À la veille de la mobilisation européenne contre l’austérité, Bernard Thibault revendique l’intervention
syndicale, même en période électorale. « Être en retrait, ça serait offrir un boulevard au patronat », estime le secrétaire général de la CGT.
La Confédération européenne des syndicats (CES), dont la CGT est membre, appelle à une journée européenne de
mobilisation le 29 février, à la veille d’un sommet européen qui imposera par traité la rigueur budgétaire. L’opposition
en Europe est-elle en train
de s’affirmer?
Bernard Thibault. Oui. Parce que «trop, c’est trop» ! C’est le mot d’ordre retenu pour appeler
à la mobilisation. Trop d’austérité, trop de textes européens adoptés sans démocratie, ça suffit ! Ce n’est effectivement pas par hasard si cette journée de mobilisation est programmée la
veille du sommet des chefs d’État à Bruxelles, où sera signé un nouveau traité européen. Aux yeux de certains, il ne paraissait pas aberrant jusqu’ici de s’en remettre aux seuls
parlementaires pour élaborer les traités. Aujourd’hui, tous les syndicalistes considèrent que de tels processus sont intrinsèquement antieuropéens. Le texte entend institutionnaliser la
rigueur budgétaire.
L’austérité décrétée dans chaque pays a déjà généré ces derniers mois des mouvements de protestation nationaux d’un
niveau jamais atteint. Les syndicats s’opposent au traité avec d’autant plus de virulence qu’il a également pour vocation d’encadrer, de fait, toute capacité de négociation des syndicats dans
chacun des pays. En effet, si un rapport de forces favorable conduisait un pays à pouvoir avancer dans le domaine social, ce texte conférerait à l’Europe le droit d’autoriser, ou non, cette
avancée au regard de sa situation financière. Il s’agit finalement de généraliser en Europe le mécanisme mis en œuvre dans le dernier plan dit de sauvetage de la Grèce. Un mécanisme qui a
conduit à ce que le pouvoir politique y soit transféré à des responsables non démocratiquement élus, qui, sous couvert d’un mandat européen, se comportent en gendarmes dans la conduite des
affaires du pays.
Se mobiliser à l’échelle européenne ne dédouane-t-il pas les responsables politiques de chacun
des
pays?
Bernard Thibault. Évidemment, les mobilisations nationales doivent se poursuivre, chacun des pays étant
confronté à des mesures d’austérité nationales.
"L'avenir ne peut pas s'articuler autour d'une
mise en concurrence des salariés entre eux"
Nous le sommes en France, avec le projet de TVA sociale, par exemple. Mais à travers cette convergence syndicale
européenne, il s’agit de montrer que nous aspirons à une Europe sociale. L’avenir ne peut pas s’articuler autour d’une mise en concurrence des salariés entre eux. La comparaison
France-Allemagne sans cesse commentée ces dernières semaines a participé de cette stratégie de division. Mais voilà que l’Insee vient enfin de confirmer ce que nous disons depuis des mois :
le coût du travail, en France, n’est pas supérieur à celui pratiqué en Allemagne.
Pourtant, l’Assemblée nationale, mardi dernier, a adopté le mécanisme européen de stabilité, première étape
de l’adoption d’une règle d’or. N’est-ce pas un peu compliqué tout cela pour les salariés?
Bernard Thibault. Tous les mécanismes mis en place actuellement sont opaques. Il y avait un million de
manifestants en Espagne le 19 février. La plupart des médias n’en ont pas dit un mot, alors que la déréglementation du travail, la diminution des droits des privés d’emploi et la remise en
cause des règles d’indemnisation du chômage sont les motifs de mobilisation… Les Espagnols aussi s’entendent dire qu’ils coûtent trop cher, que le Code du travail est trop rigide. Même
registre en Italie. Une dizaine de sommets européens se sont tenus pour « sauver » la Grèce. Chaque fois, tout était soi-disant solutionné à grands coups de milliards sortis d’on ne sait où,
et trois semaines plus tard, il fallait reconvoquer un sommet pour un nouveau plan.
Tous les syndicats français n’appellent pas à la grève pour participer aux manifestations. C’est un problème
ou pas?
Bernard Thibault. La carte des mobilisations qui se dessine au fil des jours constituera un événement
européen. Il y a déjà eu des manifestations coordonnées mais jamais avec une telle puissance. En Allemagne, par exemple, la Constitution interdit les grèves dites politiques. Un rassemblement
est néanmoins prévu devant de la Banque centrale européenne à Francfort. En France, certains de nos homologues considèrent que l’action syndicale est critiquable par principe en période
électorale, faisant abstraction qu’il s’agit de moments de débats publics sur les options politiques en matières économique et sociale.
Considérer que, dans la période, les syndicats doivent
se mettre en retrait, c’est ouvrir un boulevard aux organisations patronales. Laurence Parisot ne s’est pas interdit de publier un livre avec des centaines de propositions dans tous les
domaines !
