C’est d’un dîner dont je viens vous parler. Un dîner avec quatre hommes d’affaires iraniens, pendant la
saison chaude sur la terrasse d’un immeuble à 1 400 mètres d’altitude dans la fraîcheur du nord de Téhéran.
Le sujet des sanctions occidentales contre l’Iran était à l’ordre du jour. Mes interlocuteurs, que je
fréquente de longue date, avaient un message à me faire passer. Le monde, selon eux, n’est pas noir et blanc, comme veulent le faire croire certains responsables américains et les vertueux en
tous genres. La victoire n’est pas, non plus, dans la démocratie, comme nous voulons la « vendre » aux peuples du Moyen-Orient. Mais dans le libéralisme, comme nous l’a appris
l’histoire des révolutions en Europe.
Mes amis iraniens ont participé aux manifestations, l’an dernier, de la « révolution verte »,
comme leurs parents avaient soutenu le renversement du Shah à la fin des années 70. Ils savent ce qu’est une révolution volée au peuple, et ils ne nous comprennent pas. Ils ne comprennent pas
notre ignorance de leur économie et de la structure de leur société.
Pour eux, les sanctions économiques contre l’Iran sont, à la fois, une erreur économique et un crime
contre les réformateurs de leurs pays.
Si nous revenions sur nos accords économiques avec l’Iran concernant le pétrole et le gaz qui sont les
deux moteurs de l’économie locale quelles en seraient les conséquences ? Un effondrement du régime, privé de ses principales ressources en devises ? Sûrement pas.
Dans le monde d’aujourd’hui, l’Asie est devenue une puissance
motrice, et l’Asie c’est la Chine. Des accords
commerciaux ont été conclus discrètement entre « l’empire du milieu » et l’Iran. Bien loin des discours de Mme Clinton, la secrétaire d’Etat américaine, CNOOC, la compagnie
pétrolière chinoise, continue de signer des contrats avec les autorités iraniennes. Depuis le durcissement des relations économiques entre l’Occident et l’Iran, nous assistons à une
augmentation de la corruption et de la concussion, sous le sceau du secret des relations sino iraniennes. Les principaux bénéficiaires en sont les cadres supérieurs des raffineries et
autres complexes pétrochimiques iraniens. Ne nous y trompons pas, ajoutent mes amis iraniens, la Chine va continuer à entretenir des relations économiques avec Téhéran, indépendamment de ses
discours de façade. Les Chinois seront les seuls, sans concurrent. Leur « business » se fera au profit des hiérarques du régime des mollahs et au détriment des cadres moyens, qui
ont formé, avec les jeunes, le gros des troupes « vertes » qui ont manifesté en juin 2009, et qui sont exclus du partage des richesses. Nos sanctions occidentales ne tueront pas le
régime iranien, elles le mettront à la disposition des hommes d’affaires chinois pour le plus grand profit des « durs » à Téhéran.
D’autre part, avec la mise au ralenti de l’économie iranienne, nous assistons déjà à des licenciements et
à des réductions de postes dans l’industrie pétrochimique. Ceux qui paient pour nos décisions, ce sont les jeunes diplômés iraniens. Soit ils ne trouvent pas d’emploi. Soit ils sont
licenciés, et ils doivent alors retourner vivre avec leurs familles, le plus souvent dans les campagnes. Ainsi, au nom de la démocratie telle que nous l’imaginons, nous sacrifions une partie
de la jeunesse iranienne ; nous la renvoyons vivre dans un moyen âge culturel sous l’autorité des parents et des religieux. Cette jeunesse que nous devrions, au contraire, soutenir, nous
la renvoyons dans les bras de ceux que nous sommes sensés combattre. Si nous n’avons plus d’échanges commerciaux, ces jeunes gens ne pourront plus venir chez nous en stage, en formation, en
séminaire… Il ne leur restera que la télévision d’état, et un internet censuré, pour découvrir le monde.
Le travail et les échanges économiques sont le seul moyen pour faire évoluer un pays, favoriser
l’émergence d’une classe moyenne, et in fine, créer les conditions d’un changement de régime en douceur, grâce à une révolution de velours qui permettra de sortir de la tyrannie. Cette tâche,
nous seuls Occidentaux pouvons la conduire.
Il serait bon que nos dirigeants ouvrent les yeux sur la réalité du monde économique aujourd’hui et sur
son influence sur la politique iranienne. Refuser à l’Iran sa place dans le concert du « business international », c’est condamner les libéraux, humilier la liberté et renforcer le
pouvoir des « barbus ».