On connaissait la boîte de lait recyclée, les cadeaux moches de tatie refourgués sur ebay, mais on ne connaissait pas
encore le gadget politique réutilisé sans relâche depuis des années. Bienvenue dans le feuilleton de la TVA sociale, que Nicolas Sarkozy vient de faire rebondir. Mais pourquoi donc ?
Avec l'increvable feuilleton de la TVA sociale, nous sommes typiquement dans le développement durable de l’acte politique.
Attention les gars on va faire la TVA sociale, non pas maintenant, enfin si mais pas comme ça, et ça dure, et ça dure. Nous, là-dedans, on se sent paumés, et sans s’inviter dans la cabine du patron, même sans savon dans l’oreille, on pige que dalle à la TVA sociale.
Pourquoi on ne comprend rien ? Parce qu’avec un nom pareil, les pistes sont brouillées. Cette TVA n’a rien de social, tout
comme le plan social n’a rien de social non plus. Son principe est simple : il s’agit de financer la protection sociale non plus à l’aide des charges sur les salaires mais via les recettes de
la TVA, quitte à augmenter le taux de celle-ci.
Ce qu'on ne comprend pas non plus, c'est pourquoi Sarkozy relance le gadget lors de ses vœux du 31 décembre, gadget repris
ensuite par les ministres qui promettent sa mise en place avant les
élections. Quoi ? Sarkozy veut augmenter la TVA ? Impôt injuste par excellence, il lèse les plus faibles revenus : la députée PS des Deux-Sèvres a calculé, sur twitter, qu'un salarié au SMIC consacre 10% de son revenu net à la TVA, soit 2 fois plus qu'un salarié qui
gagne 10 000 €/mois. Maso, Sarkozy ?
Remarquez, il s’est bien gardé de prononcer le mot de TVA sociale. Il a seulement affirmé que le financement de la
protection sociale "ne peut plus reposer principalement sur le travail, si facilement délocalisable. Il faut alléger la pression sur le travail et faire contribuer financièrement les
importations qui font concurrence à nos produits avec de la main-d’œuvre à bon marché." Mais tout le monde a compris.
Cherchez l’intrus
Du coup, avec ces histoires de travail délocalisable et d’importations coupables, Sarkozy brouille non plus les pistes mais
l’écoute. Il est bien aidé par Jean-François Copé qui préfère le terme de TVA anti-délocalisations ou par Manuel Valls qui, lui, parle de TVA protection. Enfin parlait. Peut-être vous
l’ignorez, mais en octobre dernier, quand Valls était candidat aux primaires socialistes, il signait dans les Echos une tribune intitulée "oui, la TVA sociale est une
mesure de gauche". Mais ça, c’était avant son job de directeur de communication de François Hollande. Comme quoi, il n’y a pas qu’à l’UMP qu’on mange des ronds de chapeaux.
resucée et mauvais souvenirs
Pourquoi Sarkozy ne prononce-t-il pas les mots TVA sociale ? Première explication : il l’a déjà vendue dans son programme
présidentiel de 2007 sans jamais l’avoir mise en place. Du coup, ça fait resucée. Deuxième explication : le mot lui rappelle un très mauvais souvenir. Souvenez-vous, juste avant les
législatives de 2007, Laurent Fabius pose une question à Jean-Louis Borloo sur un plateau télévisé et ça donne ça :
Alors Monsieur Borloo, vous allez augmenter la TVA n’est-ce pas ? La prestation de Borloo est pathétique, et d’aucuns lui
reprocheront d’avoir fait perdre de nombreux sièges à l’UMP, pour qui l’élection ne devait être qu’une formalité. On comprend donc -le masochisme supposé de Sarkozy ayant des limites- qu'il ne
prononce pas les mots.
