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30 août 2010 1 30 /08 /août /2010 01:12

Invention sécuritaire et violence pure:

appel à une éthique de la résistance

 

Les invités de Médiapart

 

http://www.mediapart.fr/

 

26 Août 2010

 

 

 

 

Pascal Maillard Professeur agrégé à l'université de Strasbourg, est membre du groupe de recherche PolArt (Poétique et Politique de l'Art). Initiateur de l'appel de Strasbourg, l'un des textes ayant lancé le mouvement universitaire de 2009 et dont Mediapart s'est fait le relais, il a suivi en observateur critique les événements politiques de « ce sombre été 2010 ».  Il conduit des recherches sur les rapports entre littérature et politique à l'université de Strasbourg, propose une réflexion d'ensemble sur «l'insécurité et la xénophobie d'Etat». Face à la «violence pure» du gouvernement, il appelle à «une éthique de la résistance».

 

A Toni Gatlif, aux « Bohémiens en voyage », à tous les sans-papiers,

                           « Aux captifs, aux vaincus !... à bien d'autres encor ! »

 

P

eu le voient. Certains commencent à le soupçonner. La chose transpire dans maintes analyses, mais n'accède pas à une formulation directe, comme si cette vérité devait demeurer forclose en raison de sa monstruosité. Comme si au cœur de cette évidence il y avait un vide impensable. Il est urgent pourtant d'en formuler au moins l'hypothèse et d'en interroger la validité : le premier agent de l'insécurité, de la xénophobie et de la violence est devenu aujourd'hui notre gouvernement, leur principal producteur notre Etat, leur premier responsable notre président.

C'est un fait unique dans l'histoire de notre République finissante : un homme a inventé l'insécurité et la xénophobie d'Etat comme stratégie de gouvernement et arme politique. Il les a inventées et mises en œuvre méthodiquement, intentionnellement. Non seulement comme un moyen de reprendre la main quand les plus graves soupçons pèsent sur le sommet de l'Etat et sur le parti majoritaire, non comme une simple « diversion » circonstancielle et communicationnelle en période de grave crise économique et sociale, mais bien comme un continuum idéologique et une pratique politique destinée à asseoir et conserver un pouvoir qui nous fait sortir un peu plus chaque jour de la légalité républicaine, des règles démocratiques et du respect de nos institutions.

Les théories d'une rupture politique ou d'un virage récent vers l'inadmissible - « durcissement », « radicalisation », lit-on un peu partout - sont aujourd'hui insuffisantes. Sarkozy et ses conseillers ont inventé l'insécurité programmatique, l'insécurité comme programme électoral et projet politique. Ni diversion, ni dérive, mais une ligne idéologique, un choix délibéré, pensé et assumé, un système avec des fondamentaux puisés directement dans la pensée de l'extrême droite, avec son langage propre, son révisionnisme de l'histoire, son gouvernement par la peur et cette violence pure qu'il faut bien commencer à penser afin d'identifier ce contre quoi nous avons à nous battre.

On ne lira pas dans les quelques réflexions qui suivent un déni d'insécurité. Le problème social, politique, économique est bien là. Il est même criant, toujours en attente de véritables solutions malgré la vingtaine de lois[i] relatives à la sécurité promulguées depuis 2002 sous la responsabilité directe de notre actuel président et dont on est en droit de douter de l'efficacité. Mais les cris de souffrance dans les quartiers difficiles sont aujourd'hui inaudibles, masqués par la doxa sécuritaire et xénophobe que véhiculent des médias dont la pratique quotidienne est de relayer la peur, la bêtise et la haine distillées par l'Etat et sa machine sécuritaire.

 

1. Un gouvernement d'exception et des silences coupables

Le débat sur l'identité nationale lancé à l'automne dernier par Eric Besson n'a certainement pas été l'échec qu'on a dit. Même critiqué par les médias, décrié par les politiques, il a fait son œuvre dans l'opinion et a largement et volontairement préparé un espace de réception favorable aux propositions irresponsables et scandaleuses de ce sombre été 2010, un été d'exception où un quart du gouvernement a été sur le pont de l'insécurité. Aussi n'a-t-on pas suffisamment remarqué que ce sont pas moins de quatre ministres qui ont porté récemment un discours guerrier et violent sur l'insécurité, comme si tout ministère de ce gouvernement Fillon finissant brûlait ses dernières cartouches en s'arrogeant la compétence de traiter des questions de sécurité : Christian Estrosi, qui voulait punir les maires du haut de son Ministère de l'industrie, Eric Besson ministre de l'Intégration, de l'Identité nationale et du si mal nommé Développement solidaire, Nadine Morano, Secrétaire d'État chargée de la Famille et d'une singulière Solidarité, qui accuse Marianne de salir les valeurs de la République et soutient le projet d'enfermement des parents défaillants, et bien sûr Brice Hortefeux qui fait oublier sa condamnation pour injure raciale en première instance par une hyperactivité estivale au service d'un vaste programme de démantèlement des camps de Roms, d'arrestations et d'expulsions des minorités les plus fragiles.

Ce discours à multiples détentes, savamment préparé et orchestré, a été encore relayé par quelques fidèles députés de l'UMP, dont son Secrétaire général, Xavier Bertrand, qui apporta son soutien à la proposition ubuesque de Christian Estrosi et renchérit dans Nice Matin en proposant une mesure frontiste : « remettre des gardes » aux frontières de l'Europe. Ce dispositif gouvernemental, lancé et étayé idéologiquement par le sinistre discours de Grenoble, permettrait à lui seul d'asseoir la thèse d'une xénophobie d'Etat. Mais la pertinence du concept  tient à ce que le traitement politique de la sécurité repose principalement, et depuis fort longtemps, sur un discours des plus hautes autorités de l'Etat qui stigmatise les minorités étrangères et certaines catégories de français issus de l'immigration, au risque - avec la volonté  - de dresser les français les uns contre les autres.

Les puissants médias dont Sarkozy s'est attaché les services, et quelques sondages, devenus des instruments de formatage de l'opinion bien plus que des outils d'analyse, parachèvent un dispositif qui apparaîtra à certains, avec un peu de recul, comme le plus gros coup de poker politique du quinquennat : recomposer le paysage de la droite française en la déportant vers son extrême, préparer 2012 sur les terres d'une nouvelle droite nationaliste, populiste et xénophobe, et au passage faire oublier les scandales financiers, la réforme des retraites, diviser le PS, autant de manœuvres qui seraient en passe de fonctionner très bien si de nombreuses voix ne s'élevaient enfin contre cette basse manœuvre politicienne. Mais rien ne nous assure un quelconque recul de Sarkozy - tout au plus sera-t-il tactique ou de façade - et le prix à payer de ce coup politique est déjà incommensurable : un renoncement aux valeurs premières de la République.

Face à cette déferlante de discours et de propositions, tout aussi ineptes et assurément inefficaces les uns que les autres, des silences sont consternants, que nul ne pourra oublier : Fadela Amara, Rama Yade, Bernard Kouchner et Frédéric Mitterrand mangent le chapeau de leurs dernières convictions - s'il leur en reste - et sombrent dans un renoncement coupable en manquant à leur devoir élémentaire de démission. Le silence de Michèle Alliot-Marie, bien plus grave, a une autre portée : nous attendions de notre ministre de la Justice et des Libertés qu'elle se portât garante de l'indépendance de la justice et du respect du droit. Il n'en fut rien. Son comportement dans l'affaire Woerth-Bettencourt a été très bien exposé dans divers articles de la rédaction de Mediapart[ii].

Pour ce qui est de la défense des libertés, il est à craindre que les citoyens démocrates attendent longtemps l'exercice de cette responsabilité ministérielle, quand bien même le droit à la libre expression serait bafoué par l'Etat lui-même : la condamnation récente[iii] de cinq militants du Réseau Education Sans Frontières (RESF) nous apprend qu'une simple comparaison historique entre la situation présente et la période de Vichy est désormais assimilable à un délit d'opinion. Il est vrai que les poursuites pour outrage aux autorités se multiplient depuis deux ans. Eric Fassin le signalait déjà dans une Lettre au Président[iv] en juin 2009. Il est aussi vrai que « comparaison n'est pas raison », comme disait Etiemble, mais priver le penseur comme l'homme ordinaire de tout droit à l'association d'idée nous fait entrer directement dans le monde de Big Brother. Tel député UMP projetait récemment d'encadrer la liberté de la presse. Le sommet sera-t-il donc atteint quand tel autre zélateur de l'Etat-UMP proposera sérieusement l'établissement d'une censure légale?

On le voit suffisamment : les événements politiques de ces derniers mois sont d'une gravité jamais atteinte depuis les débuts de la cinquième République. La thèse d'une radicalisation tactique d'un gouvernement en difficulté et d'un président aux abois semble ne pas devoir souffrir la contradiction. Ce serait ignorer un peu vite le système idéologique fort qui conditionne la stratégie sarkoziste depuis de longues années et qui cimente des pans entiers de sa politique. Il permettrait de lire dans les événements récents un développement logique bien plus qu'une diversion ou un virage opportun et cynique.

 

2. Un continuum idéologique

Il y a une extrême cohérence et un continuum idéologique fort du sarkozisme et de sa praxis politique. Elle est avant tout celle d'un homme et de quelques proches, la micro-société des conseillers de l'Elysée. Elle est davantage une pratique empirique et instinctive de la politique qu'une idéologie : la provocation, le coup de force, le putch permanent. L'idéologie advient cependant par la force d'inscription de cette pratique politique dans l'opinion. Le relais intellectuel des nouveaux réactionnaires et autres Anti-modernes a fait son œuvre. Le sujet mériterait plusieurs ouvrages de science et d'histoire politiques. De sociologie aussi. Je limite volontairement ma réflexion à quelques rappels de notre histoire récente et à la formulation de trois impostures.

Depuis cinq ans au moins Nicolas Sarkozy a ancré continument la problématique sécuritaire dans la question de l'identité nationale en lien avec l'immigration. Le tournant, si tournant il y a, est déjà ancien. Il date de 2005. Les analystes et les journalistes qui soutiennent la thèse d'un virage estival et d'une radicalisation récente ont la mémoire courte. L'année 2005 n'est pas uniquement celle du « Kärcher » et de la « racaille », ces violences verbales et provocations volontaires élevées au rang de technique de gouvernement et qui joueront un rôle certain dans le déclanchement des émeutes de l'hiver 2005.

