Le débat sur l’avenir des retraites porte sur un enjeu de civilisation. Il
conditionne une large part du mode d’existence de chaque être humain, du petit enfant à la personne âgée. Il doit être relié à un défi essentiel : la sécurisation de la vie de
chacune et de chacun. C’est pourquoi l’âge du départ en retraite et le financement de cette période de la vie recoupent une multiplicité de questions telles que l’emploi, le
partage des richesses produites, l’avenir des jeunes et l’activité de celles et ceux qui accèdent à une retraite bien méritée après avoir contribué au développement économique, social,
humain, de la collectivité. Ce droit doit être pleinement inscrit dans les mutations de la société. Et les interrogations nouvelles surgissant sur la place et sur l’utilité sociale de celle
ou de celui qui accède à la retraite, doivent trouver des réponses en fonction des désirs de chacun.
Osons affirmer une évidence cachée. Les premières victimes d’une nouvelle
« contre réforme » des retraites seraient les jeunes. Reculer l’âge de départ en retraite aggraverait encore leur chômage qui touche déjà près du quart d’entre eux. La
question peut donc être posée ainsi : vaut-il mieux qu’une personne de 60 ans soit à la retraite ou qu’un jeune de 25 ans soit au chômage ? Du point de vue de l’épanouissement
humain et de la qualité d’une société, la réponse est oui. Du point de vue des grands de la finance la réponse est non.
Osons aussi redire que la crise a montré que l’avenir est bien du côté de la
protection sociale, de la sécurité de vie, pas du côté d’un système d’assurance privée et de retraite basé sur l’individualisme et les logiques financières. En effet, les sociétés qui jusque
là résistent le moins mal à la crise sont celles où le niveau de services publics et de protection sociale est élevé.
Le projet humain moderne, dans une société du vivre ensemble, incluant cette
indispensable sécurité de vie, passe par la régénération du système de retraite par répartition, à l’opposé d’un système dit par capitalisation où seuls celles et ceux qui peuvent se payer
une retraite peuvent y prétendre. L’avenir ne saurait être du côté de ces retraités qui viennent de tout perdre avec la faillite de leurs fonds de pension.
Le pouvoir sarkozyste et le grand patronat, la main dans la main, tentent de
tronçonner ce débat pour mieux diviser les générations. Conscients de la fragilité de leur argumentation et redoutant le développement d’un mouvement social au lendemain des élections
régionales, ils ont changé de tactique et font mine de vouloir consulter les syndicats. Le gouvernement veut mettre ce temps à profit pour développer une puissante campagne idéologique pour
une pédagogie de l’acceptation de ses choix antihumanistes.
Il cherche à susciter l’angoisse pour faire croire qu’il n’y aurait pas
d’autres choix que de reculer l’âge de la retraite, d’abaisser le niveau des pensions ou encore d’augmenter les cotisations retraites. Vous parlez d’un choix qui se traduirait par du pire
alors que nos concitoyens aspirent à du mieux ! Un mieux que le développement même de la société et les progrès de la productivité du travail avec les évolutions technologiques permettent.
Face à la désinformation permanente, dangereuse pour le débat démocratique lui-même, la confrontation des points de vue, la plus approfondie et honnête possible, est
nécessaire.
Prenons plusieurs questions :
● Constatons d’abord que cela fait des années que, de contre réforme en contre réforme réactionnaire, le droit à la protection sociale
et à la retraite, imaginé par le ministre communiste Ambroise Croizat, puis conforté avec la retraite à 60 ans par le gouvernement de gauche de 1981, est entamé. Chaque fois on nous
dit : cela ira mieux demain. Et chaque fois, un pas de plus est fait dans le sens du recul social. La droite et le sarkozysme, abaissant les cotisations patronales, poussant
aux heures supplémentaires, exonérant de cotisations sociales, autorisant le cumul emploi-retraite sans limite de revenu, mènent à de dramatiques impasses, à un véritable recul de
civilisation.
