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18 juillet 2011 1 18 /07 /juillet /2011 19:08

Ce livre est sorti en édition de poche l'an dernier. C'est un ouvrage très dense, bourré de notes, mais à mon avis indispensable pour comprendre les idéologies extrémistes, qui vont au-delà de la seule extrême-droite institutionnelle.
Je cite intégralement cette note de lecture :

  

J’ai souvent entendu dire sur le ton de l’évidence, que les tragédies du XXe siècle ont marqué l’échec de la Raison et de la modernité. Certains ont même voulu rendre la philosophie des Lumières responsable du fascisme, du nazisme et du stalinisme.  Je me suis toujours demandé quel raisonnement aberrant pouvait conduire à une telle conclusion alors que la négation des droits humains universels fut le dénominateur commun des régimes inspirés par ces trois doctrines et leur succédanées. Une erreur de même nature est commise par ceux, si nombreux de nos jours, qui croient pouvoir identifier toute proclamation des valeurs universelles avec une forme de colonialisme.

 

Le livre de Zeev Sternhell, qui me semble très important, m’apporte enfin une réponse claire et précise en retraçant l’histoire de la critique des Lumières. Les penseurs, philosophes et historiens étrangers qui sont étudiés dans ce livre sont parfois peu connus du grand public français, mais l’influence de leurs idées fut considérable. Principalement, il s’agit de Herder, Vico, Burke, Carlyle, Meinecke, Spengler, Croce et Berlin. Les français Taine, Renan, Barrès et Maurras nous sont plus connus. Sternhell démontre de façon convaincante, au moins pour le profane que je suis, l’existence d’une filiation entre les critiques précoces des Lumières et les penseurs nationalistes et autres idéologues racistes qui ont directement inspiré le fascisme et le nazisme. Pour résumer de façon drastique un ouvrage savant de plus 500 pages (mais qui n’en est pas moins passionnant), ceux que Sternhell surnomme les anti-Lumières attaquent d’abord les philosophes français du XVIIIe siècle,  auxquels il faut ajouter Locke et Kant, pour leur confiance dans la Raison humaine. La Raison, universellement partagée, permet la critique des traditions et des religions et rend ainsi  possible la découverte de droits naturels communs, et l’idée d’un progrès vers une société où le bonheur sur Terre soit possible. Les anti-Lumières, Herder et Burke en tête, ont tout ceci en horreur. Pour ces derniers la confiance en la Raison est une erreur : la Raison est sèche et mécanique, trop simpliste, elle ne peut distinguer la providence divine derrière le chaos apparent. Elle veut tout uniformiser et ne peut comprendre que l’accumulation de traditions diverses soit un bien. Là où elle voit de la superstition il faudrait voir la sagesse des siècles passés. Les critiques précoces des Lumières voient dans l’histoire et dans la société un organisme complexe qui échappe à toute investigation rationnelle et qu’il ne faut surtout pas chercher à réformer. Cet angle de critique est celui du traditionalisme. Burke s’efforce par exemple de démontrer que ni la glorieuse révolution anglaise ni la révolution américaine ne sont comparables à la révolution française, qui seule est abominable.

Cette interprétation prévaut aujourd’hui dans les cercles néo-conservateurs : la révolution française en faisant naître l’utopie d’un monde meilleur est la source du mal qui devait plus tard prendre la forme du stalinisme et du fascisme, tandis que la révolution anglaise ne fut que l’occasion de revenir à d’anciennes traditions et l’américaine ne fut qu’une guerre d’indépendance. Extirper les idées abstraites, utopiques et universelles de l’histoire nationale est d’importance, car la seconde composante de la critique des anti-Lumières est le nationalisme. Herder tente ainsi de montrer que les différentes cultures sont incommensurables. Il se fait le chantre de la diversité culturelle, il célèbre les caractères propres à chaque peuple, qu’il admire... surtout celles du peuple allemand car tout ce qui est français porte le masque hideux de l’universalisme.

 

 Sternhell insiste ici sur la naissance à côté de la modernité rationaliste, d’une autre modernité, relativiste et nationaliste, qui part immédiatement en guerre contre la première. La place me manque pour décrire ici comment cette autre modernité débouche rapidement non pas sur le pluralisme et la tolérance, mais sur une hiérarchie des peuples et des cultures, et comment ces idées, passant d’un auteur à l’autre, revenant en France après l’humiliation de Sedan, n’ayant jamais quitté l’Allemagne, évoluent en se radicalisant, jusqu’à l’affrontement durant la seconde guerre mondiale. Enfin, et c’est sûrement la partie la plus passionnante de l’ouvrage, Sternhell montre que pendant la guerre froide, on observe un retour au relativisme Herdérien, qui irriguera via Isaiah Berlin toute une partie de l’intelligentsia de l’après-guerre. On comprend alors que le post-modernisme ne fait que reprendre le flambeau de cette autre modernité dont Sternhell a dressé le portrait, et qui est souvent anti-scientifique. J’en veux pour preuve ces quelques lignes citées par Sternhell où Berlin reprend un auteur anti-rationaliste allemand du XVIIIe siècle. Elles sont très éloquentes sur le ressort psychologique du rejet de la science et du rationalisme :

  

« toutes les tentatives de généralisation entraînent la création d’abstractions anonymes. Comme Burke quelques années plus tard, il pense qu’appliquer des normes scientifiques aux êtres humains conduit à une vision erronée et finalement profondément avilissante de ce qu’ils sont.» 

  

Le livre de Sternhell permet aussi de comprendre pourquoi une certaine gauche communautariste se retrouve idéologiquement plus proche de la droite néo-conservatrice que de la gauche républicaine : c’est parce qu’on a fait de Herder le découvreur de la diversité des cultures, alors que cette idée était aussi présente chez Montesquieu et Voltaire, mais avec une différence de taille, et je cite ici Sternhell :

 

« Cependant, si les hommes des Lumières avaient ce sens du pluralisme des cultures, ils préservaient l’unité du genre humain. Les hommes devaient être saisis dans leur contexte historique, mais l’humanité était une, l’homme un individu rationnel et ses faiblesses un produit de l’environnement et non pas de sa nature. Ce n’est pas dans la seconde moitié du XXe siècle que l’on a inventé l’idée selon laquelle il n’existe pas de hiérarchie entre les sociétés, et que l’Européen n’a pas de raison valable de se considérer comme supérieur aux autres habitants de la planète. Le XVIIIe siècle français connaît l’existence d’individualités culturelles distinctes, mais un Voltaire et un Montesquieu pensent qu’une hiérarchie existe, et que cette hiérarchie est une hiérarchie de valeurs : une société où sévit l’absolutisme est inférieure à une société où est assurée la liberté individuelle. Un Rousseau et un Helvétius voient dans une inégalité démesurée de fortunes un mal auquel il convient de remédier, et non pas un état social parmi d’autres. »

En faisant des penseurs des Lumières des représentants de l’impérialisme culturel occidental (impérialisme français à l’époque), et de Herder un défenseur des peuples opprimés, une certaine gauche s’est ainsi curieusement retrouvée du côté de ceux (Herder, Burke) qui ont défendu ou au moins justifié l’esclavage, contre ceux qui ont inspiré son abolition ainsi que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

 

J’espère vous avoir donné envie de lire ce livre, qui montre bien l’importance et le retentissement immense que peuvent avoir des idées. Plus que jamais le combat des Lumières et des anti-Lumières se poursuit. Je cite Sternhell :

 

« L’antirationalisme, le relativisme et le communautarisme nationaliste, ces trois piliers immuables de la guerre aux Lumières et aux principes de 89, remplissent toujours la même fonction : ils mènent campagne contre l’humanisme, les valeurs universelles tant moquées et finalement la démocratie. »

Par Fabien Besnard envoyé par le MRAP...