Le ministre de l'Intérieur qui a pris ses fonctions juste après le Référendum se singularise aussi par trois types d'action qui caractérisent sa ligne de conduite politique jusqu'à ce jour. Tout d'abord l'intrusion du pouvoir de l'Intérieur dans le champ de celui de la Justice, allant jusqu'à bafouer la règle de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance de la justice. C'est bien sûr l'affaire Nelly Cremel qui vaut à Sarkozy un rappel à l'ordre du Premier Ministre de l'époque, Dominique de Villepin, suite à une demande de sanction d'un juge prétendument trop laxiste. Ensuite la stigmatisation des minorités et l'amalgame entre immigration illégale et jeunes des banlieues. C'est le discours[v] musclé aux Préfets du 9 septembre 2005 dans lequel Sarkozy exige une fermeté exemplaire contre tous ceux qui mettent en cause la sécurité des « Français » : « en premier lieu les gens du voyage, les jeunes des banlieues, les immigrés illégaux ». Déjà les « gens du voyage » ! Mais au passage, souvenons-nous que les Roms les avaient précédés comme toutes premières victimes de la politique du jeune ministre de l'Intérieur, dès 2002 et 2003. Je renvoie à l'article[vi] très précis et bien documenté de Caroline Damiens qui avait reconstruit en avril 2005 la sombre histoire des débuts de Sarkozy. Pour en revenir à 2005, l'injonction aux préfets sera suivie par les « rafles de sans-papiers menées au petit matin, avant le départ des enfants à l'école », lesquelles témoignent, selon Alain Gresh dans un article du Monde Diplomatique, « de l'enthousiasme que le ministre a su faire souffler dans les préfectures ». Cet « enthousiasme » n'a pas faibli malgré la longue lutte des associations de soutien aux sans-papiers. Enfin, troisième étape : l'ordre d'expulsion du territoire français de tous les étrangers condamnés pour violences urbaines. 68% des français y sont favorables, selon le sondage IPSOS du 16 novembre 2005 pour Le Point. Le bilan est éloquent et témoigne déjà du primat des mots sur les actes : 597 personnes incarcérées mais une seule expulsion. Ce bilan est aussi éloquent sur l'implication des étrangers dans les émeutes. Nul doute que les résultats seront en 2010 bien meilleurs avec l'apport des Roms.

La succession provocation (insultes), stigmatisation (désignation de boucs émissaires), répression (incarcérations-expulsions) suffit à établir le degré de responsabilité de l'Etat dans la production de la violence et le processus de ce que je nomme l'invention sécuritaire. Ne se sont passées que peu d'années depuis 2002 sans que ce schéma ne se répète à l'initiative de Sarkozy ministre ou président.

Après la grande loi de 2006 sur l'immigration et l'intégration qui restreint considérablement les droits des étrangers, facilite et intensifie les expulsions de sans-papiers et les reconduites à la frontière, après la loi sur la prévention de la délinquance de mars 2007 qui institue la détection du trouble du comportement chez les plus jeunes enfants et autorise une sortie sur les liens entre délinquance et génétique, une seconde étape est franchie en 2007 avec l'élection à la présidentielle et la création du ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale. L'invention est unique dans une République : l'association de l'immigration et de l'identité nationale dans un ministère constitue une institutionnalisation d'un lien dont il faut rappeler qu'il appartient au Front National depuis le début des années 80. Les fondamentaux idéologiques du sarkozisme en matière de sécurité n'appartiennent-ils pas en propre à l'extrême droite ? La question mérite d'être posée. Elle permettrait de réviser un peu notre grille de lecture des cloisonnements idéologiques. La question du glissement d'une frange majoritaire de l'UMP à l'extrême droite ne se pose pas. Elle existe de fait. En tout état de cause, nous posons que c'est l'existence de ce ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale et le lien qu'il institue qui conduisent logiquement aux propositions du discours de Grenoble.

Quelle serait alors la nature du tournant de cet été 2010, sa spécificité? Je pense profondément qu'il est simplement le suivant : l'habillage républicain de l'Etat-Sarkozy est en train de tomber. Le roi a choisi de marcher nu. Car il a choisi d'exposer dans son discours de Grenoble ce qu'il savait majoritairement acceptable par l'opinion publique en fonction de sondages antérieurs. Il sait aussi en son for intérieur tout ce qu'il a accompli comme travail sur l'opinion depuis 2002, une opinion aujourd'hui suffisamment imbibée par la xénophobie d'Etat pour qu'elle accepte le principe de la déchéance de la nationalité. La relance de l'expulsion des Roms ne serait dès lors que la pilule destinée à mieux faire passer la première. Hortefeux prépare ses amendements et décrets. Le seul obstacle est la Constitution et son Conseil. Mais combien de fois Sarkozy a-t-il poussé le Conseil Constitutionnel dans ses retranchements ?

On doit enfin s'interroger sur les causes de la forte perméabilité de l'opinion au sarkozisme. Elles sont bien sûr très nombreuses et très complexes. Je n'en relèverai qu'une seule. Il me semble que le tour de force de Sarkozy est d'avoir rendu efficiente une triple imposture qui travaille en profondeur l'opinion publique et qui exige aujourd'hui, en retour, un long et patient travail de déconstruction. La première imposture est de faire croire que la France est malade d'une insécurité chronique sans causes, sinon celles de l'immigration et des minorités d'origine étrangère. La seconde est de faire croire que l'insécurité régresse - la manipulation des chiffres est permanente - en passant son temps à souffler sur ses braises et en justifiant in fine qu'une guerre s'impose. La dernière est de faire croire que lutter contre certaines minorités, les Roms en ce moment, est une mesure efficace contre l'insécurité. L'imposture se transforme en faute historique et éthique, s'il existe encore une once d'éthicité de la politique. Coup de génie d'un politicien habile, diront certains. Ce n'est certainement pas la politique d'un homme d'Etat.

 

3. « Liberté, Egalité, Tsigane »

En s'en prenant à la minorité des Roms, à tous ces « Bohémiens en voyage » célébrés par les écrivains, des poètes romantiques à Guillaume Apollinaire en passant par Baudelaire, le pouvoir touche les boucs émissaires des boucs émissaires, les oubliés de la déportation, non seulement les centaines de milliers de tsiganes exterminés par les nazis, mais aussi ces milliers d'autres que Vichy a parqués dans des camps innommables et que la France a laissé enfermés encore un an après la libération. En stigmatisant tous ceux auxquels Toni Gatlif a rendu, cette année même, le si bel hommage de son film Liberté (Entretien avec Toni Gatlif "Liberté, Egalité, Tsigane"[vii]), ce pouvoir cynique, sans mémoire, sans culture, rempli de tant de bêtise et de haine, prive un peuple symbole de liberté de ce qui fonde son identité : le choix d'une vie nomade, la liberté de déplacement que garantit encore pour un temps l'Union Européenne. Qu'il le fasse au moment même où des artistes et des historiens commencent à travailler à la reconnaissance de la responsabilité de la France dans l'enfermement et la mort de milliers de Roms, ne peut que remplir de honte tout citoyen qui a encore un peu de culture et d'humanité.

Car notre Etat s'en prend sciemment aux plus fragiles, aux plus vulnérables. Il sait ce qu'il fait en stigmatisant la minorité des Roms : les préjugés restent malheureusement très forts dans l'opinion publique à l'encontre des Roms et des gens du voyage, quelle que soit leur nationalité. Il sait donc très bien ce qu'il fait en associant volontairement « Roms » et « gens du voyage ». Nicolas Sarkozy sait également ce qu'il fait en reproduisant et en complétant la chaine associative de 2005 entre insécurité, délinquance, immigration, Roms et gens du voyage. Il ne sait peut-être pas ce qu'il produit culturellement, éthiquement, donc politiquement au sens noble du terme : une faute inadmissible et une monstruosité. Une faute de mémoire, une faute historique dont le gouvernement actuel, son Premier Ministre bien longtemps silencieux et aujourd'hui consentant, et le président lui-même portent et porteront durablement la responsabilité.

Cette faute est d'autant plus inadmissible que l'anti-tsiganisme ne cesse de croître dans des proportions alarmantes au niveau de toute l'Europe, en particulier en République tchèque (voir les pages 40 à 45 du rapport 2009[viii] de la Commission Européenne contre le Racisme et l'Intolérance), en Hongrie et en Italie où la traque des Roms bat son plein depuis deux ans et ne fait qu'attiser la xénophobie en renforçant l'extrême-droite (il est urgent de lire à ce sujet les cinq parties de l'enquête "L'Europe au miroir des Roms"[ix] parue dans le volume Cette France-là et reprise sur l'excellent site du collectif Les mots sont importants). Sarkozy voudrait-il une fois de plus marcher sur les traces de Berlusconi qu'il ne s'y prendrait pas autrement. L'extrême droite italienne[x] vient d'ailleurs d'applaudir le président français.

En définitive peu importe au tandem Sarkozy-Hortefeux les cris d'alarme de la Commission Européenne. Peu leur importe que par leur politique l'image de la France à l'étranger soit ternie au point de perdre pour longtemps son symbole de patrie des droits de l'homme. Peu leur importe que l'ONU, le Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, les plus grands éditorialistes de la presse internationale et maintenant l'Eglise dénoncent la dérive xénophobe de la France. A défaut de fraternité, d'humanité et d'intelligence, ils ont la vérité pour eux, les « couches populaires » avec eux, comme le clame Brice Hortefeux dans son entretien au Monde : « J'assume cette vérité », « j'affirme une chose simple et vraie », dit à plusieurs reprises l'ami de trente ans du président. Cette « vérité simple » fait froid dans le dos : l'histoire nous apprend que les vérités simples font souvent le lit des totalitarismes.

 

4. Décomplexion et violence pure

Le petit monde de la sarkozie a imposé son langage. Il fait désormais notre époque, avec son lot de suiveurs, y compris parmi les intellectuels et les petits hommes de médias dont la puissance n'a d'égale que leur soumission crasse au pouvoir politique et aux intérêts financiers dont on sait à quel point ils sont aujourd'hui liés. Les mimes sont partout. Le trait dominant de ce langage semble être la décomplexion. Mais sa singularité réside surtout dans la violence performative de son discours qui est une violence pure.

La droite sarkoziste se proclame « décomplexée ». La polysémie du terme est riche d'enseignements. De quelle timidité ou de quelle complexe d'infériorité la droite souffrait-elle avant de se libérer ? De quelle instance surmoïque a-t-elle triomphé ? Quel tabou a-t-elle surmonté ? La réponse est presque contenue dans les questions : le Front National. Le sarkozisme décomplexé  aspire depuis ses débuts à prendre le chemin suivant : les thèses et la politique de l'extrême droite sont solubles dans la République. Cette décomplexion a commencé par les formes les plus prosaïques mais aussi les plus perverses, le développement exponentiel et la popularisation de la vulgarité en politique : une libération du langage qui cultive l'insulte, le renversement des positions (« les socialistes milliardaires » ou les médias « fascistes »), le mime des préjugés populaires les plus dangereux, le dénigrement de l'intelligence et de la culture, l'annexion et le travestissement des figures historiques (Jaurès et maintenant Clémenceau), la détestation et la stigmatisation des intellectuels, etc... Les exemples sont trop nombreux et trop connus pour qu'on prenne la peine de les citer tous, même si leur étude précise est à faire et leur dénonciation à produire systématiquement.