aux rapports
Merci Borloo : la majorité a préféré avancer prudemment sur le sujet. En septembre 2007, ce n’est pas un mais deux rapports
qui sont remis à l’Elysée. L’un est signé Eric Besson, c’est du solide, il fait 157 pages (écrit petit) et il est plutôt enthousiaste: parmi les constats, le transfert des charges sur la TVA apparaît "favorable à la compétitivité de l’économie
française", "une telle réforme créerait des emplois, les prix des produits français devraient rester globalement stables si les entreprises ne « captaient » pas à leur profit
les baisses de charges", et de conclure en appelant à un grandébat avec les partenaires sociaux (à l’époque, on lançait la mode des grandébats). L’autre rapport est signé Christine
Lagarde, et c’est moins un rapport qu’une note : pensez, il fait 20 pages. Cette note, émanant de l'inspection générale des finances, est plus réservée et souligne que "la TVA sociale ne pourrait jouer qu’un rôle d’appoint dans la
mise en place d’une stratégie d’amélioration de la compétitivité des entreprises françaises." Et d’ajouter : "elle ne constituerait qu’un levier parmi d’autres pour obtenir une baisse
du coût du travail : une taxe de lutte contre le changement climatique, par exemple, pourrait permettre de financer une baisse du coût du travail par une taxation plus forte des émissions de
gaz à effet de serre et des pollutions."
Bonne ou mauvaise idée ? La question sans réponse
Bref, les rapports de septembre 2007 ne sont pas sur la même longueur d’onde ce qui n’empêchera pas le Sénat de leur trouver des points communs : Bien que la presse considère généralement que le rapport de M.Eric
Besson est favorable à la TVA sociale, alors que la note de l'inspection générale des finances y serait défavorable, les analyses présentées sont sur le fond très proches." Faut dire
qu’ils avaient déjà du grain à moudre avec un précédent rapport du Sénat en date de mars 2007 et conduit par Jean
Arthuis. Voire avec celui commandé en 2004 par Sarkozy alors ministre finances.
A chaque fois les conclusions sont les mêmes : il y a du bon mais aussi du mauvais. Ça peut jouer sur l’emploi comme ne
pas. Ça peut jouer sur les prix à la baisse, ou à la hausse. Ça peut créer de l’inflation, ou non. Bref, si vous voulez en avoir le cœur net, je vous invite à lire la page wikipédia sur la TVA sociale (un fleuve) et vous verrez vite de quoi je parle: personne n’est d’accord, les exemples allemand et
danois, aussi brillants soient-ils, ne sont pas transposables à la France, et son application dans les DOM-TOM ne fait l’objet d’aucun résultat concluant.
La TVA sociale est donc devenue un gadget politique (le blogueur Seb Musset parle de flooder) agité pour faire diversion, pour faire fumigène pour reprendre un
mot du patron. Quand il sort du placard, la majorité s’étripe, le PS se frotte les mains tout en criant ô aberration et le gadget politique devient aussitôt un gadget médiatique :
Notons qu’il y en a un qui a vu le coup venir, c’est Philippe Askenazy dans un billet du Monde économie du 19
décembre. L’économiste et directeur de recherche au CNRS posait la question Y aura-t-il de la TVA sociale à Noël ? On apprend dans son papier que le sujet TVA sociale date des années 80, que le premier rapport fut confié à Henri de Castries, devenu
depuis PDG d'Axa et que "trente ans après, nous en sommes toujours au même point".
et nous dans tout ça ?
Pas étonnant qu’on soit complètement largués. On peut quand même essayer de comprendre le point de rupture entre les anti
et les pour. D’abord, la question du financement de la protection sociale n’est pas nouvelle. Elle ne se pose pas pour les caisses retraite et chômage puisque, in fine, le salarié sera
indemnisé au prorata de ses cotisations. En revanche, pour la sécurité sociale et les allocations familiales, les cotisations, payées par le salarié et l’employeur (charges salariales et
charges patronales) bénéficient à tout le monde. Ça s’appelle la solidarité.
Le débat est donc le suivant : est-ce aux salariés d’être solidaires ou bien aux consommateurs (dont les salariés) ? Cela
dit, à en croire Thomas Piketty, la CSG (contribution sociale généralisée créée par Michel Rocard en 1991) a absorbé une partie des cotisations salariales destinées aux branches santé et
famille mais la question n’a pas été tranchée pour les charges patronales, toujours concernées. Donc reposons autrement la question : est-ce aux patrons d’être solidaires ou bien aux
consommateurs?