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12 juillet 2011 2 12 /07 /juillet /2011 21:33
.Céline

Henri Godard

Biographie

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Une biographie doit toujours les vérifier : les faits, les dates, les chiffres et les lettres. Henri Godard, professeur émérite de littérature, éditeur des romans et de la correspondance de Céline dans la collection de la Pléiade, connaît celles de l'écrivain par cœur. Mais, dans le cas de Céline, plus peut-être que pour d'autres auteurs, il faut articuler l'homme et l'œuvre. Car Céline est justement un cas à part d'articulation biographique : comment concilier l'écrivain, auteur de Voyage au bout de la nuit, de Mort à crédit, de Féerie pour une autre fois, et le raciste qui déversa une haine antisémite monstrueuse dans ses pamphlets et sa correspondance ? On sait que l'empathie du biographe peut parfois conduire à glisser sur certains aspects de l'homme étudié, a fortiori quand il s'agit de justifier, voire de passer sous silence, les moments troubles, les paroles échappées, les prises de position inqualifiables. Rien de tout cela dans cette biographie exemplai­re. Henri Godard suit l'hom­me dans ses voyages et ses péripéties, analyse les œuvres et poursuit l'élucidation de l'énigme : « Comment en était-il venu à se faire une vision si noire des hommes, de la société, de la vie ? Et, qui plus est, à vouloir donner de cette vision une expression si brutale et si provocante ? »

 

L'entrée de Céline dans le XXe siècle monstrueux, elle commence, comme pour tous, avec la guerre de 14-18 : blessé, réformé, dévasté, il fera le récit de sa première vie d'homme dans Voyage au bout de la nuit, tempête qui secoue le monde littéraire en 1932. Le médecin Destouches devient alors Céline, chirurgien des âmes, plume et scalpel en main pour charcuter sans fioritures. Eloges, critiques, jugements nuancés ou enthousiastes, le petit monde littéraire exprime des réticences ou salue un roman qui fera date. Mais c'est la suite que l'on attend, moins avec Mort à crédit, dont le faible succès critique et commercial désespère Céline, qu'avec les fameux pamphlets qui marquent son auteur au fer rouge. Mea culpa (1936), Bagatelles pour un massacre (1937), L'Ecole des cadavres (1938), Les Beaux Draps (1941) signent l'adoption par Céline des idées d'extrême droite et le désignent comme un des plus virulents antisémites d'une époque qui en comptait pourtant beaucoup.

Henri Godard ne laisse rien passer et fait litière de l'argument que développera Céline quand il ruminera après la guerre dans sa prison danoise. Il montre un Céline hurlant : « A moi Descartes ! A moi Voltaire ! A moi Chateaubriand ! A moi Hugo ! », se refusant au moindre remords et s'enfermant dans la posture de celui qui est victime d'avoir voulu, par pacifisme, dénoncer les juifs, qui appelaient à la guerre. L'invocation du style, du seul style, la référence à Rabelais et à l'humour français ne sont pour Céline qu'arguments pour insulter encore et toujours les autres, les auteurs jaloux, les irrémédiables opportunistes et d'autres cibles qu'il désigne désormais par « le péril jaune et noir ».

Parti de France en 1944, revenu en 1951 après son intermède danois et l'amnistie accordée par la justice française, Céline a encore dix ans à vivre. Le reclus de Meudon s'attelle à Féerie pour une autre fois. L'existence de l'écrivain vacille alors entre haine et outrance, espoir de réapparaître comme un grand auteur et doute... S'appuyant sur une forte documentation, Henri Godard le décrit fulminant contre ses éditeurs, Gallimard, dont il attend les chèques, ou Paulhan, « Landru prousteux, massacreur de textes », qui avait pourtant plaidé en faveur de son retour en librairie. Cette magnifique biographie rend justice à tout ce que l'on doit savoir de Céline : un homme sur le fil du génie et de l'ordure, fantôme errant qui ne cesse de hanter l'histoire politique et littéraire.

Gilles Heuré

Telerama n° 3204 - 11 juin 2011
 
Ed. Gall| Ed. Gallimard, coll. NRF-biographies. | 594 p., 25,50 EUR.imard, coll. NRF-biographies. | 594 p., 25,50 EUR.
 
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12 juillet 2011 2 12 /07 /juillet /2011 21:14
Jaurès, la passion du journaliste
de Charles Silvestre

 

Présentation de l'éditeur

Jaurès est d’un autre siècle. Mais, à y regarder de plus près, voici un destin de journaliste qui, aujourd’hui, en laisserait plus d’un rêveur. Son engagement est dans la raison, la démonstration, la conviction acquise. Ecrire c’est penser.

Le cœur, l’amour raisonné du peuple, toujours affleurent chez Jaurès, et l’on songe à cette plaie actuelle qu’est l’esprit sec et le respect des puissants. Ces traits se retrouvent dans la La Dépêche, où il signera 1312 articles ; La Petite République, pour l’affaire Dreyfus ; L’Humanité, depuis qu’il la fonde le 18 avril 1904 jusqu’à son assassinat le 31 juillet 1914, où 2650 textes portent son nom. C’est dans ce journal que culminent son éthique socialiste et son art visionnaire. Jaurès où les noces heureuses du journalisme et de la politique.

Ce parcours a inspiré la passion de l’auteur pour l’œuvre de Jaurès, qui redonne goût (et exigence) à la presse, aujourd’hui en grave crise de confiance.


Le Temps des cerises,
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1 juillet 2011 5 01 /07 /juillet /2011 07:20

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Il s'agit d'un corpus de textes nationaux (lois, décrets) et internationaux (conventions, traités, chartes) relatifs à la protection du patrimoine culturel au Congo.
Chaque texte est assorti d'un commentaire pour situer le lecteur sur les divers point qu'il traite.

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20 juin 2011 1 20 /06 /juin /2011 17:29

Soutenir les "Editions Du Croquant" !