Cette décomplexion, en elle-même inadmissible en ce qu'elle extrait définitivement l'éthique de toute pratique politique, devient condamnable quand elle conduit à une banalisation de la xénophobie. Le mime, la reprise et la « sanctuarisation » politicienne des préjugés populaires n'a jamais atteint un tel degré d'efficacité sociale. Le fonctionnement est celui d'un appel à la gratification narcissique des racistes ordinaires qui découvrent de plus en plus dans leurs gouvernants un miroir de leurs affects, de leur vécu, de leur appréhension du réel. Les « choses simples et vraies » de Brice Hortefeux. Comme si les français ne pouvaient plus avoir accès aux choses complexes.

Alors que l'on croyait que la tâche d'un démocrate et plus encore d'un homme d'Etat était de lutter contre les préjugés les plus dangereux de l'opinion, Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux à sa suite, de nombreux autres à leur suite, ont fait dès longtemps le choix de les alimenter et de les aviver, au risque de déliter le fragile ciment social et le pacte républicain dont leurs fonctions les rendaient garants. Et n'est-ce pas une forme de violence exercée à l'encontre du peuple que d'alimenter ses préjugés ? Le recours et le retour aux valeurs et aux symboles simples de la patrie (drapeau, Marseillaise) donne la touche sérieuse et grave qui manquait à cet empire de la vulgarité. Mais on inspire difficilement le respect des symboles et des valeurs républicaines dans un contexte de rabaissement permanent de la culture, de conflits d'intérêts et de scandales financiers. Là aussi le sarkozisme est un lamentable échec, une schizophrénie politique, une invention monstrueuse.

L'Etat français nous fait baigner dans une violence politique si ordinaire que la majorité finit par ne plus la voir. Elle est pourtant profonde, proche de ce que Walter Benjamin nommait « la violence pure » dans son essai « Pour une critique de la violence », un texte difficile qu'il faudrait relire attentivement. Le champ d'exercice de cette violence pure est d'abord le langage, la parole. Le national-populisme à la manière Sarkozy a sa langue propre. Son règne est le performatif : faire que la chose advienne en la nommant. Je ne prends qu'un exemple récent, celui de Lies Hebbadj, le commerçant nantais que Hortefeux veut déchoir de sa nationalité. Préparant le terrain à son projet de décret en faisant explicitement d'un cas individuel un problème de société, le ministre de l'Intérieur a transformé le plus naturellement du monde un « mis en examen » en « présumé coupable », et ce avant même que la justice ne se soit prononcée. Il ne fait là que suivre un « droit » que s'était déjà arrogé son prédécesseur, le ministre de l'Intérieur de 2003 qui annonçait le soir même de l'arrestation d'Yvan Colonna que la police venait d'arrêter « l'assassin du préfet Erignac ». On connaît les récidives qui suivront en matière d'atteinte à la présomption d'innocence. La condamnation antérieure à l'exercice de toute justice humaine relève bien d'une violence pure dont l'équivalent est celui de la violence divine.

Faute politique, mensonge, manipulation sont choses graves. Mais le plus affolant est la performativité sociale de cette parole : elle fait exister la culpabilité en la nommant. La logique est semblable à celle de l'insulte et de la stigmatisation des minorités. Elle est encore semblable à la modalité d'une déchéance de nationalité : un juge dit : « Vous n'êtes plus français », et vous n'êtes plus français. La violence à l'état pur. C'est peut-être là l'essence de ce nouveau pouvoir, plus dangereuse parce que plus insidieuse que les thèses traditionnelles de l'extrême droite. Car, lorsqu'un pouvoir commence à s'établir sur un tel fantasme de toute-puissance, lorsque nous observons l'efficacité redoutable de cette nomination à travers les relais d'opinion, nous ne pouvons exclure que ce pouvoir tente de mettre le droit en conformité avec sa praxis et avec l'idéologie qu'il diffuse. Il est même condamné à faire exister ce qu'il énonce, sauf à discréditer entièrement sa parole et sa politique. C'est ce qu'affirme fortement Hortefeux dans son entretien au Monde : « Il y aura donc autant de textes, de lois, de règlements que la réponse au défi de la protection des Français l'exige. Je n'ai aucun complexe là-dessus ». Encore la décomplexion. On voit ici le cercle vicieux et la perversité de la parole performative : l'invention sécuritaire met non seulement l'Etat en demeure de répondre à sa parole, mais il le place aussi devant un immaîtrisable, condamné qu'il est à se nourrir de ce qu'il produit et à alimenter toujours un peu plus le monstre qu'il a créé.

 

5. Non la peur, mais une éthique de la résistance

Deleuze disait que le 21ème siècle verrait l'apparition d'une société de contrôle et non plus d'enfermement. Il se trompait : l'Etat-Sarkozy a réussi à nous imposer en huit ans de responsabilités politiques et un peu plus de deux années de présidence le contrôle et l'enfermement. Il n'y a jamais eu autant de monde dans les prisons, autant de jeunes dans les prisons, autant de suicides dans les prisons. Autant de suicides dans les entreprises. Même les prisonniers ont peur. Les policiers, les CRS, les pompiers ont peur. Les Préfets ont peur. On finit par se demander si l'Etat n'a pas peur de la peur qu'il invente.

La peur est cause et conséquence de l'insécurité. Elle est au coeur même des réformes que le gouvernement nous impose à un rythme effréné : la peur de n'être pas un bon chercheur et de devoir enseigner plus, la peur de ne pas être "performant", la peur de l'évaluation, de la concurrence, de l'excellence, la peur du collègue, du petit chef ou du grand chef, la peur de perdre son emploi, la peur de la précarité dont le développement est exponentiel dans ce qui reste de la fonction publique et dans toute notre société. Il existe aujourd'hui au moins trois types de peurs que le pouvoir a avivés et élevés à un degré insupportable : la peur sociale (la peur ordinaire, quotidienne, celle qui tient à l'insécurité professionnelle, à la sécurité des personnes), la peur politique (celles des militants associatifs ou syndicaux, des citoyens engagés dans les luttes, de plus en plus souvent intimidés, poursuivis ou réprimés par les pouvoirs publics), enfin la peur des victimes des politiques d'exclusion, la peur quotidienne du contrôle policier pour les milliers de sans-papiers, la peur panique de l'enfant arraché à sa mère, la peur du Rom privé de sa liberté et renvoyé dans un pays où il sera persécuté. Une peur autrement plus grande que les deux premières parce qu'elle engage des vies et des destins individuels.

Même la justice, sous la pression du Ministre de l'Intérieur et des Préfets, est devenue un moyen de distiller une peur protéiforme. La mise au placard de certains juges[xi] - sans parler de la valse des préfets - et la politique d'abattage à laquelle sont soumis les magistrats montrent l'inféodation pernicieuse de la justice à la doctrine sécuritaire du Ministère de l'intérieur et de l'Elysée : nous vivons désormais dans un pays où le principe constitutionnel de l'indépendance des magistrats est régulièrement foulé aux pieds et où les hauts fonctionnaires un peu libres de leurs idées sont mis au pas, ou tout bonnement mis à pied. L'autoritarisme et la logique de la sanction servent une politique de la peur qui n'a jamais eu d'équivalent depuis un demi-siècle ou davantage.

 

Face à ce gouvernement par la peur, et avant qu'elle ne se transforme en terreur, avant que cette peur ne produise d'autres formes de peur et de violence qui nous font craindre le pire, tous les citoyens responsables doivent se lever pour dire "Non!" à cet Etat de non-droit, pour rompre le cercle de la peur en assumant le risque de l'engagement, en ignorant les possibles sanctions et en se battant à tous les niveaux de la vie sociale pour se réapproprier le discours et la pratique critique, continuer à inventer des espaces de liberté et renforcer tous ces liens que les appels et les collectifs tissent comme une toile infinie et incontrôlable contre laquelle l'Etat de peur ne peut rien.

Il faut en appeler aussi au courage politique et à la responsabilité historique et éthique des intellectuels et des journalistes. Il faut en appeler encore à nos responsables syndicaux pour qu'ils prennent la mesure du piège et des conséquences qu'un syndicalisme de cogestion fait encourir à tous les secteurs professionnels. La fin du quinquennat de Sarkozy sera sous le signe d'un syndicalisme véritablement offensif ou les syndicats prendront le risque de perdre de nouvelles batailles. Il faut en appeler enfin à une véritable pratique critique que les Sciences Humaines et Sociales se doivent de continuer à développer, aujourd'hui plus que jamais. Le programme de mise au pas et d'affaiblissement structurel des SHS ne doit pas passer. Car nous avons plus que jamais besoin de sciences sociales fortes, d'historiens vigilants et engagés, de chercheurs continuant à développer des pratiques et des théories critiques du social et du politique, d'artistes libres de leurs créations et de leurs engagements, d'artistes soutenus par l'Etat. L'université et l'ensemble des organismes de recherche qui sont devenus le terrain d'exercice et d'élaboration de l'idéologie sarkoziste se doivent de résister, par tous les moyens légaux et démocratiques qui restent à leur disposition, à la plus grande entreprise de destruction des libertés académiques et de la collégialité des universitaires jamais mise en œuvre de puis la création de l'université . Une éthique de la résistance s'impose en tous lieux où il y a de la vie sociale. Elle exige une mobilisation de toutes les forces de l'intelligence, du langage et de la création pour retrouver le sens de l'utopie et inventer des idées nouvelles contre les « vérités simples », toutes faites, jetées à l'opinion publique par des politiciens irresponsables pour seulement recueillir l'assentiment des esprit les plus démunis face à l'inadmissible.

 

Quand des hommes politiques ont totalement abdiqué devant la complexité du réel pour imposer l'ineptie comme vérité et la haine de l'Autre comme programme politique, ils ne méritent plus, en démocratie, le respect dû à leur fonction. Et quand ils ne cessent de déformer et d'instrumentaliser l'histoire dans un grand révisionnisme de la pensée, ils doivent s'attendre à des dénonciations vigoureuses, à la hauteur de leurs impostures. Il est grand temps, vraiment, de ne plus rien laisser passer à ce gouvernement.

