Voilà 425 jours que des policiers français ont arraché Ardi Vrenezi, 15 ans, polyhandicapé sévère, à son
lit de soins à l’IEM de Freyming-Merlebach, l’ont placé sur un brancard et conduit au CRA de Metz avec ses parents, son frère et sa sœur. Les parents d’Ardi, représentants légaux de leur fils, se
sont explicitement opposés à ce qu’il soit remis aux policiers. Sur quel mandat légal, sur quelle décision de justice, la police s’est-elle fondée pour expulser un mineur contre la volonté de ses
parents ? Les Vrenezi ont été expulsés au Kosovo le lendemain, par avion spécial, toujours sous escorte policière.
Depuis lors, comme l’illustrent de façon dramatique les images du documentaire de Manon Loizeau (Canal + le
1er juin 2011) « L’Immigration, aux frontières du droit », l’état de santé d’Ardi s’est considérablement dégradé. Les conditions de son hébergement, un matelas au
sol, font honte. Les soins précis et attentifs prodigués par sa famille ne suffisent évidemment pas à freiner l’évolution de sa pathologie : il multiplie les convulsions, il ne se tient plus
debout, il ne maintient plus sa tête, il ne parle plus, ne sourit plus, risque une fausse route à chaque déglutition, et se dénutrit. Il doit en
urgence retrouver la prise en charge très spécialisée et pluridisciplinaire que lui avait assurée l’IEM où sa place est toujours réservée.
De leur côté, les autorités françaises, hauts-fonctionnaires, préfet, ministres et président de la République se
murent dans un silence méprisant pour ce dernier, le mensonge pour la préfecture de Moselle, l’odieux pour les ministres Besson et Hortefeux, la lâcheté, particulièrement pour Bernard Kouchner et Roselyne Bachelot, informés personnellement de la situation d’Ardi et qui se taisent. Le 8
juin, à l’occasion de la conférence nationale sur le handicap, le président de l’Association des Paralysés de France remettait à M. Sarkozy, en mains propres, un courrier sur la situation d’Ardi.
Le président de la République s’engageait, sous l’œil des caméras, à donner une réponse. Un mois plus tard rien n’est venu.
Le témoignage du docteur Marc Wluczka, ancien directeur de Santé publique à l’OFII, sur les circonstances de
l’expulsion de la famille Vrenezi corrobore les déclarations du docteur Nexhat Shatri, adjoint au
chef de service de la clinique neurologique de Pristina (qui a vu Ardi lors de ses hospitalisations en mai et juin 2010) et de Feride Hoxha, responsable du Centre Handikos à Malishevo (Kosovo),
réitérées dans le film de Manon Loizeau : Ardi Vrenezi ne peut pas être pris en charge au Kosovo. Les dénégations répétées des autorités françaises sont des mensonges d’état. Sordides,
compte-tenu du contexte.
Au Kosovo, Ardi va mourir prématurément et dans des conditions indignes. Préfet, ministres et président de la
République le savent. La seule question est de savoir dans quel délai et avec quel accompagnement. De son point de vue, de celui de ses parents, des médecins et soignants qui l’ont assisté et
plus largement de la conscience morale la plus élémentaire, c’est une question cruciale. De celui de l’actuel chef de l’Etat français et de ses collaborateurs, c’est, semble-t-il, indifférent. Un
point de détail.
Que les choses soient dites clairement : Monsieur Sarkozy et ses collaborateurs sont comptables, chacun à
hauteur de ses responsabilités, de ce qui va advenir d’Ardi Vrenezi et de ce que sera sa fin de vie. Ils prennent le risque d’avoir sur la conscience le décès prématuré dans des circonstances
indignes d’un tout jeune handicapé, symbole, avec la peau des autres, de leur ralliement idéologique au FN. Un crime de bureau.
UN MAIL DE MIMOZA
(sœur d’Ardi)
2 juillet 2011
Pour Ardi, chaque nouvelle journée voit son état s'aggraver. Il ne mange plus, ne boit plus. Il ne peut plus se déplacer le jour, et la nuit
il est couché sans bouger.
Il a perdu beaucoup de poids, il est maintenant très faible. Il fait entre 8 et 10 crises d'épilepsie par jour.
Ardi n'a aucune aide financière ou médicale, il perçoit uniquement la somme de 100 euros par mois. Cette somme est prévue pour toutes les
personnes handicapées. Cette somme ne suffit même pas à régler la totalité des dépense pour les protections (couches) d’Ardi.