 

Les Editions Du Croquant ont été crées il y a neuf ans sous une forme coopérative -  unique dans le monde éditorial -  avec un statut permettant aux auteurs, éditeurs et lecteurs d'être associés, ceci afin d'assurer durablement l'autonomie éditoriale de la production des livres et l'indépendance vis-à-vis des logiques financières de rachats que subissent souvent les petits éditeurs indépendants.

 

Les Editions Du Croquant se distinguent également par un fonctionnement interne différent des autres maisons d'édition : pour la plus large partie du catalogue, les décisions éditoriales de publication sont prises par des collectifs, notamment de chercheurs, qui sélectionnent les manuscrits, critiquent les contenus et aident les auteurs. Ce dispositif donne une grande autonomie aux groupes et réseaux qui dirigent chaque collection.

 

Mais depuis le début de l'année 2011 les ventes s'effondrent pour l'ensemble des éditions françaises, notamment en sciences humaines et sociales et particulièrement pour les livres académiques et volumineux. Cette évolution menace la sécurité financière de la coopérative à court terme et ne peut être compensée dans les prochaines semaines que par des ventes en ligne de livres (sur les pages web indiquées ci-dessous pour l'ensemble du catalogue).

Pour toute information merci de prendre contact avec Alain Oriot, fondateur et administrateur des Editions Du Croquant : <alain.oriot@wanadoo.fr>


L'Equipe Editoriale de Terra
:

Michel Agier - Rémy Bazenguissa-Ganga - Marc Bernardot - Didier Bigo - Laurent Bonelli - Alain Brossat - Patrick Bruneteaux - Elsa Dorlin - Milena Doytcheva - Jules Falquet - Jane Freedmann - Nacira Guénif - Eric Guichard - Rada Ivekovic - Olivier Le Cour Grandmaison - Arnaud Lemarchand - Alain Oriot - Salvatore Palidda - Hélène Thomas - Jérôme Valluy - Aurélie Veyron-Churlet - Chloé Anne Vlassopoulou.


Collection TERRA

 

Persécution des femmes
Parution : 16/11/2007
ISBN : 978-2-9149-6834-8
672 pages
14 X 20,5 cm
30.00 euros
PDF (8.37 Mo)
15.00 euros
 
 
Jane Freedman - Jérôme Valluy
Persécution des femmes
 
Savoirs, protections et mobilisations
Sous la direction de Jane Freedman et Jérôme Valluy
Mariages forcés, grossesses ou avortements forcés, mutilations génitales, lapidations, défigurations à l’acide et autres crimes d’honneur, esclavages et violences domestiques sans recours, viols d’épurations ethniques, esclavage sexuel et prostitution forcée, privations traditionnelles ou politiquement tolérées de libertés et droits humains fondamentaux…
Dans ce domaine, les travaux des sciences humaines et sociales n’ont généralement pas été produits en relation avec la problématique de l’exil et de la protection internationale des réfugiés. Ce point de vue spécifique permet de reconsidérer les données existantes sur la situation des femmes persécutées dans le monde et d’apporter des connaissances nouvelles qui permettent d’inaugurer une anthropologie des persécutions spécifiques aux femmes.
Les persécutions des femmes ne sont pas seulement des faits sociaux, elles sont aussi des causes de mobilisations sociales nationales et internationales. Le mouvement féministe participe, par ses actions, à la reconnaissance de ces persécutions mais demeure segmenté par les frontières nationales et par le fossé qui sépare le « nord » et le « sud » des conditions économiques et sociales : les « violences aux femmes » ici, sont peu reliées encore aux « persécutions des femmes » làbas.
A la croisée de la sociologie des mouvements sociaux et des rapports de domination entre les genres, les recherches existantes montrent que ce sont surtout les associations caritatives et humanitaires qui se mobilisent aujourd’hui en faveur de la reconnaissance et de la protection des victimes de persécutions spécifiques aux femmes.
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24 mai 2011 2 24 /05 /mai /2011 10:45

 

D’ailleurs nous sommes d’ici - journée du 28 mai 2011

(Re)Construire un mouvement national et unitaire contre le racisme, la politique d’immigration du gouvernement et pour la régularisation des sans-papiers

auteur Olivier Le Cour Grandmaison est un universitaire français né le 19 septembre 1960 à Paris. Historien spécialiste des questions de citoyenneté sous la Révolution française et des questions qui ont trait à l’histoire coloniale, il enseigne les sciences politiques à l’université d’Evry-Val d’Essonne ainsi qu’au Collège international de philosophie.

 

résumé

Aucun doute : l’offensive xénophobe et sécuritaire, dont l’actuel ministre de l’Intérieur est le héraut, va se poursuivre et sera au cœur de la campagne des présidentielles. Il est urgent de (re)construire un mouvement national et unitaire contre le racisme, la politique d’immigration du gouvernement et pour la régularisation des sans-papiers. Tel est le sens de l’Appel à manifester partout en France le 28 mai 2011 (http://dailleursnoussommesdici.org), signé par des dizaines d’organisations politiques, de très nombreux syndicats, associations et élus locaux, députés et parlementaires européens.

à propos

Le réseau TERRA est signataire de l’appel à une mobilisation nationale et unitaire contre le racisme, la politique d’immigration du gouvernement et pour la régularisation des sans-papiers aboutissant à la journée du 28 mai 2011 : http://dailleursnoussommesdici.org

 

Olivier Le Cour Grandmaison, "D’ailleurs nous sommes d’ici - journée du 28 mai 2011", Recueil Alexandries, Collections Reflets, avril 2011, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article1157.html

« La France se replie sur elle-même. Elle a peur pour son standing, sa tranquillité et même la couleur de sa peau. (…)L’ennemi (…) : c’est le jeune immigré, et plus précisément le jeune Maghrébin et le jeune noir. (…) à y regarder de plus près, il y a dans ce pays deux politiques de l’immigration : l’une d’intégration (…) pour les bons, c’est-à-dire pour ceux qui ont le type européen ; l’autre de ségrégation et de rejet, dans la plus pure tradition du racisme colonial, pour les mauvais, c’est-à-dire pour ceux qui viennent principalement du continent africain. Comme il y a deux politiques de la jeunesse : l’une élitiste et l’autre de précarisation et de contrôle social pour le plus grand nombre, en particulier tous ceux qui sont parqués dans les banlieues-dépotoirs. Les jeunes « immigrés » du sud de la Méditerranée sont, au bout du compte, pris deux fois dans le collimateur. » Ainsi s’exprimait Félix Guattari en 1981 dans un appel intitulé : « Non à la France de l’Apartheid (ou le nouveau manifeste des 121. » Le même dénonçait les conséquences désastreuses de ces orientations : savoir les expulsions qui s’élevaient à cinq mille en 1980.