Aussi la journée de rassemblements citoyens du 4 septembre sera-t-elle décisive. Celle du 7 septembre contre la réforme des retraites ne le sera pas moins. Les deux sont étroitement liées car nous savons bien que la violence et la xénophobie d'Etat font système avec la violence économique et sociale d'un gouvernement qui, en un peu plus de deux années, aura appauvri les plus pauvres, enrichi les plus riches, persécuté les plus fragiles et détruit la moitié des services publiques pour les brader aux intérêts du privé. Les pétitions et les tribunes sont des armes essentielles pour alerter l'opinion publique, mais elles ne suffiront pas. On n'arrêtera pas cette folle machine sécuritaire et xénophobe sans un véritable sursaut citoyen, sans une prise de conscience individuelle et collective, sans un engagement de tous, c'est-à-dire un engagement de chacun.

L'enjeu n'est plus seulement nos libertés démocratiques fondamentales, mais ce qui les conditionne : notre liberté de penser, notre liberté d'expression, aujourd'hui remises en cause. Le temps n'est pas loin où une réflexion libre sur la violence pure sera condamnée pour « délit d'opinion » et censurée par un Etat dont la politique fait le lit de la barbarie. Mais le temps n'est pas loin non plus où les citoyens démocrates qui n'auront pas cédé à la peur, à l'indifférence ou au fatalisme, prendront leurs responsabilités, exerceront leur devoir avec courage et détermination et entreront en résistance pour mettre un terme à la politique du pire.

 

Pascal Maillard

Strasbourg, août 2010

 

 



[i] http://perdre-la-raison.blogspot.com/2010/08/recensement-de-toutes-les-lois-de.html

[ii] http://www.mediapart.fr/journal/france/220710/justice-ce-qui-n-est-plus-supportable

[iii] http://www.liberation.fr/societe/0101651734-il-n-est-pas-permis-de-comparer-la-politique-du-prefet-a-celle-de-vichy

[iv] http://www.mediapart.fr/club/blog/eric-fassin/240609/monsieur-sarkozy-nous-ne-vous-voyons-pas-assez

[v] http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2005-09-21-M-Sarkozy-contre-l-anti-France

[vi] http://lmsi.net/Sarkozy-les-medias-et-l-invention

[vii] http://tony-gatlif.mondomix.com/fr/video5625.htm

[viii] http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/Country-by-country/Czech_Republic/CZE-CbC-IV-2009-030-FRE.pdf

[ix] http://lmsi.net/L-Europe-au-miroir-des-Roms,1101

[x] http://www.mediapart.fr/journal/france/240810/roms-lextreme-droite-italienne-applaudit-nicolas-sarkozy

[xi] http://www.rue89.com/blog-justice/2010/08/20/je-suis-un-petit-juge-sanctionne-pour-avoir-voulu-rendre-la-justice-162991

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29 août 2010 7 29 /08 /août /2010 21:18

Le sommet Chavez-Santos en Colombie: l’éruption d’une paix négociée grâce à UNASUR

 

Par Francisco Dominguez, secrétaire de Venezuela Solidarity Campaign 



Les relations déjà mauvaises entre le Venezuela et la Colombie ont empiré à la suite des accusations de Luis Hoyso, représentant du gouvernement Uribe à l’OEA (Organisation des Etats Américains), selon lesquelles le gouvernement vénézuelien abriterait des guérilleros colombiens (1500) et autoriserait sur son territoire des camps d’entraînement à la guérilla (85). Les preuves – déjà réfutées– de ce tissu de mensonges une fois encore venaient des « ordinateurs magiques » saisis par les forces militaires colombiennes lors de leur attaque militaire illégale du 1er mars, 2009.

 

Chavez a réagi par la rupture des relations avec la Colombie, entraînant une nouvelle dégradation  entre les deux nations, mais il a néanmoins envoyé son ministre des Affaires Etrangères pour assister à l’investiture de Santos. La réponse d’Uribe fut d’annoncer, la veille de cette investiture, que son gouvernement déposait une plainte formelle contre le Venezuela auprès du Comité Américain des Droits de l’Homme, et une autre contre le président Chavez lui-même auprès de la Cour Pénale Internationale. Par ailleurs, Uribe s’est déclaré prêt à témoigner devant la CPI contre Hugo Chavez.

 

Cependant, après d’intenses activités diplomatiques à l’initiative de UNASUR, Nicolas Maduro, ministre vénézuélien des Affaires Etrangères, Nestor Kirchner, président de UNASUR et Lula, président du Brésil (ce dernier ayant rencontré publiquement à la fois Hugo Chavez et Juan Manuel Santos au cours de diverses réunions séparées), ont réussi, en quelques jours, à transformer ce qui apparaissait comme une escalade inexorable vers une catastrophe, en un des retournements politiques in extremis des plus extraordinaires de l’histoire latino américaine récente.

 

Pendant son investiture, Juan Manuel Santos a stupéfié le monde en annonçant que son gouvernement aurait comme priorité de chercher à réparer et normaliser les relations de la Colombie avec le Venezuela et l’Equateur.

Et dans un contraste saisissant avec la position dominante sous Uribe, Santos a déclaré : «  Le mot ‘guerre’ n’est pas dans mon dictionnaire quand je pense aux relations de la Colombie avec ses voisins » (à l’opposé du bellicisme d’Uribe). Par ailleurs, Santos avait antérieurement exprimé sa volonté, sous certaines conditions, de discuter même avec les guérilleros colombiens. Une nouvelle surprise allait suivre : Santos ordonna que les « ordinateurs magiques”  de Paul Reyes soient remis au gouvernement équatorien.

 

Les medias britanniques comme le Guardian, The Economist, la BBC, et bien sûr l’omniprésent Human Right Watch avaient, à l’époque, accueilli avec enthousiasme les « preuves » publiées par les autorités colombiennes. Quant aux media privés nord américain, leur attitude était encore pire. Comme on l’a appris, bien que ce ne soit pas l’objet d’une large diffusion par les medias, Ronald Coy, le chef de la police technique colombienne, avait révélé au cours d’une enquête officielle d’une part, que les données des ordinateurs avaient été manipulées avant d’être soumis à l’inspection judiciaire, et d’autre part qu’aucun e-mail n’y avait été découvert (ce qui n’avait pas empêché Rory Carroll, correspondant du Guardian en Amérique latine, d’avoir « lu » plusieurs e-mails sur les ordinateurs magiques, comme il l’avait écrit à l’époque). 


Bientôt nous saurons combien, parmi les “preuves” de Monsieur Hoyos, résisteront à l’analyse des “ordinateurs magiques” par l’Equateur. Le gouvernement vénézuelien a systématiquement réfuté ces accusations et jusqu’à ce jour, à part les apparitions régulières de “faux positifs” uribistes dans les medias, aucune preuve sérieuse d’aucune sorte n’a été fournie afin de corroborer les allégations selon lesquelles le Venezuela abriterait des guérilleros et des camps de guérilla sur son territoire, ou qu’il leur fournirait ressources et armes.


Le Venezuela et la Colombie partagent 2213km de frontières très poreuses. Le conflit interne à la Colombie a la malencontreuse dynamique de déborder au-delà de ses frontières dans les pays voisins sous des formes diverses : guérilleros, paramilitaires, trafiquants de drogue, réfugiés et immigrés fuyant le conflit (environ 5 millions de colombiens résident de façon permanente au Venezuela). On estime que dans l’ensemble, la force militaire colombienne comporte 300 000 soldats – proportionnellement la force la plus importante de la région, 7 fois supérieure aux forces armées vénézueliennes - et  qu’elle bénéficie de 7 milliards d’aide militaire par les USA (leur 2ème bénéficiaire au niveau mondial). Elle est cependant incapable de contrôler ce qui se passe sur son propre territoire où sévissent 8 000 guérilléros armés, plusieurs milliers de paramilitaires actifs illégaux et beaucoup de trafic de drogue.  La plus grande partie de la cocaïne du monde (50%) est produite en Colombie. Le Venezuela se trouve donc géographiquement pris en sandwich entre le plus grand producteur et le plus grand consommateur de cocaïne d’un point de vue mondial, à savoir respectivement la Colombie et les USA.


Après l’investiture de Santos, les évènements se sont précipités. Grâce à la médiation de Nestor Kirchner, les ministres des Affaires Etrangères de Colombie et du Venezuela se sont rencontrés dimanche dernier à Bogota et ont annoncé que les présidents Santos et Chavez se rencontreraient dans une réunion extraordinaire au sommet, mardi 10 août en Colombie. Chavez a saisi immédiatement l’occasion offerte par son homologue colombien et a fait un appel aux guérilleros pour qu’ils trouvent une solution politique : «  les guérillas colombiennes n’ont pas d’avenir par les armes… en outre, elles sont devenues un prétexte pour que l’empire (US) intervienne en Colombie ce qui menace le Venezuela» a-t-il dit dimanche. Il leur a aussi demandé de montrer leur engagement à un accord de paix par « de façon convaincante, par exemple, en libérant tous ceux qu’ils ont kidnappés ». 

 

Il est clair que Santos voulait raccommoder les relations avec le Venezuela et l’Equateur et qu’il était prêt à accepter pour cela l’aide de UNASUR afin de faciliter sa rencontre avec Chavez. Si Santos est si déterminé à améliorer les relations entre la Colombie et le Venezuela et l’Equateur, c’est d’une part qu’il souhaite en finir avec l’isolement régional de la Colombie, et d’autre part que l’arrêt quasi complet du commerce avec le Venezuela pose un vrai problème à l’économie colombienne (leurs échanges commerciaux ont décliné de 73,7%). Il est aussi clair qu’Uribe savait cela et son attaque enragée de dernière minute contre le Venezuela visait sans doute plus Santos que Chavez. Uribe a désespérément essayé de torpiller le rapprochement colombo-vénézuelien avant de partir.


Ces efforts désespérés d’Uribe reflètent les actions de puissantes forces à Washington qui travaillent intensément pour que le Venezuela soit qualifié d’“Etat soutenant le terrorisme”, “Etat narcotrafiquant” ( en particulier au sein de Southcom et du Congrès). Ces forces souhaiteraient une solution « militaire » du soit disant « problème vénézuelien ». SOUTHCOM est très actif dans l’installation de bases militaires nord américaines partout dans la région, et a remis en place la 4ème flotte (mise hors service en 1950). Les USA ont déployé 20 000 soldats en Haïti après le tremblement de terre et posté d’importantes forces militaires au Costa Rica (7 000 soldats, 200 hélicoptères et 46 bateaux de guerre pour la fin décembre). Ainsi, qualifier le Venezuela de « soutien du terrorisme » n’est pas juste de la rhétorique droitière, cela peut avoir des conséquences militaires graves. Les dirigeants de la région sont très alarmés par ces évolutions  et ont fait part de leurs inquiétudes.


