"Ahmadinejad a marqué une
rupture lors de son interview à TF1"
Karim PAKZAD par Fabrice Aubert
(TF1, 9 juin 2010)
Karim Pakzad, spécialiste de l'Iran, explique que lors de son entretien au 20h, le président iranien, beaucoup plus modéré que d'habitude, a amorcé un virage dans
ses relations avec la France. Contesté dans son pays, il est à la recherche d'un relais parmi les Occidentaux.
L'entretien diffusé lundi au 20h de TF1 et dont TF1 News diffuse l'intégralité est l'un des rares donnés par Mahmoud Ahmadinejad à une télévision occidentale. Comment
avez-vous trouvé le président iranien ?
Sur la forme, cet entretien est très intéressant et très étonnant. Il marque une rupture dans l'attitude et le
style de Mahmoud Ahmadinejad. Contrairement à ses habitudes lorsqu'il s'adresse à l'Occident, il n'a fait aucune provocation, n'a lancé aucune nouvelle diatribe, notamment contre Israël. Au
contraire, il était cette fois très posé, très réfléchi, adouci et modéré dans le ton. On sent qu'il avait très bien préparé cette interview qui lui permettait à la fois de s'adresser aux
dirigeants français et à l'opinion publique française.
Pourquoi un tel changement maintenant ?
En
interne, Mahmoud Ahmadinejad est fragilisé. Par l'opposition bien sûr avec tout ce qui se passe depuis un an. Mais aussi au sein même du camp conservateur où il a beaucoup de rivaux, notamment le
président du Parlement, Ali Larijani. Le conflit est ouvert et revient très souvent sur le devant de la scène lors de telle ou telle loi ou de telle ou telle décision. Face à cette situation,
Ahmadinejad est obligé de modérer son approche vis-à-vis de l'étranger pour reprendre la main à domicile. Sur le nucléaire, il a ainsi quasiment accepté les demandes des grandes puissances avec
par exemple l'enrichissement de l'uranium à l'étranger.
Cette
nouvelle approche vis-à-vis de la France confirme qu'il recherche des ouvertures à l'international alors que l'Onu s'apprête à voter de nouvelles sanctions. Certes, il n'est pas si isolé que les
Occidentaux le pensent. Il a ainsi beaucoup d'appuis, aussi bien en Afrique, en Amérique latine et bien sûr dans le monde arabo-musulman où il est très proche de la Turquie, pourtant membre de l'Otan. Mais il lui manque une relation apaisée, voire saine, avec l'une des grandes puissances
occidentales.
Pourquoi avoir choisi la France ?
Historiquement, à l'exception de la période de la guerre contre Saddam Hussein entre 1980 et 1988, que Mahmoud Ahmadinejad s'est d'ailleurs payé le luxe de rappeler, la France
a toujours eu de bonnes relations avec l'Iran. Cela remonte à Louis XIV et aux Lettres persanes de Montesquieu. L'Iran a ainsi toujours été considéré comme le pays le plus francophile du
Moyen-Orient. Ensuite, politiquement, avant de revenir dans le commandement intégré de l'Otan, la France était à part des Etats-Unis et de l'Occident. Les Iraniens ont toujours regardé vers elle
et l'ont toujours considérée comme une puissance politique.
Cette nouvelle attitude marque donc une prise de conscience de Mahmoud Ahmadinejad et le retour à une
conception de la politique étrangère iranienne qui comptait sur la France. L'ancien président Mohammad Khatami, venu à plusieurs reprises dans l'Hexagone, s'appuyait ainsi sur Paris pour
débloquer le dossier du nucléaire et les relations avec les Etats-Unis.
L'actualité récente peut-elle servir l'objectif de Mahmoud Ahmadinejad
?
Tout à fait. Elle est propice à de bonnes relations franco-iraniennes. Il l'a d'ailleurs utilisée pour
effectuer ce virage. Tout d'abord, le dossier Clotilde Reiss est réglé. Mahmoud Ahmadinejad a d'ailleurs admis qu'il s'agissait d'une affaire politique puisque il a expliqué que sa libération
était un "geste de la part de l'Iran". Cela signifie de fait que le pouvoir judiciaire n'a pas eu son mot à dire. Ensuite, la France apparaît moins hostile que les autres pays à la proposition
Brésil/Turquie/Iran sur le nucléaire et l'enrichissement d'uranium iranien à l'étranger. Même si Nicolas Sarkozy ne veut pas se fâcher avec son ami Lula, qui a émis l'idée, il semble qu'il pense
que cet accord pourrait contribuer à la relance du dialogue. Pour parfaire sa tentative de séduction, Mahmoud Ahmadinejad a aussi rendu hommage à la position de Paris sur l'assaut contre la
flottille pour Gaza.
Outre l'opinion publique française, Ahmadinejad avait donc pour but, avec
l'interview, d'amadouer Nicolas Sarkozy ?
Tout à fait. Mahmoud Ahmadinejad est même allé plus loin en lui conseillant de prendre son indépendance
vis-à-vis des Etats-Unis.
Mahmoud Ahmadinejad a également abordé le dossier israélo-palestinien lors de l'interview.
Sur ce point, il s'est adressé à l'opinion publique arabo-musulmane en mettant en cause la légitimé de la
création d'Israël par la force et en la liant à la souffrance des Palestiniens. Mais, contrairement à son habitude, il n'a pas affirmé qu'il souhaitait "rayer Israël de la carte". "Je ne veux
éliminer personne par la force", a-t-il dit.
Sur ce point, il a infléchi ses précédentes déclarations, en visant
l'opinion publique occidentale. Pourquoi
?
On en
revient aux fondamentaux de sa rupture de style. Il a besoin d'une ouverture et d'appuis en Occident. Il sait très bien que le dossier du nucléaire ne sera pas résolu sans les grandes
puissances.