 

Cette citation est doublement exemplaire en ce qu’elle témoigne de l’ancienneté des politiques anti-immigrés et anti-jeunes fondées sur la stigmatisation, la relégation géographique, sociale et professionnelle, et sur des discriminations multiples tout d’abord, et de la spectaculaire radicalisation de ces politiques ensuite. En trente ans, l’arsenal juridique et répressif, mobilisé contre cette catégorie particulière d’étrangers et contre les mal nommés « jeunes issus de l’immigration », a été constamment renforcée, et le nombre des expulsions multiplié par six pour atteindre près de 30 000 par an depuis que Nicolas Sarkozy est devenu président de la République. Cette involution remarquable mais sinistre a pour cause récente la politique conduite par les différents gouvernements Fillon depuis 2007 qui, en ces matières, s’appuie sur deux « principes » : « le charter » pour les uns, le « Karcher » pour les autres. Ces orientations distinctes, certes, mais liées entre elles, prospèrent sur une xénophobie élitaire toujours plus décomplexée, et sur une hantise des classes pauvres jugées dangereuses par les défenseurs d’une France des « terroirs », « blanche », « chrétienne » et réputée travailleuse. Ceux-là se croient modernes, réalistes et à l’écoute de « leurs concitoyens », selon la formule consacrée, ils sont de vrais réactionnaires en fait dont les discours empruntent à une rhétorique passéiste qui réhabilite un pays depuis longtemps disparu. Ils prétendent préparer la France de demain ; leurs propos trahissent le désir nostalgique de rétablir un ordre ancien et mythique.

 

Plus grave, force est de constater que sur ce terrain, notamment, le chef de l’Etat et la majorité qui le soutient ont volé de victoires en victoires puisqu’ils sont parvenus à imposer sans grande difficulté leur politique. Ces victoires se lisent dans le prurit législatif et réglementaire qui affecte depuis des années le droit des étrangers et le champ particulier de la sécurité publique ; tous deux soumis à des réformes incessantes et à chaque fois plus attentatoires aux prérogatives des personnes visées, quelles soient allochtones ou françaises. A preuve, aussi, les récentes déclarations du nouveau ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, qui estime que la traque des immigrés en situation irrégulière ne suffit plus. Désormais, il compte s’attaquer à l’immigration légale, au regroupement familial et aux demandeurs d’asile, notamment. Pareille offensive conduite par le parti au pouvoir est sans précédent sous la Cinquième République.

 

Enfin, et ceci explique pour partie cela, ces victoires ont été possibles parce qu’elles s’appuient sur d’autres remportées elles sur le terrain idéologique comme le prouve le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme pour l’année 2010. 56% des personnes interrogées estiment en effet qu’il y a « trop d’immigrés en France » - plus 9 points par rapport à 2009 -, 67 % soutiennent que « les immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale » et 50% jugent que l’on ne « se sent plus chez soi (…) en France » - plus 9 points également. Très sombre tableau qui révèle ceci : la « bataille de l’opinion », comme disent les spécialistes, a été gagnée par celles et ceux qui, du Front national à l’UMP, tiennent depuis des années des discours xénophobes en faisant des immigrés et de certains nationaux d’origine étrangère la cause de maux multiples qu’il faut combattre au plus vite.

Dans cette conjoncture, où le parti majoritaire recycle sans fin les thèses de l’extrême droite en les lestant ainsi d’une légitimité nouvelle et sans précédent dont témoignent les chiffres précités, les protestations des dirigeants des gauches parlementaires et radicales sont nécessaires mais insuffisantes. De même les résistances locales aussi courageuses et obstinées soient-elles. Un tel constat vaut pour les associations comme pour les syndicats engagés aux côtés des « sans-papiers. » Neuf mois après l’accord passé, le 18 juin 2010, entre la CGT et le gouvernement, par exemple, seuls 200 travailleurs ont été régularisés sur les 3900 dossiers déposés en préfecture, et les déclarations réitérées de Claude Guéant laissent présager le pire en ce domaine comme en beaucoup d’autres. Quant aux rassemblements, justement organisés par des cartels d’organisation pour protester contre le projet de loi Besson, ils réunissent fort peu de manifestants. Depuis trop longtemps, Nicolas Sarkozy et ses gouvernements successifs sont forts des faiblesses d’une opposition partisane, syndicale et associative qui, en dépit de déclarations unitaires, s’en tient à des modalités d’action sectorielles et limitées où la pusillanimité de certains le dispute aux dérisoires querelles de clochers de quelques autres.

 

« Résistance » scandaient de nombreux participants aux manifestations contre la réforme des retraites. Relativement à la politique d’immigration de ce gouvernement, il ne suffit pas de le répéter, il faut désormais l’organiser, ici, maintenant et pour les mois à venir car désormais aucun doute n’est permis : l’offensive xénophobe et sécuritaire, dont l’actuel ministre de l’Intérieur est le héraut sinistre et dangereux, va se poursuivre sans relâche et elle sera au cœur de la campagne des présidentielles. Nul besoin d’être grand clerc, en effet ; la majorité a choisi : pour tenter de faire réélire son très impopulaire champion, elle est prête à tout. Dans ce contexte, construire un vaste mouvement national et unitaire contre le racisme, la politique d’immigration du gouvernement et pour la régularisation des sans-papiers est une nécessité impérieuse. Tel est le sens de l’Appel, signé par des dizaines d’organisations politiques, de très nombreux syndicats, associations et élus locaux, députés et parlementaires européens -http://dailleursnoussommesdici.org/ - , à manifester partout en France le 28 mai 2011. Avec Nicolas Sarkozy et l’UMP, tout est possible, surtout le pire. Assez !
O. Le Cour Grandmaison - Pour Terra 22.04.2011

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1 mai 2011 7 01 /05 /mai /2011 20:22

Marc Bernardot

Compte-rendu du livre "Gérer les indésirables - Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire" de Michel Agier (Flammarion, nov. 2008, 350 p)

 

auteur:

Marc Bernardot est Professeur de sociologie à l’université du Havre. Ses recherches portent sur la sociologie des migrations (mode de vie des migrants, appropriation de l’espace, politiques publiques des circulations migratoires) et la sociologie urbaine (politiques d’aménagement du territoire, logement très social et non-ordinaire) dans une perspective de sociohistoire de l’Etat et de la police ainsi que des transformations postcoloniales de la (...)

résumé

Au-delà de l’impressionnante somme de matériaux empiriques accumulés depuis la Colombie jusqu’au Soudan et au Kenya en passant par le Libéria, le Sierra Léone et la Palestine, le plus grand mérite de ce texte est selon moi d’offrir une grille d’interprétation du monde des camps reliant les pays du sud et ceux du nord.

citation

Marc Bernardot, "Compte-rendu du livre "Gérer les indésirables - Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire" de Michel Agier (Flammarion, nov. 2008, 350 p)", Recueil Alexandries, Collections Recensions, avril 2011, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article1158.html

 

J’ai grand plaisir à commenter [1] l’ouvrage de Michel Agier à la fois parce que j’ai eu l’occasion de travailler avec lui ces dernières années dans le cadre du réseau TERRA et dans des équipes de recherches qu’il a dirigées sur la question des camps et aussi parce que ses travaux m’ont accompagné dans les différentes étapes de mes recherches sur les formes d’internement et de mise à l’écart des étrangers [2]. C’est notamment à ses livres et articles d’anthropologie urbaine [3] et à ceux sur la dimension politique et urbaine des camps de réfugiés auxquels je pense [4]. Je ne réagirai ici que sur cette dernière question laissant de côté les autres points qu’il aborde comme le gouvernement humanitaire et me risquerai ensuite à quelques mises en perspective pour élargir la réflexion sur les camps comme espace post-colonial.