Une des dimensions généralement omise des rapports entre la Colombie et le Venezuela est l’attitude de la droite vénézuelienne. Pendant les deux mandats présidentiels d’Uribe, à chaque querelle, elle prenait position de façon enthousiaste en faveur d’Uribe. Elle a fait de même cette fois encore, mais a été prise au dépourvu par l’annonce de Santos. Quand il s’agit de s’opposer au Président Chavez, la droite vénézuelienne perd le sens des proportions. Ainsi, par exemple, Cesar Perez Vivas, gouverneur de l’Etat de Táchira, et membre de COPEI, a été jusqu’à demander à Chavez de ne pas faire de la présence de bases militaires nord américaines dans ce pays une pré condition pour la normalisation de ses relations avec la Colombie. Alberto Nolla, un animateur de télévision, a suggéré qu’au cours de la crise déclenchée par les actions d’Uribe, les medias de droite au Venezuela étaient plus bruyants dans leur soutien à Uribe que les medias colombiens eux-mêmes. Un examen sommaire des principaux journaux de droite tels que El Universal et El National et des chaînes de télévision comme Globovision le confirment de façon concluante.

 

Ce qui est sans précédent c’est que l’administration nord américaine fut de facto réduite au rôle de spectatrice. Les USA ont soutenu les accusations contre Chavez à l’OEA (leur ambassadeur à l’OEA a déclaré « … notre préoccupation sur les liens entre le Venezuela et les FARC qui nous a empêché de reconnaître le Venezuela comme coopèrant entièrement avec les USA et d’autres dans ces efforts anti-terroristes ») mais ils ont été clairement mis sur la touche par la stratégie de la corde de raide de UNASUR qui a mené au rapprochement entre la Colombie et le Venezuela. C’est Santos, Chavez et UNASUR (en particulier le Brésil) qui ont pris les choses en main (le gouvernement du Brésil a fait clairement comprendre qu’il voulait que la question soit réglée au sein de UNASUR, sans l’influence des USA. Il a proclamé que l’Amérique du Sud était une « région pacifique » et affirmé que les problèmes entre les pays devaient, en premier lieu, être traités bilatéralement). Cette réalité montre d’abord une confiance en soi croissante et une indépendance de la région vis-à-vis des centres économiques traditionnels, et d’autre part une prise de distance de plus en plus ferme envers les USA. Les plaques tectoniques ont bougé de façon spectaculaire et la plupart des dirigeants latino-américains ont l’impression d’avoir évité une guerre quasi certaine menée conjointement par Uribe et les USA.

 

Reste à savoir jusqu’où ce sommet mènera les deux pays. Ils ont décidé de rétablir complètement leurs relations dans tous les domaines et les deux présidents ont mis en place cinq commissions dans le cadre d’une déclaration de principes commune. Elles comprennent une commission sur la dette ; une autre sur la collaboration économique entre les deux pays ; une pour le développement d’un plan d’investissement sur leur frontière commune ; une autre pour une entreprise commune de travaux d’infrastructure ; et enfin une commission de sécurité. Les deux chefs d’Etat se sont engagés à collaborer dans la lutte contre le trafic de drogue, et les activités armées illégales paramilitaires. La Colombie a envoyé le président du parlement colombien, Armando Benedetti pour aider au processus de rétablissement complet des relations entre les deux pays. L’OEA a félicité Santos et Chavez pour leur diplomatie. Les peuples des deux nations se sont réjouis. Cependant toutes les questions en litige entre les deux nations n’ont pas toutes été traitées, ainsi les bases militaires nord américaines en Colombie, le besoin urgent d’un processus de paix en Colombie, et les accusations levées par Uribe contre le Venezuela devant la Cour Américaine des Droits de l’Homme et contre la personne de Chavez à la CPI.

 

Les chiens de la guerre sont, au moins temporairement, tenus en laisse. La paix a soudain fait éruption. Le rétablissement complet des relations entre le Venezuela et la Colombie est bien entendu très positif. Cependant, la pléiade de forces qui s’opposent à un programme de paix aussi étendu est aussi assez impressionnante. Pour commencer à sa tête se trouvent les USA, et elle inclut de puissants groupes économiques dans la plupart des pays de la région, tels que les séparatistes de l’Est de la Bolivie qui ont failli renverser le gouvernement de Morales en 2009 ; la droite vénézuelienne qui a réussi à évincer Chavez en 2002 (mais le peuple l’a remis au pouvoir) ; l’oligarchie colombienne elle-même ; la bourgeoisie pinochettiste chilienne extrêmement riche et puissante ; la droite en Argentine ; les très riches entrepreneurs de Guayaquil etc.. Tous ceux-là d’une manière ou d’une autre sont pour la militarisation nord américaine de la région comme solution de dernier recours face aux mouvements sociaux radicaux et aux gouvernements progressifs du continent. En attendant la militarisation étatsunienne de la région se poursuit à un rythme accéléré.

 

Il est dans l’intérêt de l’Amérique latine, très bien représentée à cette occasion historique par UNASUR, d’aider l’oligarchie colombienne à desserrer l’étreinte nord américaine très inconfortable dans laquelle l’a mise Uribe. D’un autre côté il y a les intérêts nord américains hégémoniques dans la région et leur dépendance croissante à cause du pétrole envers des gouvernements farouchement nationalistes qui affirment collectivement leur indépendance. Les stratèges politiques et militaires de Washington sont sans doute stupéfaits de ce rapprochement extraordinaire entre Santos et Chavez.

 

 Les efforts insensés d’Uribe pour provoquer une guerre avec le Venezuela soulignent la situation impossible dans laquelle se trouvent les USA: confrontés à la révolte de leurs voisins du Sud, incapables de l’emporter politiquement, et dans l’impossibilité d’offrir le développement, le progrès, l’investissement, voire le mode de vie américain (the American Way of Life) qui
est en train de s’effondrer aux USA mêmes, ils ont décidé d’avoir recours à la guerre pour maintenir leur arrière cour dans la soumission. L’Amérique latine a choisi la démocratie, le progrès social, la souveraineté nationale et la paix. Dans cet épisode, même l’oligarchie colombienne la plus fidèle aux USA a pris le parti du Sud et non du Nord. Nous verrons qui gagnera cette bataille historique en cours.

 

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29 août 2010 7 29 /08 /août /2010 21:08

 

Les syndicats confirment leur appel à une mobilisation massive le 7 septembre

lundi 23 août 2010, par Frédéric Dayan

 

Réunis au siège de la FSU ce 23 août, les huit organisations syndicales ont renouvelé leur appel "à faire du 7 septembre prochain une journée massive de grèves et de manifestations" face à un projet de réforme des retraites".

Dans un communiqué , la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC, la CGT, la FSU, Solidaires et l’UNSA (FO n’a pas signé le texte final) qualifient le texte d’Eric Woerth d’"injuste et inacceptable". Elles "appellent tous les salariés du privé et du public, les demandeurs d’emploi, les jeunes et les retraités à poursuivre la construction d’une mobilisation de grande ampleur et à faire du 7 septembre prochain une journée massive de grèves et de manifestations". La mobilisation doit permettre de "faire entendre leurs revendications et leurs propositions concernant le projet de réforme des retraites", dont les syndicats regrettent notamment qu’il fasse porter "à plus de 85% les efforts sur les salariés". (...) "La remise en cause des 60 ans avec le report à 62 et 67 ans des âges légaux va fortement pénaliser les salariés et notamment ceux ayant commencé à travailler jeunes, ceux ayant des carrières chaotiques et incomplètes, en particulier les femmes", soulignent les sept organisations qui ont par ailleurs décidé de se revoir dès le 8 septembre pour "pour analyser la situation et décider des suites unitaires à donner rapidement à la mobilisation."

Flash Video - 21.9 Mo
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29 août 2010 7 29 /08 /août /2010 20:56
NATION FRANÇAISE : LES AMALGAMES ODIEUX DE SARKOZY

jeudi 5 août 2010 par Chems Eddine Chitour

"Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit ; je n’étais pas communiste. Quand ils ont jeté en prison les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit ; je n’étais pas social-démocrate. Quand ils sont venus chercher des catholiques, je n’ai pas protesté ; je n’étais pas catholique. Quand ils sont venus me chercher, il n’y avait plus personne pour protester."

Pasteur Martin Niemöller déporté (1892-1984)

 

Le discours sécuritaire de Grenoble du président Sarkozy a secoué le landerneau en France en provoquant un tollé pour certains et une approbation militante pour d’autres. De quoi s’agit-il ? Pour la première fois, il est fait appel à la notion de déchéance de la nationalité, non pas à des Français, d’une façon indifférenciée, mais pour certaines catégories de Français d’origine immigrés. Cette distinction ouvre le débat sur la notion d’identité française acquise d’une façon provisoire ou définitive. Il est vrai que cette dichotomie du refus de ces éléments allogènes au corps social a toujours existé sous les différents gouvernements. N’est-ce pas en effet, le général de Gaulle qui s’écriait : « (...) Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? » N’est ce pas aussi le président Mitterrand qui parlait du seuil de tolérance ? Jacques Chirac, lui, parle de bruit et d’odeur pendant que Jean-Pierre Chevènement traite les jeunes beurs de sauvageons comme aux plus belles heures du mythe des races supérieures cher à Jules Ferry, et du langage zoologique dont parle si bien Frantz Fanon.

Un article pertinent du Journal Le Monde analyse les points forts du discours de Grenoble : (...) Lutte contre la délinquance, encore et toujours. (...) Après un train d’annonces répressives concernant les gens du voyage et les Roms, ce sont cette fois les jeunes délinquants qui sont dans le collimateur du chef de l’Etat, mais aussi l’immigration.

« Le Parlement examinera la possibilité d’étendre les peines plancher aux auteurs de violences aggravées. » (...) La nouveauté serait ici de les mettre en application dès la première condamnation, ce qui correspond à une revendication des syndicats policiers. La nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un policier, d’un gendarme. On se souvient du provocateur « la France, tu l’aimes ou tu la quittes », lancé par Nicolas Sarkozy en 2006. Avec cette proposition de retrait de nationalité en cas d’agression sur un policier, le chef de l’Etat ne fait que reprendre une idée évoquée dans le programme de 2007 du Front National. (...) « Je souhaite que l’acquisition de la Nationalité française par un mineur délinquant au moment de sa majorité ne soit plus automatique. » (...) « Je souhaite que l’on évalue les droits et prestations auxquelles ont accès les étrangers en situation irrégulière. Une situation irrégulière ne peut conférer plus de droit qu’une situation régulière et légale. » Nicolas Sarkozy renoue ici avec une vieille thématique, aussi utilisée par l’extrême droite. (...) « Réforme profonde du droit pénal appliqué aux mineurs et saisine immédiate du tribunal pour enfants. » « Les parents manifestement négligents pourront voir leur responsabilité engagée sur le plan pénal. »(1)

La République mise à mal

Pour rappel, selon l’article 1er de la Constitution française « La République assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Du point de vue du droit, pour Le professeur Guy Carcassonne, toute déchéance qui laisserait un individu apatride ou qui serait basée sur le mode d’acquisition de la nationalité serait inconstitutionnelle ! M. Sarkozy s’attaque ainsi à deux principes juridiques considérés comme intangibles depuis la Libération : le droit à la nationalité et le refus de toute distinction entre les Français « de souche » et ceux ayant acquis récemment la nationalité.