● Est-ce que le financement des retraites est mis en cause par l’augmentation du nombre de retraités ? L’apparence conduirait à répondre
oui. C’est vrai qu’au début des années 1960, la part de la valeur des richesses servant à payer les retraites était de près de 5,6%. Elle est passée à plus de 13% en 2007. Mais ce sont les
gains de productivité du travail qui l’ont permis sans que l’économie en souffre. De 1960 à 2008, la productivité horaire du travail, combinée aux avancées technologiques a augmenté de 70%.
Mais la part des salaires dans la valeur ajoutée des sociétés non financières a diminué de 8,8%. Par contre, la part des profits a augmenté exactement de ce même montant, 8,8%. Et à
l’intérieur de cette part, celle consacrée au versement de dividendes aux actionnaires est passée de 3,1% à 8,4%. Il s’agit bien d’une accentuation de l’extorsion de plus-values par les
détenteurs de capitaux sur le dos des travailleurs.
Le conseil d’orientation des retraites évalue à 0,3% le gain de productivité
annuel nécessaire pour maintenir le rapport entre le revenu moyen des retraités et celui des actifs pour le demi-siècle à venir. Or, ce même conseil, s’appuyant sur des prévisions
officielles, évalue le gain de productivité annuel possible à 1,8%.
Derrière les projets de contre réformes se cache donc un débat plus
fondamental. A qui profite la valeur ajoutée produite dans ce pays ? Aux actionnaires, aux revenus financiers parasitaires ou à la société, aux créateurs de richesses que sont les
travailleurs manuels et intellectuels ? Telle est l’alternative. Tel est le niveau du débat à mener.
● Les taux de cotisations employeurs sont-ils si élevés qu’ils pénaliseraient l’emploi ? Comme nous venons de le dire, les taux de
cotisations patronales n’ont cessé de diminuer et les exonérations de se multiplier. Parallèlement le chômage et la précarité n’ont cessé de progresser.
C’est au contraire le haut niveau de protection sociale et de services
publics qui a permis le développement du pays. Le niveau d’emploi et de salaire est une question décisive pour la protection sociale.
Une augmentation des rémunérations du travail et la sécurisation des parcours
professionnels pour abolir le chômage, annuleraient tous les déficits des caisses de protection sociale et de retraite. Ce qui menace les retraites, ce n’est pas l’allongement de l’espérance
de vie, c’est le niveau du chômage et de la précarité.
● L’argent existe-il donc ? Voilà le cœur de la bataille. A quoi sert l’argent ? A enrichir quelques uns ou est-il utile à
l’ensemble des individus pour un mieux être de l’ensemble de la société ? Posons d’abord ce principe fondamental.
A l’opposé de la société dite « du risque » de Mme Parisot, nous
sommes au siècle où il convient de faire de la sécurisation des parcours de la vie humaine, de la naissance à l’école, à l’apprentissage, au métier, jusqu’à la retraite et à la dépendance, le
cœur d’un nouveau pacte social progressiste et humain.
La totalité des exonérations fiscales et sociales, certains avantages fiscaux
indus accordés à une certaine épargne par capitalisation représentent 140 milliards d’euros chaque année. Si on mettait les revenus financiers, qui ne participent pas au financement de la
protection sociale, à contribution, il n’y aurait aucun déficit. Cela rapporterait au moins 22 milliards d’euros. Une grande politique de recherche et d’industrie permettrait de solidifier
les caisses de protection sociale et de retraite. 100 000 emplois, ce sont 2 milliards de cotisations sociales de plus.
Derrière l’enjeu du financement de la retraite, il y a en fait celui de la nature de notre vie en société. Il pousse à un réexamen des choix comme ceux des heures supplémentaires, du
retour aux 35 heures, du contrat de travail sécurisant contre la précarité du travail et de l’activité des individus, de leur pénibilité physique et psychique, de la formation tout au long de
la vie, du rôle nouveau des retraités de passeurs de connaissances, d’expérience pour les nouvelles générations. Nous souhaitons ce débat public, politique au sens noble du terme
puisque traitant du devenir de nos sociétés.
Fort des expériences passées et compte-tenu de ces enjeux décisifs,
l’Humanité Dimanche va aider à mener, semaine après semaine, ce débat fondamental au service du combat pour la justice, l’égalité, le mieux vivre ensemble.
Pour lire l’autre article concernant ce sujet cliquez sur le
titre :