Ardi n'a pas les soins qu'il avait en France. Ni infirmière à domicile, il n'y a rien de cela au Kosovo.
Mes parents ne travaillent pas. Ma mère s'occupe d’Ardi et je l'aide à prendre soin de lui. Edouard étudie maintenant à la maison, et nous
souffrons de voir Ardi dans un état grave et s'affaiblir de plus en plus. Nous attendons avec espoir le jour ou nous pourrons revenir en France.
Mimoza Vrenezi.
Ardi peut être pris en charge au Kosovo disent le préfet de Moselle, Besson et Hortefeux. Faux assurent les médecins et les responsables de santé kosovars, Isabelle Kieffer, la pédiatre d’Ardi en France et qui l’a visité au Kosovo, Marc Wluczka, ancien médecin-chef de l’OFII… et, à voix basse, Bernard Kouchner lui-même. Quelqu’un ment dans cette affaire.
TEMOIGNAGE DU Dr Marc WLUCZKA
Ancien Directeur de santé publique de l'OFII (2000-2010)
En 2008 à Metz, j'ai participé à une réunion d'intervenants spécialisés dans l'accueil des demandeurs d'asile sur le plan médical. Telle était en effet ma mission en tant que Directeur de la santé Publique de l'OFII.
Nous avons évoqué la situation d'Ardi, dont j'avais été saisi par l'hôpital de Nancy. A long terme, sa place n'était à l'évidence pas dans un hôpital, mais dans une structure de prise en charge pour handicapés.
Ses parents exprimaient clairement leur demande de prise en charge de leur fils, car au Kosovo ils n'avaient trouvé aucune structure adéquate, qu'elle soit médicale, médico-sociale, institutionnelle ou ambulatoire.
Certains responsables administratifs évoquèrent le fait que, Ardi étant dépendant et grabataire, il serait nécessaire de donner un titre de séjour à au moins un membre de sa famille.
Je rédigeai en octobre 2008 donc une note adressée aux MDPH de la région Lorraine et au médecin inspecteur de la DDASS de Moselle (aujourd'hui ARS) chargé des étrangers.
Pour moi, sachant qu'après son hospitalisation, Ardi était en voie d'être accepté dans un IMP (l'Institut Médico-Pédagogique), l'affaire était réglée et je n'ai pas imaginé une seconde que l'autorisation de séjour pour soins (APS) pouvait être refusée étant données les circonstances qui avaient amené la famille en France et l'état de santé d'Ardi. C'est dire ma stupéfaction quand, au printemps 2010, j'ai appris par la Presse que la Préfecture de Moselle l'avait expulsé (et dans les conditions inqualifiables que l'on connait) mais qu'en plus, dans un communiqué publié le lendemain (dans "Libération" et "Le Républicain Lorrain") la Préfecture avait justifié sa position par un avis favorable que j'aurais, selon elle, donné ! J'y étais cité non seulement par mon nom mais par toutes mes fonctions ce qui excluait une méprise ! J'ai averti mon Directeur Général que je souhaitais démentir, nonobstant l'obligation de réserve qui est la mienne. Le Directeur Général le "déconseilla" pour ne pas "aggraver la polémique" (sic!). J'ai donc écrit à la Préfecture un courrier interne pour protester contre l'utilisation abusive de mon nom. N'ayant eu aucune réponse, j'ai téléphoné et je suis tombé sur la directrice de cabinet du Préfet. Celle-ci me déclara "ne pas être au courant" ne pas savoir qu'on avait mentionné mon nom (!).
Je me suis rendu à Metz peu après, pour une autre réunion, et j'y rencontrais la chef du bureau des étrangers. J'appris que c'est elle qui avait tout organisé, après qu'elle ait obtenu la "garantie" qu'Ardi serait soigné au Kosovo comme en France. Je lui ai objecté que c'était impossible et que j'avais rencontré suffisamment de réfugiés kosovars pour savoir à quoi m'en tenir sur la déliquescence des services publics dans ce pays. Elle fut incapable de m'expliquer comment mon nom avait pu apparaître et me déclara que l'affaire était désormais traitée par l'ARS.
Une dizaine de jours plus tard je fus alerté par un entrefilet du Parisien contenant contre moi une attaque venimeuse, relevant que j'étais "sur la sellette" car, en tant que médecin-chef de l'OFII j'avais validé cette expulsion, alors que j'étais un élu socialiste (adjoint à la maire du XXe arrondissement de Paris) et que mon parti était opposé à cette expulsion. Je réussis à obtenir du Parisien un démenti de quelques lignes rappelant que mes fonctions ne comportaient pas le fait de donner des avis sur les expulsions.