Les réactions sont vives à Gauche « Le président de la République a pris la lourde responsabilité de faire des étrangers et des personnes d’origine étrangère ceux et celles qui seraient responsables de l’insécurité », déclare la Ligue des droits de l’homme dans un communiqué.

« Ce qui est en cause, ce n’est plus le débat légitime en démocratie sur la manière d’assurer la sécurité républicaine, c’est l’expression d’une xénophobie avérée. Quelle que soit la légitimité que confère l’élection, aucun responsable politique ne détient le mandat de fouler aux pieds les principes les plus élémentaires de la République, et de désigner à la vindicte des millions de personnes. Le président de la République et son gouvernement mettent ainsi en oeuvre une stratégie de la tension, en espérant sans doute retrouver un électorat perdu, au risque de mettre en péril la paix civile. (...)Le Parti socialiste comme les Verts ont insisté sur "l’échec" de la politique de sécurité du président. (...) Pour Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche), la nationalité acquise ne doit pas être remise en cause pour des raisons de droit commun sauf à créer une catégorie nouvelle de sous-Français conditionnels. »(2)

A Droite, le discours ultra-sécuritaire de Grenoble est salué par la « droite populaire », un collectif de députés UMP qui assume vouloir reconquérir l’électorat FN. Ils revendiquent des valeurs très ancrées à droite : travail, famille, patriotisme, nation, sécurité, liberté d’entreprendre...Il s’agit, selon le député Lionnel Luca (Alpes-Maritimes), qui est l’un des initiateurs de ce rassemblement, de « revenir aux fondamentaux » du sarkozysme. Ce même Lionel Lucas, émigré de la deuxième génération, dont le père est roumain, avait défrayé la chronique en s’associant dans sa tentative de diaboliser le film de Bouchareb à deux autres personnalités, le député Emile Aboud d’origine libanaise et le secrétaire d’Etat aux anciens combattants Hubert Falco d’origine italienne qui, on l’aura compris, ne sont pourtant pas français de souche ! Mystère ! à moins de faire appel à un autre paramètre, la culture et surtout, le culte qui berce l’imaginaire de chacun même en terre de laïcité.

François Sergent résume l’importance du message du président Sarkozy : « Ce sont, dit-il, des mots pour faire mal, des mots pour discriminer. Après sa sortie sur le "comportement des gens du voyage et des Roms", le président s’attaque aux étrangers et aux fils et filles d’étrangers Ce président qui se dit féru d’histoire revient aux mesures pratiquées aux heures les plus honteuses du passé français : la déchéance de la nationalité, pour la dernière fois utilisée par le régime de Vichy contre les Juifs. Il veut ainsi créer deux catégories de Français, ceux de souche, aussi vaine que soit cette définition, et ceux de naturalisation récente, donc suspecte et suspensive. Dans un amalgame odieux, il assimile ainsi la délinquance à l’immigration. (...) On ne saurait mieux ratisser sur les terres de l’extrême droite. Mais, ce n’est pas de l’angélisme de dire que la force et la répression ne peuvent résoudre la délinquance et le mal-vivre dans les quartiers. Il existe des solutions républicaines, mélange de prévention, d’éducation et de maintien de l’ordre et de la loi. » (3)

Il reste cependant, à lever une ambiguïté dans l’idéologie du président Sarkozy. On s’aperçoit qu’elle évolue du tout au tout en fonction des circonstances. Comme l’écrit Julien Martin de Rue 89 : « Le chef de l’Etat veut déchoir de leur nationalité les délinquants d’origine étrangère. En 2006, il refusait toute forme de double peine. (...)Nicolas Sarkozy semble bien éloigné de l’égalité républicaine...et de son ancienne « conviction ». Une « conviction » pourtant couchée noir sur blanc lorsque, après deux années passées au ministère de l’Intérieur, il écrit en 2004 : « La réforme de la double peine a procédé de la même conviction : à chaque délit, à chaque crime, il doit y avoir une réponse pénale ferme. Mais celle-ci ne peut varier selon que l’on est, sur sa carte d’identité, Français ou non. Lorsqu’il a passé toute son enfance en France ou qu’il y a fondé une famille, le second n’a pas à subir une seconde sanction en étant expulsé dans son pays de nationalité et coupé de sa famille. » Si le chef de l’Etat s’éloigne aujourd’hui de cette position, il se rapproche en revanche du programme du Front national. (4).

En définitive sur quelle vision de l’histoire doit reposer l’identité nationale en France ? Celle d’une France gauloise, continuée par les rois, accomplie définitivement avec la République ? Ou celle d’une France métissée, faite de diversités culturelles et ethniques, ouverte sur l’avenir ? Qu’est-ce qu’être français au XXIe siècle ? Doit-on comme le réduit le débat actuel, tenir à distance le musulman au point qu’à la 4e génération on parle encore de l’origine des beurs ? Qu’est-ce qu’un Français de souche ? (5) Dans un de ses discours, le président Sarkozy déclarait : « (...) Mais je veux leur dire aussi que, dans notre pays, où la civilisation chrétienne a laissé une trace profonde, où les valeurs de la République sont partie intégrante de notre identité nationale, tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à cet héritage et à ces valeurs condamnerait à l’échec l’instauration si nécessaire d’un Islam de France [...] » Les musulmans doivent-ils comprendre, explique Evariste, que « la France, tu l’aimes chrétienne ou tu la quittes » ? (...) Ce serait oublier que la République s’est construite en rupture avec la France chrétienne, (...) qu’il aura fallu qu’un sang impur abreuve nos sillons (que le sang bleu des forces monarchistes et cléricales soit versé).(6)

L’immigré Sarkozy

Nous donnons la parole à Jean Baubérot qui répond magistralement et avec humour au président Sarkozy : « Tu as écrit une tribune dans Le Monde (9 décembre) qui a retenu toute mon attention. En effet, tu t’adresses à tes "compatriotes musulmans", et c’est mon cas, moi Mouloud Baubérot, frère siamois de celui qui tient ce blog. Avant, par politesse, il faut que je me présente très brièvement. Ma famille provient de Constantine. Nous sommes donc d’anciens Français. D’autres nous ont rejoint peu de temps après et sont devenus Français, en 1860, tels les Niçois et les Savoyards. Et au siècle suivant, d’autres sont encore venus. Certains de l’Europe centrale, bien différente de notre civilisation méditerranéenne. Mais, comme tu l’écris très bien, nous sommes très "accueillants", nous autres. Alors nous avons donc accueilli parmi eux, un certain Paul Sarkozy de Nagy-Bosca, qui fuyait l’avancée de l’Armée rouge en 1944. Nous sommes tellement "accueillants" que nous avons fait de son fils, ton frère siamois, immigré de la seconde génération, un Président de notre belle République. Comment être plus accueillants ? Mais faudrait quand même pas tout confondre : entre lui et moi vois-tu, c’est moi qui accueille, et lui qui est accueilli. Je suis d’accord, moi Mouloud qui t’accueille, je dois te faire "l’offre de partager (mon) héritage, (mon) histoire (ma) civilisation), (mon) art de vivre". Tiens, je t’invite volontiers à venir manger un couscous avec moi. (...)

Contrairement à moi, puisque tu n’es en France que depuis une seule génération, tu as encore beaucoup de choses à apprendre quant aux « valeurs de la République (qui) sont partie intégrante de notre identité nationale ». (...) D’abord, la laïcité, ce n’est nullement « la séparation du temporel et du spirituel » comme tu l’écris. Le « spirituel » et le « temporel », ce sont des notions théologiques, et cela connotait des pouvoirs. (...) Pour être concret, je vais te raconter l’histoire de France en la reliant à ma propre histoire d’ancien Français, du temps où toi, tu ne l’étais pas encore. Pendant la guerre 1914-1918, mon arrière-grand-père est mort au front, comme, malheureusement, beaucoup de Français, de diverses régions : Algérie, Savoie, ou Limousin, car nous avons été environ 100.000, oui cent mille, musulmans à mourir au combat pour la France. Nous étions déjà tellement « arrivés » en France, que nous y sommes morts ! Ces combats avaient lieu dans cette partie de la France appelée « métropole ». Ma famille y était venue, à cette occasion, et elle y est restée. A Paris, précisément. Comme nous commencions à être assez nombreux, et provenant, outre la France, de différents pays, la République laïque a eu une très bonne idée : construire une mosquée, avec un beau minaret bien sûr. Elle avait décidé, en 1905, de « garantir le libre exercice du culte ». « Garantir », c’est plus que respecter. (...) De plus, et je vais t’étonner Nicolas, les laïques, ils aimaient bien les minarets. Quand on a posé la 1ère pierre de la mosquée, le maréchal Lyautey a fait un très beau discours. Il a déclaré : « Quand s’érigera le minaret que vous allez construire, il montera vers le beau ciel de l’Ile de France qu’une prière de plus dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses. » (7)

Un feu mal éteint ! C’est ainsi que l’on pourrait qualifier les combats incessants et récurrents post-révolution algérienne du pouvoir français actuel à l’endroit des Algériens toutes générations confondues. Le tsunami dans les consciences suite à l’invasion du 5 Juillet 1830 par l’armée d’Afrique continue d’avoir des répliques près de 180 ans plus tard sans qu’il y ait de solde de tout comptes. Les beurs, à leur corps défendant, continueront à servir de variable d’ajustement - rhétorique connue dans les périodes difficiles. Souvenons-nous des attaques contre les Italiens coupables de manger le pain des Français, dans les années 20 du siècle dernier. Comme précédemment avec le concept « d’immigration choisie », on assiste à une dérive vers une société d’apartheid où la naissance, le privilège, la bonne fortune, la distinction de classe est tout, la citoyenneté, rien ! Dans ce discours, une catégorie d’humains est supérieure aux autres. Celle des Français de souche par rapport aux étrangers devenus français le temps d’une NDD- Nationalité à Durée Déterminée- qui peut se transformer au bout d’un temps long en NDI, si le citoyen du deuxième collège se tient à carreau avec toujours l’épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Mutatis mutandis la citation du pasteur Niemöller peut s’appliquer à la situation actuelle ; les Français épris de justice qui refusent les amalgames pourraient méditer les prémisses de situation analogue comme l’écrit un internaute : « Ils sont venus chercher les jeunes de banlieue : j’ai approuvé ce sont des voyous. Ils sont venus chercher les gens du voyage : normal ce sont des voleurs de poule. Ils sont venus chercher mon voisin : normal ses parents sont nés au Mali. Ils sont venus chercher le copain de ma fille : normal ses grands-parents sont nés en Algérie. Ce matin on a tapé à ma porte. Je ne me souviens plus du lieu de naissance de mes grands-parents. » Dont acte !