 

Des camps, du Sud au Nord

Au-delà de l’impressionnante somme de matériaux empiriques accumulés depuis la Colombie jusqu’au Soudan et au Kenya en passant par le Libéria, le Sierra Léone et la Palestine, le plus grand mérite de ce texte est selon moi d’offrir une grille d’interprétation du monde des camps reliant les pays du sud et ceux du nord. Il propose d’abord (partie 1. Un monde d’indésirables, un dispositif de camps) de problématiser cette réalité multiforme et multi-située en faisant fond sur le concept de « sans-Etat » de H. Arendt recoupant ceux de « surnuméraires » chez M. Davis, de « déchets humains » chez Z. Bauman, de « vie nue » chez W. Benjamin ou encore de « parias » chez E. Varikas et L. Wacquant pour tenter de rendre compte de la convergence entre processus d’exclusion sociologique et de mise à l’écart spatiale. « Seule une communauté existentielle, fondée sur l’expérience partagée et la situation vécue, réunit alors ces foules anonymes dans une histoire faite de ruptures violentes, puis dans une catégorie identitaire administrative (réfugiés, déplacés, clandestins, demandeurs d’asile) et enfin dans un traitement sécuritaire et humanitaire à part. » (p. 31). Qu’est-ce que veut dire gouverner les sans-Etats ? Il s’agit pour Agier d’une pure affaire de police de plus en plus perfectionnée qui consiste à identifier les indésirables et les contenir en les tenant à l’écart. (p. 34). Ce type de traitement sécuritaire et humanitaire provoque une extrême transitivité et commutativité des catégories successivement de déplacés, réfugiés, clandestins, maintenus, demandeurs d’asile, déboutés, expulsés, sans-papiers, tolérés, etc. (p. 54), dans une logique absurde et dévastatrice.

Il dresse ensuite une tentative d’inventaire des différentes espaces qu’il classe selon leurs fonctions en prenant soin de s’écarter des typologies et des catégorisations des institutions concevant et gérant ces territoires de ban-lieux. « Avec les déplacements de populations, les espaces frontières et les camps forment une réalité mouvante dans l’espace, mais aussi ‘‘liquide’’ dans sa substance. (…) Camps et zones de frontières sont exemplaires jusqu’à l’excès de cette liquidité, voire d’une certaine plasticité. (…). Ce sont les espaces de la mobilité » qu’il faut resituer dans « un ensemble plus large d’espaces de confinement et de circulation. » (p. 59). [5] Il distingue ainsi les refuges auto-organisés, les centres de tris, les espaces de confinements et les réserves non protégées. J’attire ici l’attention sur les premiers (p. 64) qui permettent de rapprocher l’expérience des camps libériens de la situation des regroupements du Bois de Dubrulle dans le Calaisis ou des forêts de Belyounech ou de Gourougou au Maroc et de rendre compte de situations limites [6]. Ces Cross borders points, campements, jungles, ghettos, zones grises et autres squats constituent des refuges au premier sens du terme. Ce sont des cachettes et des abris provisoires dans les forêts ou les villes, des lieux de repos ou d’attente pour se rendre invisible entre deux postes frontières dans l’attente d’un passage éventuel. Les espaces informels occupés illégalement par des sans Etats, au sens littéral de la formule, sont des enclaves de fixation momentanée près d’une frontière. M. Agier montre néanmoins l’organisation d’un ordre interne, avec la succession de chairmen en fonction des départs, qui débouche sur une certaine spécialisation structurant les rythmes de franchissement des grilles ou l’approvisionnement. Il en est de même dans les squats urbains à Monrovia, qui, un temps ville de transit, a pu fonctionner comme un immense « camp de déplacés », avec de nombreuses installations spontanées dans d’anciens hôtels ou dans des immeubles en construction, des maisons désaffectées, détruites ou inachevées parfois dirigées par des « boss » et où se structurent de petits commerces. « Toutes ces situations sont marquées par une grande précarité matérielle et par le sentiment qu’ont celles et ceux qui s’y installent de n’être là que pour de courtes périodes. Si c’est effectivement le cas en général, ces zones sont aussi des plaques tournantes durablement établies, et parfois des lieux de stabilisation urbaine » (p. 73). Ces « zones grises », figures extrêmes de hors-lieux, constituent le « premier étage du grand édifice des camps d’aujourd’hui ». Selon Agier on peut établir une continuité de sens et de fonction reliant les campements et les occupants, car dans ces seuils et ces interstices, dans ces territoires incertains et liminaires, ni ruraux ni urbains, les individus restent sous l’emprise de l’Etat qui conserve le pouvoir de les contrôler ou de les abandonner.

Il s’intéresse par ailleurs à trois dimensions de la transformation que provoque la vie dans les camps et qui sont liées entre elles, la subjectivation, la politisation et la citoyenneté (partie 2 : la vie quotidienne dans les camps de réfugiés). Il pose à la suite la question de l’urbanité des camps et des reconfigurations à l’œuvre dans ces espaces en particulier la transitivité des catégories et la capacité d’appropriation de la part des réfugiés, qui y trouvent parfois des programmes bénéfiques de protection et de formation, des femmes en particulier. Il observe comment les espaces d’enfermement gérés par le « gouvernement humanitaire » deviennent parfois des espaces publics dont les occupants parviennent à s’arracher à la condition de « victime » et à faire émerger une parole et une action collectives. « Parler des camps aujourd’hui – c’est le but le plus essentiel et d’une certaine façon, le plus politique de cette enquête –, c’est contribuer à les faire sortir de la non-existence, de la non-temporalité, les socialiser eux-mêmes en tant que milieux profondément hybrides et vivants. » (p. 125)

