"L'attaque illégale et immorale d'Israël contre le convoi d'aide humanitaire de la Flottille de la Liberté,
qui a fait au moins neuf morts et des dizaines de blessés, a, à juste titre, stupéfié le monde. Le convoi entièrement civil de 6 bateaux transportait plus de 10 000 tonnes d'aide humanitaire
cruellement nécessaire, et près de 700 citoyens de 40 pays. La Flottille était une tentative ambitieuse de briser le siège imposé par Israël depuis 2007 à 1,5 million de Palestiniens de la
bande de Gaza occupée. Avec à son bord déminents parlementaires, chefs religieux, écrivains, journalistes, un Prix Nobel de la Paix et un survivant de l'Holocauste, le convoi humanitaire
visait non seulement à fournir des secours à Gaza ; il cherchait à attirer l'attention internationale sur la crise humanitaire imposée aux habitants de Gaza et sur l'impératif d'y mettre
fin. Il est indéniable que ce dernier objectif a réussi, mais avec des conséquences tragiques.
L'attaque israélienne contre le convoi d'aide non armé dans les eaux internationales a été « une
violation [flagrante] du droit international humanitaire, du droit international maritime, et [selon la plupart des interprétations] du droit pénal international », pour reprendre les
mots de Richard Falk, professeur de droit international et rapporteur spécial des Nations Unies sur les Droits de l'Homme dans les territoires palestiniens occupés. Il est triste de constater
que les gouvernements du monde sont devenus depuis trop longtemps complices ou apathiques envers les crimes dIsraël et ont renforcé sa culture de limpunité, sous le bouclier de soutien
incontestable des États-Unis. Malgré sa condamnation initiale, le gouvernement des Etats-Unis a fait pression sur les membres du Conseil de Sécurité de l'ONU, à nouveau, pour adopter un
langage ambigu qui allège Israël de toute responsabilité et renvoie dos à dos l'agresseur et la victime.
Typiquement, le gouvernement israélien a accusé les victimes de son raid davoir attaqué les soldats
israéliens, prônant la « légitime défense ». L'éminent expert juridique et directeur du Centre de droit international de Sydney à l'Université de Droit de Sydney, le professeur Ben
Saul, réfute carrément l'affirmation d'Israël en argumentant : « Juridiquement parlant, les forces militaires gouvernementales qui arraisonnent un bateau pour le capturer
illégalement ne sont pas traitées différemment dautres criminels. Le droit à la légitime défense dans de telles circonstances est du côté des passagers à bord : une personne a
légalement le droit de résister à sa propre capture, enlèvement et détention illégaux. » Il ajoute que « si les forces israéliennes ont tué des gens, ils nont pas seulement
enfreint le droit humain à la vie, mais ils peuvent aussi avoir commis de graves crimes internationaux. Selon l'article 3 de la Convention de Rome pour la répression dactes illicites contre
la sécurité de la navigation maritime de 1988, c'est un crime international, pour toute personne, de saisir ou d'exercer un contrôle sur un navire par la force, et c'est aussi un crime de
blesser ou tuer une personne dans le processus. »
Malgré la déclaration du secrétaire général de l'ONU Ban Ki-Moon appelant à mettre fin au siège illégal de
Gaza par Israël, le Conseil de sécurité n'a pas réussi à appeler à la fin inconditionnelle du blocus, autorisant ainsi Israël à commettre en toute impunité de graves crimes de guerre,
également bien documentés dans le rapport Goldstone des Nations Unies.
L'absence daction significative de la part des gouvernements pour rendre Israël responsable devant le
droit international laisse ouverte une voie pour les citoyens de conscience : celle de prendre eux-mêmes cette responsabilité, comme cela a été fait contre l'apartheid en
Afrique du Sud. Les initiatives non-violentes menées par les citoyens, dont la Flottille et les multiples campagnes de boycott et de désinvestissement dans le monde entier sont des exemples,
présentent la façon la plus prometteuse de surmonter l'échec des gouvernements du monde à résister à l'intransigeance et au comportement débridé d'Israël. En attaquant de façon flagrante le
bateau humanitaire, Israël a provoqué par inadvertance une prise de conscience et une condamnation sans précédent non seulement de son siège fatal de la bande de Gaza, mais aussi du contexte
plus large des pratiques de l'occupation israélienne dans les Territoires palestiniens, de sa négation des droits des réfugiés palestiniens et de sa politique d'apartheid contre les citoyens
indigènes « non-juifs » d'Israël.
La Flottille de la Liberté rappelle le genre d'initiatives de solidarité de la société civile qui a mis fin
aux lois de ségrégation aux États-Unis et à l'apartheid en Afrique du Sud, une analogie impossible à ignorer. Comme pour le régime d'apartheid en Afrique du Sud, la réaction d'Israël a été de
qualifier cet acte non-violent de « provocation intentionnelle ». Comme dans le cas de l'Afrique du Sud, l'appel à la solidarité internationale, sous forme de Boycott,
Désinvestissement et Sanctions (BDS) provenait d'une écrasante majorité de syndicats et d'organisations de la société civile palestinienne en 2005, et est en train d'être adopté par des
citoyens de conscience et des mouvements sociaux du monde entier. L'initiative BDS appelle à isoler efficacement Israël, ses institutions complices économiques, universitaires et culturelles,
ainsi que les entreprises qui profitent de ses violations des droits de l'Homme et de ses politiques illégales, aussi longtemps que ces politiques continueront.
Je crois que l'initiative BDS est une stratégie morale qui a démontré son potentiel de réussite. Plus
récemment, la Deutsche Bank allemande a été la dernière de plusieurs institutions financières et grands fonds de pension européens à se désinvestir du fabricant d'armes israélien Elbit
Systems. La semaine dernière, deux chaînes majeures de supermarchés italiennes ont annoncé un boycott des produits provenant des colonies illégales israéliennes. Le mois dernier, les artistes
Elvis Costello et Gil Scott-Heron ont annulé leurs représentations en Israël. Inspirée de la lutte populaire anti-apartheid sud-africaine, la génération actuelle détudiants dans les campus
universitaires appelle activement leurs administrations à adopter des politiques de désinvestissement.
Je soutiens les mots sincères de lécrivain écossais Iain Banks qui, en réaction à l'attaque atroce
dIsraël de la Flottille de la Liberté, a suggéré que la meilleure façon pour les artistes, écrivains et universitaires internationaux de « convaincre Israël de sa dégradation morale et
de son isolement éthique » est « tout simplement de ne plus rien avoir à faire avec ce gouvernement criminel. »
Stéphane Hessel
(Publié en anglais sur http://www.huffingtonpost.com/stephane-frederic-hessel/gaza-flotilla-global-citi_b_612865.html).
*Stéphane Frédéric Hessel est un diplomate, ancien ambassadeur, résistant français et
agent du BCRA. Né en Allemagne, il obtint la nationalité française en 1937. Il a participé à la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
CAPJPO-EuroPalestine