Chems Eddine Chitour est professeur à l’Ecole Polytechnique d’Alger et collaborateur régulier de Mondialisation.ca.

1. S.Laurent : Délinquance, immigration : Sarkozy poursuit son virage. Le Monde 30. 07.2010 2. Vives réactions après les propos de Nicolas Sarkozy sur la sécurité. Le Monde.fr 30 07 2010 3. François Sergent Suspect. Libération 31/07/2010 4. Julien Martin : Déchéance de la nationalité : Sarkozy contredit Nicolas Rue89 30/07/2010 5. Chems Eddine Chitour : Comment être français au XXIe siècle. Site Alterinfo 18 12 2009 6. Évariste : Nicolas Sarkozy et la boîte de Pandore. Respublica n°630. 13 décembre 2009 7. Lettre de Mouloud Baubérot à Nicolas Sarkozy : Site Oumma.com 14 décembre 2009


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29 août 2010 7 29 /08 /août /2010 20:30
Cuba et le nombre de "prisonniers politiques"

Salim Lamrani

    La question du nombre de « prisonniers politiques » à Cuba est sujette à polémique. Pour le gouvernement cubain, il n'y a pas de prisonniers politiques à Cuba, mais des personnes condamnées pour des délits inscrits au code pénal, notamment le fait d'être financé par une puissance étrangère. Amnesty International (AI), quant à elle, recense dans son rapport 2010 « 55 prisonniers d'opinion1 », parmi lesquels 20 ont été libérés en juillet 2010 et 6 autres le 15 août 2010, suite à la médiation de l'Eglise catholique et de l'Espagne, et deux autres auparavant2. Donc, selon AI, il reste actuellement 27 « prisonniers politiques » à Cuba. Enfin, l'opposition cubaine et Elizardo Sánchez de la Commission des droits de l'homme et de la réconciliation nationale (CDHRN) en particulier évoquent le nombre de 147 prisonniers politiques, moins les 6 récemment libérés, soit 1413. Les médias occidentaux privilégient cette dernière liste.

Il convient d'abord de faire la lumière sur un aspect de cette question avant d'évoquer le sujet du nombre exact de « prisonniers politiques » dans l'île : l'existence ou non d'un financement de l'opposition cubaine par les Etats-Unis.

Cette politique, clandestine entre 1959 et 1991, est désormais publique et attestée par maintes sources. En effet, Washington reconnaît cette réalité dans plusieurs documents et déclarations officiels. La loi Torricelli de 1992, et plus particulièrement la section 1705, stipule que « les Etats-Unis fourniront une assistance, à des organisations non gouvernementales appropriées, pour soutenir des individus et des organisations qui promeuvent un changement démocratique non violent à Cuba4 ». La loi Helms-Burton de 1996 prévoit, à la section 109, que « le Président [des Etats-Unis] est autorisé à fournir une assistance et offrir tout type de soutien à des individus et des organisations non gouvernementales indépendantes pour soutenir des efforts en vue de construire la démocratie à Cuba5 ». Le premier rapport de la Commission d'assistance à une Cuba libre, adopté le 6 mai 2004, envisage la mise en place d'un « solide programme de soutien favorisant la société civile cubaine ». Parmi les mesures préconisées, un financement à hauteur de 36 millions de dollars est destiné au « soutien de l'opposition démocratique et au renforcement de la société civile émergeante6 ». Le second rapport de la même Commission, rendu public le 10 juillet 2006, prévoit un budget de 31 millions de dollars pour financer l'opposition interne7. Le rapport prévoit également « d'entraîner et d'équiper des journalistes indépendants de la presse écrite, radiophonique et télévisuelle à Cuba8 ».

       La représentation diplomatique étasunienne à La Havane, la Section d'intérêts nord-américains (SINA) confirme cela dans un communiqué : « Depuis longtemps, la politique des Etats-Unis consiste à fournir une assistance humanitaire au peuple cubain, particulièrement aux familles des prisonniers politiques. Nous permettons également aux organisations privées de le faire9 ».

   Laura Pollán, du groupe dissident « les Dames en Blanc », admet avoir reçu de l'argent des Etats-Unis10 : « Nous acceptons l'aide, le soutien, que ce soit de l'extrême droite ou de la gauche, sans conditions11 ». L'opposant Vladimiro Roca confesse que la dissidence cubaine est stipendiée par Washington tout en rétorquant que l'aide financière reçue est « totalement et complètement légale ». Pour le dissident René Gómez, le soutien financier de la part des Etats-Unis n'est « pas une chose qu'il faudrait cacher ou dont il faudrait avoir honte12 ». De la même manière, Elizardo Sánchez confirme l'existence d'un financement de la part des Etats-Unis : « La question n'est pas de savoir qui envoie de l'aide mais ce que l'on en fait13 ».

La presse occidentale admet cette réalité. L'Agence France-Presse informe que « les dissidents ont pour leur part revendiqué et assumé ces aides financières14 ». L'agence espagnole EFE fait allusion aux « opposants payés par les Etats-Unis15 ». L'agence de presse britannique Reuters, « le gouvernement étasunien fournit ouvertement un soutien financier fédéral pour les activités des dissidents, ce que Cuba considère comme un acte illégal16 ». L'agence de presse étasunienne The Associated Press reconnaît que la politique de fabriquer et financer une opposition interne n'était pas nouvelle : « Depuis des années, le gouvernement des Etats-Unis a dépensé des millions de dollars pour soutenir l'opposition cubaine17 ». Elle précise : « Une partie du financement provient directement du gouvernement des Etats-Unis, dont les lois préconisent le renversement du gouvernement cubain. L'agence internationale pour le développement des Etats-Unis (USAID), qui supervise le soutien financier du gouvernement pour une 'transition démocratique' à Cuba, a alloué plus de 33 millions de dollars pour la société civile cubaine pour la présente année fiscale18 ».

      Wayne S. Smith est un ancien diplomate étasunien qui a été chef de la SINA à La Havane de 1979 à 1982. Selon lui, il est « illégal et imprudent d'envoyer de l'argent aux dissidents cubains19 ». Il a ajouté que « personne ne devrait donner de l'argent aux dissidents et encore moins dans le but de renverser le gouvernement cubain » car « lorsque les Etats-Unis déclarent que leur objectif est de renverser le gouvernement cubain, et qu'ensuite ils affirment qu'un des moyens pour y parvenir est de fournir des fonds aux dissidents cubains, ces derniers sont placés de facto dans la position d'agents payés par une puissance étrangère pour renverser leur propre gouvernement20 ».

Evoquons à présent la position d'Amnesty International. L'organisation fait état de 27 prisonniers politiques à Cuba au 15 août 2010. Or, elle reconnaît en même temps que ces personnes ont été condamnées « pour avoir reçu des fonds ou du matériel du gouvernement américain pour des activités perçues par les autorités comme subversives ou faisant du tort à Cuba21 ». Ainsi, l'organisation entre en contradiction car le droit international considère comme illégal le financement d'une opposition interne dans une autre nation souveraine. Tous les pays du monde disposent d'un arsenal juridique codifiant comme délits de telles conduites. Ainsi, les législations étasunienne et européennes, entre autres, sanctionnent lourdement le fait d'être stipendié par une puissance étrangère.

La liste élaborée par Elizardo Sánchez est plus longue et inclut tout type d'individus. Parmi les 141 noms, 10 autres avaient déjà été remis en liberté pour des raisons de santé, ce qui fait un total de 131 personnes. Au sujet de ces dix personnes, Sánchez a expliqué qu'il les maintenait dans sa liste car elles pouvaient être de nouveau incarcérées dans le futur. Quatre autres personnes ont accompli leur peine et sont sorties de prison. Il reste donc 127 individus. 27 autres personnes doivent être libérées d'ici le mois d'octobre, selon l'accord passé entre La Havane, l'Espagne et l'Eglise catholique.

Sur les 100 individus restant, près de la moitié ont été condamnés pour des crimes violents. Certains ont réalisé des incursions armées à Cuba et au moins deux d'entre eux, Humberto Eladio Real Suárez et Ernesto Cruz León, sont responsables de la mort de plusieurs civils, respectivement en 1994 et en 199722.

Ricardo Alarcón, président du Parlement cubain, n'a pas manqué de souligner ces contradictions : « Curieusement, ceux qui nous critiquent parle d'une liste [et pas de noms]. Pourquoi ne disent-ils pas qu'ils sont en train de demander la liberté de la personne qui a assassiné Fabio di Celmo23 ? ».

       Associated Press (AP) a également souligné le caractère douteux de la liste de Sánchez et note que « plusieurs d'entre eux ne devraient normalement pas être considérés comme des prisonniers politiques ». « Une étude plus attentive permet de voir la présence de terroristes, de preneurs d'otages et d'agents étrangers ». AP note que parmi les 100 personnes restantes, « près de la moitié ont été condamnées pour terrorisme, prise d'otages et autres crimes violents, et quatre d'entre eux sont d'anciens militaires ou agents des services de renseignement condamnés pour espionnage ou pour avoir révélé des secrets d'Etat24 ».

        De son côté, Amnesty International affirme qu'elle ne peut pas considérer les membres de la liste de Sánchez comme des « prisonniers de conscience » car elle inclut « des gens jugés pour terrorisme, espionnage ainsi que ceux qui ont tenté et même réussi à faire exploser des hôtels », indique l'organisation. « Nous ne demanderons certainement pas leur libération et ne les décrirons pas comme prisonniers de conscience25 ».

        Miguel Moratinos, ministre des Affaires étrangères espagnol, qui a joué un rôle clé dans l'accord portant sur la libération de 52 prisonniers, a également mis en doute la liste de Sánchez et souligné son caractère aléatoire. : « Ne dites pas qu'il faut libérer 300 prisonniers car il n'y en a pas 300. La liste de la Commission des droits de l'homme de Cuba disait, une semaine avant mon arrivée, qu'il y en avait 202. A mon arrivée à Cuba, elle a affirmé la veille qu'il y en avait 16726 ».

     A l'issue de la libération des autres 27 personnes incluses dans l'accord de juin 2010, il ne restera qu'un seul « prisonnier politique » à Cuba, Rolando Jimenez Pozada, selon Amnesty International. Associated Press note pour sa part que ce dernier a en réalité été « emprisonné pour désobéissance et pour avoir révélé des secrets d'Etat27 ».