A partir d’histoire de vie de réfugiés rencontrés dans les camps de Guinée (p. 144 et suiv.), Agier raconte les expériences partagées par ces civils, sortes d’Ulysses contemporains qui auraient pu apparaître sous les plumes d’I. Babel ou de V. Grossman pendant la révolution russe ou de A. Kourouma ou J.M. Coetzee dans les conflits africains, dans de longues périodes dans « le son de la guerre » (et l’exposition aux pratiques d’exécution, de viol, d’enlèvement et de torture, de mutilation et d’esclavage y compris dans certains camps), puis des périodes d’allers-retours entre les camps ou les villages et les forêts avoisinantes où l’on doit se terrer, cacher de la nourriture ou se nourrir de tubercules, résister aux privations et survivre au manque de soins avant de retrouver les grilles d’un autre camp. Se développent un mode de vie et une culture de guerre qu’il repère dans les camps par où passent les réfugiés et dans lesquels il constate que des « changements importants ont lieu au cours de cet apprentissage de la vie dans un habitat et un cadre écologique qui ne sont ni tout à fait ruraux, ni tout à fait urbains, mais proche en apparence des lotissements, des quartiers populaires, de petites agglomérations, des invasions périphériques, des townships. » (p. 161). Ces « villes nues » qui proposent un cadre totalement nouveau pour leurs habitants sont le théâtre de ruptures et de recompositions des solidarités. Les relations dans les camps et avec leur environnement évoluent avec le temps. Se pratique la débrouille dans un climat souvent tendu et marqué par la suspicion et la stigmatisation puis apparaissent les éléments d’une stratification sociale entre anciens et nouveaux réfugiés. Malgré les conditions très précaires, des cases sont parfois aménagées avec soin et décorées, un marché alimentaire et une production maraîchère s’installent, et des recompositions familiales et identitaires s’opèrent dans le camp entre des individus arrachés à leur groupe d’origine, bandes d’adolescents, femmes seules avec enfants, blessés et vieillards, catégories dites de « vulnérables » [7].

Agier envisage aussi l’émergence d’une parole collective sous la forme de revendications (p. 125), de manifestations et de leaders parmi les réfugiés qui font entrer la population des camps dans le politique alors même qu’elle est sans-Etat et que la situation d’exception qu’elle connaît la renvoie, tout comme les pratiques des interlocuteurs humanitaires, à sa condition « passive et résignée d’assistée » (p. 135) de victime absolue, de « vie nue », conceptuellement inapte à la condition de citoyen. Les « cas-limites, palestinien et sahraoui, du point de vue du (non-) devenir des camps et de leur rôle comme lieu d’édification d’un projet politique de retour, l’attitude consistant à penser la temporalité des camps de réfugiés comme absence et attente du retour se nourrit paradoxalement d’une présence et d’une longue socialisation dans l’espace des camps eux-mêmes » (p. 122).

Les hors-lieux et les camps comme institution globale

 

 

Dans un deuxième temps je voudrai discuter la notion de hors-lieux forgée par Michel Agier puis proposer quelques pistes d’élargissement de la perspective. « Les hors-lieux se constituent d’abord comme des dehors, placés sur les bords ou les limites de l’ordre normal des choses –un ordre ‘’normal’’ qui reste jusqu’à aujourd’hui, en fin de compte un ordre national. Ils sont caractérisés a priori par le confinement et par une certaine ‘’extraterritorialité’’. Celle-ci se construit pour les réfugiés et les déplacés dans l’expérience d’une double exclusion de la localité : une exclusion de leur lieu d’origine, perdu à la suite d’un déplacement violent ; et une exclusion de l’espace des ‘’populations locales’’ (…). » (p. 267). Plusieurs termes peuvent être rapprochés de ces hors-lieux dont parle Michel Agier. L’hétérotopie foucaldienne, à laquelle il fait référence, est effectivement très heuristique en mettant l’accent soit sur le caractère utopique de ces espaces autres soit sur leur dimension de contre-emplacements. « Il y a également, et ceci probablement dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui ont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables » [8]. La notion de non-lieux de Marc Augé, elle aussi mentionnée, convient également. « Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu. L’hypothèse ici défendue est que la surmodernité est productrice de non-lieux, c’est-à-dire d’espaces qui ne sont pas eux-mêmes des lieux anthropologiques et qui, contrairement à la modernité baudelairienne, n’intègrent pas les lieux anciens. » Augé évoque « les points de transit et les occupations transitoires (les chaînes d’hôtels et les squats, les clubs de vacances, les camps de réfugiés, les bidonvilles promis à la casse ou à la pérennité pourrissante)... » [9]. Mais Agier montre bien dans son ouvrage comme dans les précédents que les camps se transforment dans certaines conditions en bouts de villes ou bien que certaines aires urbaines s’apparentent à des camps, comme les ghettos urbains ou les périphéries autoconstruites. J’ai pour ma part pu étudier la manière dont le camp de réfugiés franco-indochinois (CAFI) de Sainte-Livrade sur Lot était devenu depuis sa mise en service en 1956 un quartier à part entière, même s’il est resté stigmatisé, et constitue maintenant un pivot identitaire et mémoriel de la communauté imaginée qui s’est dispersée à partir du camp [10]. Ce non-lieu dans l’optique d’Augé, ne l’est plus, connecté qu’il est dorénavant avec le cimetière local ou les rares traces matérielles de l’occupation, et l’activisme mémoriel d’ex-occupants. Néanmoins, marqué par les caractères négatifs habituels des lieux choisis pour implanter des camps (terrain, éloigné du centre ancien, d’une poudrerie inachevée installé sur un terrain inondable ayant accueilli des réfugiés espagnols en 1938), le camp de Sainte-Livrade devrait prochainement être détruit après plus de cinquante ans d’utilisation pour faire place à une opération immobilière pilotée par la mairie, et les dernières occupantes expulsées. C’est peut-être dans cette incertitude tenace sur la nature de l’espace et dans l’insécurité inhérente à son occupation que réside le fait d’être un hors-lieux ou un non-lieu.

Tentons maintenant d’élargir la réflexion sur la notion de camps dans le monde contemporain. Comme l’esquisse Michel Agier mais sans s’y arrêter, il est tout d’abord possible d’étendre l’analyse à d’autres politiques et à d’autres conflits comme ceux des guerres asymétriques, de la guerre contre les migrants et même contre les groupes sociaux catégorisés comme déviants [11]. On peut mentionner les proximités entre les techniques de traitement des ennemis civils dans les guerres postmodernes et celles de prise en charge répressive des classes populaires racisées et infériorisées [12]. Les buts et la gestion des camps américains en Irak, en Afghanistan ou encore ceux du réseau de prisons secrètes des « transferts extraordinaires » sont en droite ligne des modalités d’incarcération dans les complexes pénitenciers de sécurité maximum. De même le développement des camps de migrants dans les pays occidentaux et à leurs frontières pose aussi la question de la généralisation des modes de gouvernement militaire et humanitaire à la fois.

Il est un deuxième aspect qui peut élargir encore l’angle d’approche des camps. Ces espaces sont en effet des artéfacts économiques. Michel Agier le note à propos des camps de travail de Firestone (p. 92) et l’exploitation d’un marché officieux de l’emploi (p. 207) de la main d’œuvre réfugiée. Rappelons que les premières formes coloniales de contingentement ont eu des fonctions économiques soit en tant que procédé de mise au travail soit plus globalement comme technique de mise en valeur et d’expropriation [13]. Dans leurs formes actuelles, notamment comme procédé d’enfermement et de déportation d’étrangers illégalisés, l’internement et la mise en camp semblent intégrés au marché du travail en contribuant à sa segmentation [14]. On peut aussi noter l’importance des camps de travail dans le développement post-capitaliste du Moyen-Orient ou de la Chine ou encore dans les pratiques mafieuses de gestion des quartiers de tourisme sexuel et des marchés subalternes notamment agricoles et textiles et dans la systématisation des gated communities [15]. Plus largement encore on peut dire que le camp contemporain prend pleinement sa place au sein du « bidonville global » qu’évoque Mike Davis [16] et assure une fonction économique déterminante dans la « géographie de la domination » que démonte David Harvey [17].