Le temps passa et je suivais cette affaire de loin, quand en Août 2010, la Direction de l'OFII profite de mes vacances pour supprimer tous les moyens de mon service sans avertissement. J'ai compris tout de suite que la Direction voulait je parte et à mon retour j'ai demandé des explications à mon Directeur Général. Celui-ci assuma complètement, me dit que le temps n'était plus à l'intégration des étrangers (le discours de Grenoble est passé par là) et que de toute façon "on" ne supportait plus mes interventions et il me cita.... l'affaire de Moselle !
Il va de soi que je n'ai pas été limogé uniquement à cause de l'affaire Ardi. Au stade où en est arrivée la politique migratoire du gouvernement, je pense que pour les responsables de la politique d'Immigration, il était tout simplement devenu insupportable qu'un poste de direction dépendant de l'ex-Ministère de l'Immigration soit assuré par un homme de gauche notoire.
J'ai du quitter mon poste le 31 décembre 2010 pour rejoindre finalement un poste subalterne dans une direction territoriale éloignée de l'ARS d'Ile de France.
Pourquoi la Préfecture de Moselle s'est-elle conduite ainsi ? J'ai mon hypothèse, qui vaut ce qu'elle vaut. Ils - j'entends par là l'ex-Ministère de l'Immigration - ont fait d'Ardi un exemple. Je pense qu'ils savaient parfaitement qu'il ne serait pas pris en charge correctement au Kosovo. Leurs explications ne tiennent pas debout et ressemblent plus à une justification a postériori que des éléments connus d'eux avant qui les auraient amené à prendre une décision.
Pour qu'une Préfecture ait pu monter une opération aussi spectaculaire que l'expulsion d'Ardi, quand on connait le mode de fonctionnement de ces institutions, on pourrait supposer que celle-ci aurait pu recevoir au minimum un feu vert de sa hiérarchie ministérielle, et peut être même une instruction. Il pourrait s'agir, mais je n'en ai aucune preuve, de montrer aux étrangers demandeurs de soins, aux associations, à l'opinion qu'il est possible de renvoyer sciemment un polyhandicapé mineur dans un pays où on le soignera pas. Avec tous les conditionnels possibles, on ne peut exclure cette interprétation.
Ardi ne serait alors pas seulement une victime physique, mais il serait aussi une victime symbolique : son expulsion aurait été destinée à faire réfléchir quiconque voudrait dans le futur mettre en avant des motifs humanitaires pour protéger un étranger.
Dans la Lettre d’Ardi, les cinq citations suivantes sont des encadrés qui émaillent le témoignage de Marc Wluczka ci-dessus.
« Notre ambassadeur a vérifié lui-même que les choses seraient prises en main » Préfecture de Metz, 17 mai 2010
« Des avis médicaux ont été pris dans le courant de cette procédure. Ces avis allaient tous dans le sens d’un éloignement
possible, disant que les soins dont pouvait bénéficier Ardi au Kosovo étaient compatibles avec son état et que le fait qu’il reste en France n’apportait rien de plus. »
Elisabeth Castellotti, directrice de cabinet du préfet de la région Lorraine
J’ai subi des pressions de France pour que je dise que toutes les conditions étaient offertes à Ardi Vrenezi ici. Cette commission
m’a même appelée de France pour que je dise qu’Ardi Vrenezi est pris en charge dans notre centre et c’est ce qu’ils ont aussi écrit dans le document que vous me montrez. Mais Ardi n’est jamais
venu dans notre centre ! Jamais ! Un jour, des gens sont venus de France sans prévenir, ils n’ont même pas jugé nécessaire de se présenter, ils ont filmé de l’extérieur, ils sont
entrés, ils ont regardé, et maintenant il semble que cette commission a déclaré qu’Handicos réunissait toutes les conditions nécessaires pour soigner Ardi ? Etant donné l’état de notre
centre, je n’arrive pas à croire qu’on ait pu dire une chose pareille.