C’est toute la question. Vous comprendrez que le patronat réponde "les consommateurs !" La guerre sur les charges beaucoup
trop élevées est menée de longue date par le Medef qui a d’ailleurs une solution toute prête, dévoilée en novembre. Y a plus qu’à choisir le scénario, ou le dessin si vous préférez car ils sont
forts au Medef, ils savent aussi dessiner :
Scénario 1
Scénario 2
Scénario 3
Dessins reproduits dans un article du Point, TVA sociale: les scénarios du Medef
Voyez, c’est simple de baisser les charges patronales, il suffit de les transférer sur la TVA et hop. Du coup les
entreprises peuvent vendre leurs produits moins cher et donc être plus compétitives. Si elles décident bien sûr de reporter la baisse des charges sur le coût du produit et non pour augmenter
leur marge, réserve déjà formulée dans le rapport Besson.
Vous comprendrez également que les consommateurs soient plus sceptiques. Qui dit hausse de la TVA dit baisse du pouvoir
d’achat (même le
Figaro l'admet). Et, allez savoir pourquoi, les consommateurs ont tendance à penser que le prix des produits ne baissera pas d’un euro, tout comme les menus dans les restaurants n’ont
pas vu leur prix diminuer autant que la TVA (passée de 19,6 à 5,5%).
De même, comme le souligne Askenazy cité plus haut, à l’annonce de la hausse de la TVA que croyez-vous que nous ferons,
petits malins ? Oui, nous achèterons en masse écrans plats et tondeuses à gazon avant que les prix n’augmentent. Et que fera-t-on des produits des entreprises compétitives devenus moins chers ?
Rien, puisqu’on les a déjà achetés.
Ensuite, on peut imaginer que la hausse de la TVA n'a pas pour réel objectif de baisser le coût du travail mais de combler,
au hasard, les déficits.
Cela dit, reste une question en suspens : est-ce par pur masochisme que Sarkozy veut augmenter la TVA avant les élections ?
Postulons que non. On peut avancer alors plusieurs hypothèses : il veut embarrasser Hollande, dont le directeur de campagne, Manuel Valls, est un ex-pro-TVA sociale. Stratégie bancale :
l'ensemble du PS rejette en bloc la TVA sociale, excepté Valls, dont on n'a jamais cru qu'il était de gauche. Deuxième hypothèse : ce serait un signe envoyé aux agences de notation (les revoilà
!) qui ne sont certes pas revenues de vacances mais doivent malgré tout occuper encore les esprits à l'Elysée.
Dernière hypothèse : jouer sur la peur pour nous faire serrer la ceinture. Comme le souligne Françoise Fressoz dans un billet qui inaugure son blog du Monde.fr, "la dramatisation est devenue la dernière
cartouche d’un président acculé par la crise". Pour faire face au drame, on doit tous faire un effort et accepter un ou deux points supplémentaires de TVA. Avec les éléments de langage
suivants : les Allemands l'ont fait, la Suède et le Danemark sont déjà à 25%, 1% en plus c'est indolore et ça rapporte un max. En gros, Sarkozy referait le coup de la réforme des retraites.
Mais pas dit qu'il y parvienne.
Mise à jour mercredi 16h
Autre hypothèse formulée par Hollande lui-même : Sarkozy a enfilé les vêtements du père-courage. Libération rapporte les propos du candidat PS, propos tenu à
l'occasion du désormais célèbre déjeuner, dit déjeuner du salemec : "Le candidat PS, devant quelques
journalistes qu’il avait conviés à déjeuner, s’est mis à la place de Nicolas Sarkozy se présentant aux Français: «Je suis le Président de l’échec, je suis un sale mec, mais dans cette
période difficile, je suis le seul capable, j’ai le courage…». «Il va se présenter comme le capitaine courage recherchant l’impopularité», a ajouté Hollande, en faisant référence
notamment à la TVA sociale, d’après l’AFP qui a participé à ce déjeuner. Après tout, pourquoi pas ? Dans les cas désespérés, on tente tout. Et n'importe quoi.