Enfin l’importance croissante de la forme camp dans les sociétés contemporaines interpelle sur la matrice cachée qu’elle peut représenter tant comme dispositif global que comme vision du monde. Les nouveaux régimes de violence politique témoignent d’une routinisation de cadres de pensées d’un Etat racial qui organise une quarantaine des pauvres traités comme des rebelles. Il s’agit d’un processus qui s’inscrit dans la durée. Un lien direct est maintenant établi entre les techniques de guerre psychologique de l’armée française durant les guerres de décolonisation et les dispositifs de l’armée américaine dans la seconde guerre du Golfe [18]. Certains auteurs associent le camp d’internement et le camp de réfugiés dans leur analyse des structures et des politiques raciales au Japon, en Australie ou encore au Canada. La politique d’immigration japonaise actuelle est la continuation des dispositifs de restriction de la mobilité des minorités coréennes et taiwanaises dans l’archipel mis en place durant la Guerre froide. Le processus de démocratisation de l’après-guerre a été marqué par un régime de contrôle des frontières dont le camp était le pivot. Celui-ci combine les traditions du camp militaire et de prisonniers des guerres coloniales et impériales nipponnes et la culture de la réserve indienne et du camp d’internement importée par les cadres américains du Bureau des affaires indiennes et du War Relocation Act contre les Nippo-américains [19]. Le même raisonnement est appliqué à la tradition australienne d’internement [20]. La traduction de « la guerre contre la terreur  » dans les politiques de sécurités intérieures du Canada exacerbe les « fissures raciales du corps social » [21]. Gouvernée par l’Etat, qui sous-traite à des groupes privés, dans le paradigme biopolitique, la société de sécurité tend vers un racisme systémique, qui induit la prolifération des camps. La surveillance différentielle porte en elle l’application du camp aux minorités, soit par l’internement soit par l’ombre du camp, c’est-à-dire la menace de son arbitraire et l’effroi qu’il fait peser. Un lien peut aussi être établi entre la politique d’immigration et le développement d’un complexe industriel sécuritaire et carcéral qui a fait de l’internement des réfugiés et des migrants illégalisés une industrie florissante et envahissante. Les camps peuvent être pensés comme le prolongement des discriminations qui touchent les minorités dans leurs capacités d’accès à l’espace social au sens large, dans des Etats libéraux ou non. Car la forme politique et spatiale du camp apparaît dorénavant comme une institution globale visant simultanément les ennemis, les étrangers et les déviants. Un temps secret ou au moins caché à la connaissance du public, elle est désormais généralisée pour combattre le terrorisme, accueillir et expulser les migrants et exilés, corriger administrativement et compléter les décisions de justice à l’encontre des déviants. Longtemps contenu dans des textes administratif organisant l’exception, le recours à l’internement avec la remise en cause de la protection des droits individuels que cela implique, est maintenant l’objet de lois généralistes l’intégrant dans l’appareil légal et répressif. L’internement est en relation directe avec la xénophobie de gouvernement et le néo-racisme des relations internationales, tout en se rattachant aux traditions nationales de mises à l’écart et de racisme. Le camp se développe, se transforme et s’applique comme technique concomitamment à d’autres pratiques extralégales qui vont de l’élimination physique des suspects de terrorisme aux diverses formes de harcèlement qui visent les étrangers jugés indésirables. Il incarne désormais une nouvelle phase des sociétés de contrôle comme un symptôme de l’arbitraire, de la fragmentation de la souveraineté de l’Etat et de la remise en cause des libertés civiles, au Nord comme au Sud.

 

NOTES

[1] Ce compte-rendu a fait l’objet d’une publication dans une version courte intitulée « Gens des camps et gestes des villes. Michel Agier dans les hors-lieux contemporains », in Politique africaine, n° 114, 2009, pp. 176-180.

[2] Camps d’étrangers, Bellecombe-en-Bauges, Editions du Croquant, 2008.

[3] « Les savoirs urbains de l’anthropologie », Enquête, 1996 ; L’invention de la ville : banlieues, townships, invasions et favelas, Paris, EAC, 1999 ; Au bord du monde, les réfugiés, Paris, Flammarion, 2002.

[4] « De nouvelles villes, les camps de réfugiés. Eléments d’ethnologie urbaine », Actes de la recherche urbaine, 91, 2001 ; « Le camp des vulnérables. Les réfugiés face à leur citoyenneté niée », Les Temps modernes, 627, 2004.

[5] Voir à ce sujet l’ouvrage dirigé par C. Kobelinski et C. Makaremi, Enfermés dehors. Enquêtes sur le confinement des étrangers, Bellecombe-en-Bauges, Editions du Croquant, 2009.

[6] Michel Agier cite notamment le livre de S. Laacher, Le peuple des clandestins, Paris, Calmann-Lévy, 2007.

[7] Pour une critique de la notion dans ses usages experts et scientifiques voir l’article de Thomas H., « Vulnérabilité, fragilité, précarité, résilience, etc. De l’usage et de la traduction de notions éponges en sciences de l’homme et de la vie. », 2008, disponible sur http://terra.rezo.net/article697.html|.

[8] Foucault M., Dits et Ecrits 2, Paris, Gallimard, 2001, p. 1571 et suiv. La « non ville » dont parle Duvignaud pourrait apparaître aussi une solution satisfaisante pour envisager les camps de réfugiés. Mais la première des définitions qu’il donne de la ville peut aussi bien servir à décrire un de ces nuages de tentes et d’abris constituant les camps de réfugiés. « La ville enferme. Enclosure des hommes entassés par une muraille. Elle repousse ainsi la ‘’non ville’’, l’autre – les espaces et les obsessions nomades. (…) La ville est un ogre : elle fascine parce qu’elle dévore tout ce que produit la terre et la mer alentour. », Duvignaud J., Lieux et non lieux, Paris, Galilée, 1977, p. 13.

[9] Augé M., Non-lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, 1992, p. 100 pour les deux extraits.

[10] Bernardot M., Camps d’étrangers, op. cit.

[11] Les camps sont intégrés à d’autres dispositifs soit fixes (murs, frontières), soit mobiles ou à distance (checks-points, surveillance…). Voir sur ces aspects Bigo D., ‘Global (in)Security : The Field and the Ban-Opticon’, Traces, 4, 2006 ; ou Brossat A., « L’espace-camp et l’exception furtive », Lignes, 26, 2008.