Le gouvernement français
est loin d’être en retrait
lui-même…
Bernard Thibault. Avec les accords compétitivité-emploi à négocier entreprise par entreprise, la
majorité actuelle veut rendre caduc le contrat de travail qui fixe salaire, horaires de travail et qualification. C’est un retournement du droit social. Les syndicats doivent-ils rester
l’arme au pied et ne pas dénoncer ce sabotage du droit social français au motif qu’il y a des élections ? Nous ne le pensons pas, surtout lorsque le président n’hésite pas à dénoncer les
syndicats qui résistent à sa politique.
Lejaby, Florange, Petroplus… Les salariés eux-mêmes ont compris l’intérêt d’inscrire
leur mouvement au cœur
des enjeux électoraux, non?
Bernard Thibault. Les salariés utilisent toutes les armes à leur disposition. Et dans certains cas, ça
marche ! Des entreprises, dont la situation était bloquée depuis des mois, subitement trouvent grâce aux yeux du ministère de l’Industrie ou du président de la République. Cela permet de
réaborder des sujets de fond sur les raisons qui amènent certaines entreprises à licencier. Des raisons qui conduisent parfois le pouvoir politique à nous dire qu’il ne peut rien faire. Mais,
tout à coup, sous la pression des salariés et des syndicats, les choses évoluent, certains candidats se déplacent et prennent position.
"Tout à coup, sous la pression des salariés
et des syndicats, les choses évoluent."
Et je remarque une chose : dans la plupart des entreprises où les salariés organisent la résistance contre des projets de
fermeture ou de réduction de voilure, la démarche est unitaire. Les différents syndicats s’efforcent de réfléchir et de porter des projets ensemble. Je l’ai vu à M-Real, à Petroplus, c’est
aussi le cas dans bien d’autres endroits, et il est vraiment regrettable que cette démarche unitaire ne soit pas relayée au niveau national par les autres confédérations.
Au meeting que la CGT a organisé au Zénith de Paris, début février, pour la retraite à 60 ans, seuls les
candidats de gauche ont été invités. Vous leur portez une attention particulière?
Bernard Thibault. Nous avons délibérément fait le choix d’inviter les partis politiques qui ont soutenu
le mouvement contre la réforme de 2010, pour leur rappeler nos revendications. De fait, il s’agit des partis de gauche. Cela n’avait aucun sens pour nous d’inviter des représentants des
partis de droite, qui ont fait descendre des millions de gens dans la rue pendant huit mois et ont voté cette réforme malgré le fait que 70 % de la population y était hostile. Non seulement
ils n’ont pas changé d’avis mais ils proposent d’aller encore plus loin. Le Medef vient de demander un nouveau report de l’âge de départ. On peut considérer que, si demain, la droite est
majoritaire dans le pays, elle s’exécutera à nouveau. Ce meeting a suscité l’espoir. Une gauche majoritaire en France dans les mois à venir, qui, dans ses premières mesures, engagerait un
processus de retour à un âge légal du départ à la retraite à
60 ans, et vers un droit au départ anticipé pour les métiers pénibles, ce serait décision forte pour l’ensemble des syndicats en
Europe.
Avez-vous eu des retours clairs de la part des candidats?
Bernard Thibault. Un candidat comme Jean-Luc Mélenchon est en phase avec ce que nous demandons. Eva Joly
s’est aussi globalement positionnée en faveur d’un retour à la retraite à 60 ans. Les candidats qualifiés de plus petits par les sondages sont aussi en phase avec notre revendication.
François Hollande a annoncé une première mesure de départ à 60 ans pour ceux qui ont 41 années de cotisation et renvoie le reste à des négociations. Ce n’est pas clairement un engagement sur
nos revendications, mais cela montre que si nous savons créer un rapport de forces favorable, tout est possible. L’élection ne va pas tout résoudre. Il faudra de toute façon amplifier le
rapport de forces dans les prochains mois. Tout responsable politique sera sous la pression du patronat. À nous de ne pas laisser cette pression s’exercer sans jouer notre rôle. L’opposition
capital-travail ne s’estompe pas au motif qu’une majorité politique est de droite ou de gauche. Les Grecs et les Espagnols peuvent en témoigner. Nous n’en sommes plus à l’époque où certains
pensaient qu’il suffisait d’avoir des élus proches des syndicats pour que les revendications soient satisfaites. Il vaut mieux avoir des élus davantage à l’écoute des syndicats de salariés
plutôt que des élus qui se placent à l’écoute des revendications patronales. Il faut savoir entretenir un rapport de forces favorable en toute circonstance. Il ne peut donc être l’œuvre que
des salariés eux-mêmes. C’est bien là tout l’enjeu de la journée de mobilisation de ce jeudi 29 février.
La CGT appelle à «décider de la grève»
«Les mesures d’austérité ne
sont pas la réponse à la crise, au contraire, elles produisent d’énormes dégâts sociaux.» Dans une déclaration commune, les syndicats CFDT, CGT, FSU, Solidaires, Unsa indiquent qu’ils se
mobiliseront partout en France, «pour que le travail et la justice sociale soient au centre des priorités politiques». La CGT appelle à «décider de la grève sur les lieux de
travail et à participer aux manifestations interprofessionnelles».