nombre de citoyennes et citoyens s’en indignent. Partout la prise de conscience que les valeurs, toujours actuelles, incarnées en 1944 dans le programme du Conseil National de la Résistance ouvrent l’espoir qu’un mieux-vivre ensemble est possible. Il est aujourd’hui concevable de définir un nouveau "programme de la Résistance" pour notre siècle.

Au lieu de cela, le débat public qui s’annonce avec les élections de 2012 semble privilégier les manœuvres politiciennes au service d’intérêts particuliers sans traiter :

  • des causes politiques des injustices sociales,
  • des raisons des dérégulations internationales,
  • des origines des déséquilibres écologiques croissants.

Comme en 2004, nous souhaitons que tous les citoyens, tous les partis, tous les syndicats, toutes les associations participent à l’élaboration d’un Projet de Société du 21ème siècle en repartant du programme du CNR « Les jours heureux » adopté le 15 mars 1944. Ce programme politique constitue toujours un repère essentiel de l'identité républicaine française.

 

Avec l’association « Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui » nous appelons tous les partis politiques, toutes les candidates et candidats à un mandat public dans le cadre des élections présidentielles et législatives de 2012 à prendre 3 engagements  qui mettront réellement en application la devise républicaine « Liberté Egalité Fraternité ».

 

Premièrement, afin de garantir l’égalité : Lancer immédiatement le travail législatif et réglementaire qui permettra de reconstituer les services publics et institutions créés à la Libération pour aller vers une véritable démocratie économique et sociale. Possible en 1944, cette démarche l’est d’autant plus aujourd’hui alors que le pays n’a cessé de s’enrichir depuis. Droit à la santé pour tous, droit à une retraite, droit à l’éducation, droit au travail, droit à la culture demeurent les seuls véritables garants de l’égalité républicaine. Une égalité qui n’a de sens que dans le respect du droit des étrangers.

Deuxièmement, afin de garantir la liberté :

  • Approfondir la forme républicaine du gouvernement afin de séparer clairement les pouvoirs et renforcer la démocratie parlementaire au détriment de notre régime présidentiel personnalisé.
  • Développer de nouvelles pratiques de la démocratie dans laquelle l’action de la société civile sera reconnue et restaurer les conditions du principe d’ailleurs défini à l’article 2 de la constitution actuelle : « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».
  • garantir la qualité du débat démocratique et la fiabilité des contre-pouvoirs, en assurant à nouveau la séparation des médias et des puissances d’argent comme en 1944.

Ces 3 axes de débats devront aboutir à une démarche souveraine d' « Assemblée constituante » vers de nouvelles pratiques républicaines.

 

Troisièmement, afin de garantir la fraternité : Travailler les coopérations avec les peuples et les pays, en refusant l'actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie. Favoriser résolument des solutions soutenables pour les équilibres écologiques, dans les limites de développement compatibles avec la survie humaine. Ecarter de la marchandisation totale les besoins vitaux de l’être humain comme l’eau, la nourriture et l’énergie.

Il est temps de bien vivre ensemble, dans la haute-nécessité de l’épanouissement du plus grand nombre et d’offrir une perspective d’avenir prometteur aux jeunes générations.

Plus que jamais, comme le proclamait en 2004 l'Appel des Résistants aux jeunes générations, à ceux et celles qui font ce siècle qui commence, nous voulons dire avec affection :

« Créer c'est résister. Résister c'est créer ».



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Citoyens Résistants d'Hier et d'Aujourd'hui - 1442 route de la Luaz, 74560 Thorens Glières - infos@appel-de-thorens-glieres.fr
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