[12] Gordon A. F., ‘Abu Ghraib : imprisonment and the war on terror’, Race & Class, 48.1, 2006.

[13] Bernault F. (dir.), Enfermement, prison et châtiment en Afrique. Du XIXeme siècle à nos jours, Paris, Karthala, 1999.

[14] Samers M., ‘Invisible capitalism : political economy and the regulation of undocumented immigration in France’, Economy and Society, 32.4, 2003, De Genova N., ‘The everyday civil war : Migrant working men, within and against capital’, Ethnography, 7.2, 2006.

[15] Diken B. et Laustsen C.B., The Culture of Exception. Sociology facing the Camp, London, Routledge, 2006.

[16] Davis M., Le Pire des mondes possibles. De l’explosion urbaine au bidonville global, Paris, La Découverte, 2007.

[17] Harvey D., Géographie de la domination, Paris, Les prairies ordinaires, 2008. Voir aussi son article « Le droit à la ville », in La revue internationale des livres et des idées, 9, 2009.

[18] MacMaster N., ‘Torture : from Algiers to Abu Ghraib’, Race & Class, 46. 2, 2004.

[19] Morris-Suzuki T., ‘The Wilder Shores of Power : Migration, Border Controls and Democraty in Postwar Japan’, Thesis Eleven, 86, 2006.

[20] Perera S., ‘What is a Camp ?’, Borderlands ejournal, 1.1, 2002, disponible sur http://www.borderlandsejournal.adel....

[21] French M., ‘In the Shadow of Canada’s Camps’, Social & Legal Studies, 16.1, 2007, extrait p. 64.

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14 avril 2011 4 14 /04 /avril /2011 21:16

A la veille de la guerre, la population juive de France offre une grande
diversité que l'on retrouve dans son engagement dans la Résistance, des
Juifs de la Résistance nationale aux organisations de résistance juive
proprement dites. Ces dernières ont aidé les Juifs à se cacher, en
fabriquant à leur intention des faux papiers, en les aidant à franchir
les frontières (suisse ou espagnole) ou la ligne de démarcation, en leur
procurant des moyens financiers pour survivre, en réduisant au silence
ou en abattant les dénonciateurs et les "chasseurs de Juifs", en
organisant des évasions de prisonniers, et en diffusant des informations
destinées à soutenir moralement les persécutés et à leur gagner des
sympathies au sein de la population non juive. Ecrit par une grande
figure de cette résistance, ce livre, qui s'adresse à un large public, a
pour objectif de faire reconnaître la réalité de l'engagement armé des
Juifs contre les nazis, l'organisation des réseaux juifs de sauvetage et
de rendre hommage aux non-Juifs sans l'aide desquels rien n'aurait été
possible.


Couverture de l'ouvrage "Les résistances juives en France pendant l'Occupation"
 
Couverture de l'ouvrage
"Les résistances juives en France pendant l'Occupation


Les résistances juives en France pendant l'OccupationAuteur : Georges Loinger
Editeur : Albin Michel
Collection : Beaux Livres
ISBN : 2226181865
ISBN-13: 978-2226181862
Illustrations noir et blanc et couleur
Prix : 29 €

 
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13 avril 2011 3 13 /04 /avril /2011 15:23
Les épines et les roses Robert Badinter 
  • Récit (broché). Paru en 03/2011
  • En Stock   
  •  

Les épines et les roses

 

 

 

Pour être livré le vendredi 15 avril, commandez avant demain 13h et choisissez la livraison express.

Trente ans après l’élection de Mitterrand et sa nomination à la Chancellerie, Robert Badinter évoque dans ce livre son activité place Vendôme. Nommé garde des Sceaux , il propose « au nom du gouvernement de la République » d’abolir en France la peine de mort, c’est chose faite le 30 septembre 1981....
Il porte également des projets de loi issus des 110 propositions du candidat Mitterrand :
- suppression des juridictions d’exception comme la Cour de sûreté de l’État et les tribunaux des Forces armées en temps de paix ;
- permettre à tout justiciable d’intenter un recours devant la Commission et la Cour européenne des droits de l’homme ;
- amélioration du droit des victimes (cf. la loi du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation) ;
- développement des peines non privatives de liberté (instauration des jours-amendes et des travaux d’intérêt général pour les délits mineurs);
- amélioration de la condition des détenus, etc.
Robert Badinter replace avec précision le lecteur dans la France des années 1980 : terrorisme de tous bords, premières émeutes dans les banlieues, surpopulation carcérale, etc. Batailles politiques, confrontations avec les médias, incompréhensions de l’opinion publique, le combat fut rude. Mais, au fil du temps, la "solitude du coureur de fond" s’estompe et il devient le symbole de l’action de la gauche au pouvoir. Epris d’histoire, nourri par la réflexion universitaire et l’expérience judiciaire, sa conviction pendant ces années est absolue : la grandeur et l’influence de la France sont pour lui à la mesure de son rôle au service des libertés et de la justice ; tel a été le fil conducteur de toute son action en politique.
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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 08:39



De quoi la Palestine est-elle le nom ?
De quoi la Palestine est-elle le nom ?
Date de parution : 10-09-2010
ISBN : 978-2-918597-14-8
17,50 €



Pourquoi la Palestine suscite-t-elle de si furieuses polémiques ? Pourquoi ce conflit autour d’un territoire qui a perdu son importance stratégique et qui ne contient pas une goutte de pétrole, soulève-t-il de si dévastatrices passions ? La Palestine est-elle le nom d’un nouvel antisémitisme qui n’ose dire son nom ?

En réalité, si la Palestine est devenue une cause universelle, c’est d’abord parce qu’elle se situe sur la ligne de faille entre le Nord et le Sud, entre l’Orient et l’Occident, à un moment où l’on assiste à un basculement du monde : l’affirmation de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de l’Afrique du Sud marque la fin de deux siècles de domination occidentale et tourne la page de l’entreprise coloniale. Ce bouleversement n’est pas seulement économique, politique ou militaire, il touche aussi à l’histoire et à son interprétation : l’Occident a perdu le monopole du récit et les vaincus d’hier ont pris la plume.

Longtemps, l’histoire de la Palestine s’est limitée à celle, tourmentée, du peuple juif aspirant, après deux mille ans d’exil, à retrouver une patrie. Pour les autochtones, en revanche, elle se résume à une spoliation, spoliation qui perdure et qui rappelle, de l’Asie à l’Amérique latine, en passant par l’Afrique, une oppression pas si ancienne.

Ce livre veut remettre la Palestine dans le contexte de cette mutation de la scène internationale. Tout en rappelant le lien entre ce territoire et « la question juive », il cherche à modifier radicalement notre perspective sur le conflit, changement indispensable si l’on veut, demain, aboutir à une solution.

Alain Gresh est directeur–adjoint du Monde diplomatique. Spécialiste du Proche-Orient, animateur du blog « Nouvelles d’Orient », il est notamment l’auteur du best-seller : Israël, Palestine. Vérités sur un conflit.

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