NIGER • Démocratie et junte : une association qui détonne
Les militaires, à l’origine de la destitution, le 18 février, du président Mamadou Tandja, ont promis de rendre rapidement le pouvoir aux civils. Une belle promesse à laquelle beaucoup ont du mal à croire.
23.02.2010 | Séni Dabo | Le Pays
© AFP
Le commandant Salou Djibo a été nommé président pour la "période de transition".
Mais combien de temps durera-t-elle ?
Avec le début de la démocratisation en Afrique, en 1990, et depuis le sommet de l’Union africaine (UA) d’Alger en 1999, il est difficile de prendre le pouvoir par la force dans un pays et de le
garder indéfiniment. Les protestations et les menaces de sanctions de la fameuse communauté internationale contre les auteurs de coups d’Etat ou le pays dans lequel ils sont perpétrés
contraignent les juntes à déterminer un calendrier à la fin duquel elles doivent remettre le pouvoir à des civils à l’issue d’élections libres et transparentes, auxquelles la plupart du temps
elles ne peuvent prendre part à moins de démissionner de l’armée. Encore que cette participation soit de plus en plus rejetée par les politiciens de métier, qui voient mal des militaires, même en
civil, leur faire concurrence.
C’est pourquoi aujourd’hui, dès les premiers moments d’un coup d’Etat, il est attendu de ceux qui en sont les auteurs de se déterminer sur leur rapport à long terme avec le pouvoir. Généralement,
la déclaration que l’on entend est le désintérêt pour le pouvoir, même si souvent, par la suite, le langage et les attitudes changent.
La junte nigérienne, qui a renversé Mamadou Tandja le 18 février pour, dit-elle, restaurer la démocratie, devrait donc dire si elle entend garder longtemps le pouvoir ou si elle compte le
remettre à brève échéance. Et c’est ce à quoi elle s’emploie depuis, tant face aux émissaires qui défilent à Niamey qu’à la presse. Le colonel Djibrilla Hima Hamidou, qui fait office de
porte-parole du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD, dénomination de la junte), s’est prononcé sur les motivations du putsch et dit non seulement que les militaires
remettraient le pouvoir aux civils au terme d’une période transitoire dont la durée sera déterminée en accord avec la classe politique, mais aussi qu’aucun d’eux ne se présenterait à l’élection
présidentielle. C’est du déjà-entendu et c’est justement ce qui inquiète. Avant le commandant Salou Djibo, qui a été nommé président pour la “période de transition”, bon nombre d’auteurs de coups
de force sur le continent ont tenu le même langage pour ne plus tenir parole ensuite. Le dernier exemple en date, qui conforte le doute, est celui de la Guinée, avec le capitaine Moussa Dadis
Camara. Jurant ne pas être intéressé par le pouvoir, il s’est ravisé après les premiers moments de son putsch contre le cadavre de Lansana Conté, en décembre 2008.
L’Histoire repassant souvent les mêmes plats, il n’est pas exclu que la junte nigérienne emboîte le pas à celle de la Guinée. Toutefois, la même histoire est faite de bons exemples de militaires
arrivés au pouvoir par un coup d’Etat et qui l’ont remis après, sans chercher à s’y accrocher. L’exemple le plus édifiant est celui du Malien Amadou Toumani Touré (ATT), qui a renversé le général
Moussa Traoré en 1991 et remis un an plus tard le pouvoir à un civil après une élection à laquelle il ne s’est pas porté candidat. Au Niger même, Daouda Malam Wanké a remis aux civils le pouvoir
qu’il avait pris des mains d’Ibrahim Baré Maïnassara en 1999. Fort de ces exemples, on peut donner le bon Dieu sans confession à la nouvelle junte, avec la relative conviction qu’elle ne
s’accrochera pas au pouvoir.
En tout état de cause, la junte donne un bon signal de sa volonté de ne pas se laisser griser par le pouvoir en se mettant à l’école d’ATT. Ses membres ne doivent pas attendre de ce dernier des
conseils de sauvegarde du pouvoir d’Etat. Ils devraient donc se montrer de bons disciples, se comporter en personnes qui mettent toujours en avant l’intérêt du pays, ne cédant pas aux sirènes des
courtisans qui peuvent les pousser dans un gouffre. En somme, s’ils se montrent dignes de leur mentor, les nouveaux maîtres de Niamey pourront tirer sans peine leur révérence après avoir élaboré
de façon consensuelle les nouvelles règles du jeu démocratique. Ils auront alors dissipé la crainte légitime, la prudence de Sioux et la vigilance de douanier russe qui habitent pour le moment
tout bon démocrate.