Handicos s’occupe de 120 enfants handicapés venus des villages voisins. Une seule pièce est chauffée. Handicos n’a pas les
infrastructures pour un enfant aussi gravement atteint qu’Ardi. L’ONG n’a même pas une ambulance pour transporter les enfants handicapés. Avant ou après les soins. Voici tous les moyens dont on
dispose. Notre collaborateur, qui d’habitude travaille ici, est dans l’autre pièce car celle-ci n’est pas chauffée. Feride Hohxa, directrice de l’organisation Handicos à Malicheve
On avait un rapport de cette hospitalisation qui nous avait été envoyé par fax, signé par
trois pédiatres, dont un professeur, chef de service de pédiatrie de l’hôpital universitaire de Pristina qui conclut qu’ils ne peuvent pas soigner l’enfant en l’état et qui demande un traitement
à l’étranger. Nous avions aussi, signé par Madame Hohxa, c’est la directrice, la coordinatrice de l’organisation Handicos à Malicheve qui s’occupe du handicap et qui dit : « Nous déclarons, vu les besoins de l’enfant en question pour lequel le père a fait
cette demande, nous n’avons pas de possibilité pour lui offrir le service indispensable qui correspondrait à la maladie de son fils, Ardi Vrenezi. » Nous avons montré ces fax à la
préfecture, on nous a déclaré d’office, « C’est des faux » Dr Isabelle Kieffer, pédiatre d’Ardi
Les soins dont Ardi a besoin n’existent pas au Kosovo. En tout cas pour l’instant,
nous ne pouvons pas les fournir. Dans les réunions avec la commission, nous étions tous d’accord pour dire que sa maladie est incurable, ici, en France, partout. Mais cela ne veut surtout pas
dire qu’on ne peut pas faire en sorte que ses conditions de vie soient le mieux possible. Nous n’avons jamais envoyé Ardi en France pour guérir sa maladie ou pour contrôler ses crises. Il doit y
retourner à cause de ses mauvaises conditions de vie ici et pour stopper la détérioration de son état de santé général. Il a vécu deux ans en France
et sa vie était infiniment meilleure qu’elle ne l’est depuis qu’il est rentré au Kosovo. Je crois qu’il devrait avoir le droit de choisir où il voudrait vivre. Pour moi, sa place est en France,
au moins pour le peu de temps qui lui reste à vivre. Docteur Shatri, Neurologue hôpital universitaire de Pristina
LA PHOTO D’ARDI
SUR LES GRILLES DU
CONSEIL REGIONAL ILE DE FRANCE
Jeudi 7 juillet, 13 heures
une photographie d’Ardi Vrenezi a été accrochée aux grilles du Conseil régional Ile de France en présence de
conseillers régionaux, de membres de l’exécutif régional, de membres de l’Association des paralysés de France, du RESF.
Les photos de cet événement et celles du petit rassemblement devant l’assemblée nationale au moment de la
convention UMP sur l’immigration sont disponibles à
https://picasaweb.google.com/lh/sredir?uname=109923570829072336688&target=ALBUM&id=5626669523445011553&authkey=Gv1sRgCM3OpcKJo7Pzew&feat=email
et à https://picasaweb.google.com/averdurand3/ArdiConseilRegionalIleDeFrance
D’autres initiatives auront lieu dans les jours suivants :
Un vœu sera proposé, et selon toute vraisemblance voté par le prochain Conseil de Paris les 11 et 12
juillet.
Ian Brossat, président du groupe Front de Gauche à la
Mairie de Paris a introduit une demande officielle afin qu’Ardi soit fait citoyen d’honneur de la ville de Paris dans les meilleurs délais.
Une campagne de cartes postales est prévue, adressées à l’actuel président de la
République.
Des flyers sont disponibles.
Des projections militantes du documentaire de Manon Loizeau L’Immigration aux frontières du droit
peuvent être organisées.
CE QUE CHACUN PEUT FAIRE
* Signer l’appel pour le retour d’Ardi
http://www.educationsansfrontieres.org/article36673.html
* Se procurer des cartes postales (commandes groupées à educsansfrontieres@free.fr ), les faire envoyer à l’Elysées.
* Interpeler l’Elysée et l’Intérieur par mail maxime.tandonnet@elysee.fr claude.gueant@interieur.gouv.fr
* Interpeler vos élus, demander que vos conseils municipaux, généraux, régionaux adoptent des vœux demandant le
retour d’Ardi et, en attendant, apposent sa photo à la façade des bâtiments publics.
* Pour celles et ceux qui ont une possibilité d’atteindre un public (artistes, journalistes, etc). Parler de la
situation d’Ardi, faire savoir ce dont sont capables certains dans ce pays. Relayer auprès de son réseau.
* Mettre les informations et les appels sur sa page Facebook.
* Nous communiquer ses bonnes idées.