  Curieusement, la liste dressée par Sánchez, qui est la moins fiable et qui est dénoncée de toutes parts en raison de l'inclusion d'individus condamnés de graves actes de terrorisme, est privilégiée par la presse occidentale.

        Le gouvernement cubain a effectué un geste notable en procédant à la libération des prisonniers considérés comme « politiques » par les Etats-Unis et certaines organisations telles qu'Amnesty International. Le principal obstacle à la normalisation des relations entre Washington et La Havane - du point de vue de l'administration Obama - est désormais levé. Il revient donc à la Maison-Blanche d'effectuer un geste de réciprocité et de mettre un terme aux sanctions économiques anachroniques et inefficaces contre le peuple cubain.


Notes

1 Amnesty International, « Rapport 2010. La situation des droits humains dans le monde », mai 2010. http://thereport.amnesty.org/sites/default/files/AIR2010_AZ_FR.pdf  (site consulté le 7 juin 2010), pp. 87-88.

2 EFE, « Damas piden a España acoger a más presos políticos », 25 juillet 2010 ; Carlos Batista, « Disidencia deplora 'destierro' de ex presos », El Nuevo Herald, 15 août 2010.

3 EFE, « Damas piden a España acoger a más presos políticos », 25 juillet 2010

4 Cuban Democracy Act, Titre XVII, Section 1705, 1992.

5 Helms-Burton Act, Titre I, Section 109, 1996.

6 Colin L. Powell, Commission for Assistance to a Free Cuba, (Washington : United States Department of State, mai 2004).
www.state.gov/documents/organization/32334.pdf (site consulté le 7 mai 2004), pp. 16, 22.

7 Condolezza Rice & Carlos Gutierrez, Commission for Assistance to a Free Cuba, (Washington : United States Department of State, juillet 2006).
www.cafc.gov/documents/organization/68166.pdf (site consulté le 12 juillet 2006), p. 20.

8 Condolezza Rice & Carlos Gutierrez, Commission for Assistance to a Free Cuba, (Washington : United States Department of State, juillet 2006).
www.cafc.gov/documents/organization/68166.pdf (site consulté le 12 juillet 2006), p. 22.

9 The Associated Press/El Nuevo Herald, « Cuba : EEUU debe tomar 'medidas' contra diplomáticos », 19 mai 2008.

10 The Associated Press, « Cuban Dissident Confirms She Received Cash From Private US Anti-Castro Group », 20 mai 2008.

11 El Nuevo Herald, « Disidente cubana teme que pueda ser encarcelada », 21 mai 2008.

12 Patrick Bèle, « Cuba accuse Washington de payer les dissidents », Le Figaro, 21 mai 2008.

13 Agence France-Presse, « Prensa estatal cubana hace inusual entrevista callejera a disidentes », 22 mai 2008.

14 Agence France-Presse, « Financement de la dissidence : Cuba 'somme' Washington de s'expliquer », 22 mai 2008.

15 EFE, « Un diputado cubano propone nuevos castigos a opositores pagados por EE UU », 28 mai 2008.

16 Jeff Franks, « Top U.S. Diplomat Ferried Cash to Dissident : Cuba », Reuters, 19 mai 2008.

17 Ben Feller, « Bush Touts Cuban Life After Castro », Associated Press, 24 octobre 2007

18 Will Weissert, « Activistas cubanos dependen del financiamiento extranjero », The Associated Press, 15 août 2008.

19 Radio Habana Cuba, « Former Chief of US Interests Section in Havana Wayne Smith Says Sending Money to Mercenaries in Cuba is Illegal », 21 mai 2008.

20 Wayne S. Smith, « New Cuba Commission Report : Formula for Continued Failure », Center for International Policy, 10 juillet 2006.

21 Amnesty International, « Cuba. Cinq années de trop, le nouveau gouvernement doit libérer les dissidents emprisonnés », 18 mars 2008.
http://www.amnesty.org/fr/for-media/press-releases/cuba-five-years-too-many-new-government-must-release-jailed-dissidents-2 (site consulté le 23 avril 2008).

22 Juan O. Tamayo, « ¿Cuántos presos políticos hay en la isla? », El Nuevo Herald, 22 juillet 2010

23 José Luis Fraga, « Alarcón : presos liberados pueden quedarse en Cuba y podrían ser más de 52 », Agence France-Presse, 20 juillet 2010.

24 Paul Haven, « Number of Political Prisoners in Cuba Still Murky », The Associated Press, 23 juillet 2010.

25 Ibid.

26 EFE, « España pide a UE renovar relación con Cuba », 27 juillet 2010.

27 Paul Haven, « Number of Political Prisoners in Cuba Still Murky », op. cit.
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29 août 2010 7 29 /08 /août /2010 20:26
USA/justice: recours de T.Davis rejeté
AFP
24/08/2010 |

Le condamné à mort noir américain Troy Davis, enfermé depuis près de 20 ans dans le couloir de la mort, s'est rapproché mardi de son exécution, faute d'avoir convaincu la justice de son innocence et avec peu d'espoir de l'emporter en appel.

Troy Davis, 41 ans, a toujours clamé son innocence et est devenu un symbole international de la lutte contre la peine de mort, soutenu par des personnalités comme Jimmy Carter, le Pape Benoît XVI ou l'actrice Susan Sarandon.
Ajoutant à son statut particulier, il a bénéficié fin juin d'une audience exceptionnelle, ordonnée par la Cour suprême, afin qu'un juge examine de nouveaux éléments censés prouver son innocence.

Mais mardi, ce juge de Savannah (Géorgie, sud-est), William Moore, a estimé dans une décision de 174 pages (BIEN 174) que si "exécuter un innocent serait une violation de la Constitution, M. Davis n'a pas réussi à prouver son innocence".

Neuf témoins dont sept sont revenus sur leur déclarations

Troy Davis a été condamné à mort en 1991 pour le meurtre deux ans plus tôt d'un policier blanc, lors d'une bagarre en pleine nuit sur le parking d'un fast-food.
L'arme du crime n'a jamais été retrouvée, aucune empreinte digitale ni trace ADN n'ont pu être relevées sur les lieux. Celui qui était alors âgé de 19 ans a été condamné sur la foi des témoignages de neuf personnes dont sept sont revenues depuis sur leur déclarations.

Le juge Moore a entendu la plupart d'entre elles pendant deux jours d'audience exceptionnelle fin juin à Savannah. Mais pour lui, "si les nouveaux éléments apportés par M. Davis jettent un doute minimum sur sa culpabilité, il s'agit essentiellement d'un écran de fumée".

Il a notamment reproché au condamné de ne pas avoir cité à comparaître un des témoins qui l'avait pointé du doigt à l'époque et qui, selon plusieurs personnes venues déposer à la barre fin juin, a ensuite confessé être le tireur.


La famille va faire appel

La famille de Troy Davis a annoncé qu'elle ferait appel de la décision. "Nous n'allons pas cesser la bataille. Nous avons de quoi faire appel", a annoncé Martina Correia, 43 ans, la soeur aînée de Troy Davis. Elle s'est dite "déçue" mais pas surprise d'une telle décision "de la part d'un juge du même comté que celui où Troy a été condamné".  "Ils se connaissent tous, les juges connaissent le procureur et vice-versa. Ils jouent au golf ensemble", a-t-elle déploré.

Si le condamné peut encore faire appel auprès de la cour d'appel fédérale puis devant la Cour suprême, ses chances d'être un jour reconnu innocent sont devenues minimes, estime cependant Laura Moye, en charge de la peine de mort à Amnesty International USA. "Le fait qu'il n'ait pas convaincu le juge de son innocence, ça signifie selon moi qu'il sera difficile de trouver un autre moyen dans le cadre judiciaire", explique-t-elle. De fait, l'ordre de la Cour suprême en août 2009 qu'un tribunal fédéral entende les nouveaux témoignages était totalement inédit aux Etats-Unis depuis le rétablissement de la peine de mort en 1976. "Nous misons sur le comité des grâces de Géorgie", qui peut commuer sa peine en prison à vie sans possibilité de sortie.

Troy Davis a déjà échappé à trois exécutions en un an, dont une quelques heures seulement avant le début de l'injection mortelle. Dans sa décision, le juge Moore rappelle qu'il devait apporter la preuve de son innocence - et pas seulement d'un doute possible sur sa culpabilité. L'annulation d'une condamnation à mort sur la base de l'innocence est rarissime aux Etats-Unis dans des affaires où il n'y a pas d'ADN.

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29 août 2010 7 29 /08 /août /2010 20:23
mercredi 25 août 2010

Intrigues de palais au Paraguay

Le 25 décembre 2007, en annonçant sa candidature à la magistrature suprême, l’ancien évêque des pauvres, Fernando Lugo, déclarait : « A mon sens, la société paraguayenne est divisée entre ceux qui volent et ceux qui sont victimes du vol, entre ceux qui agressent et ceux qui sont agressés. » Fort de l’appui des organisations populaires, syndicales et paysannes, il accéda, le 20 avril 2008, à la présidence du Paraguay, avec 42 % des suffrages exprimés. « Cette même semaine, a-t-il raconté depuis (Pagina 12, Buenos Aires, 20 août 2010), j’ai reçu la visite de l’ambassadeur des Etats-Unis. Il m’a laissé une enveloppe pour que je l’ouvre, après le repas. C’était la liste des personnes qui devaient entrer dans mon gouvernement. Trois noms par ministère ! »

 

Pour accéder à la tête de l’Etat, M. Lugo avait bénéficié de l’appui d’une plate-forme politique, l’Alliance patriotique pour le changement (APC), à laquelle se rallia, par pur opportunisme, le Parti libéral radical authentique (PLRA ; droite), incapable jusque-là de battre en brèche la domination du Parti Colorado, au pouvoir depuis soixante ans.

Sans parti, et bien que ne disposant pas d’appui au Parlement, M. Lugo mène une modeste mais réelle politique sociale, tout en entretenant des relations cordiales avec les présidents Luiz Inãcio Lula da Silva (Brésil), Evo Morales (Bolivie), Rafael Correa (Equateur) et Hugo Chávez (Venezuela) – pour ne citer qu’eux. Plus grave encore (si l’on peut s’exprimer ainsi), en août 2009, il a lancé un appel à approfondir la démocratie et à la rendre plus « participative » – allant jusqu’à envisager des consultations de la population.

 

Un autre chef d’Etat avait suivi la même démarche, avec les conséquences que l’on sait : M. Manuel Zelaya, au Honduras. Le coup d’Etat « institutionnel » qui l’a renversé, le 28 juin 2009, semble avoir donné des idées à la droite paraguayenne, qui, appuyée par les médias nationaux (la plupart desquels avaient pourtant soutenu sa candidature), a déclenché une féroce offensive afin de destituer « démocratiquement » M. Lugo à travers un jugement politique (juicio político), sous les prétextes les plus divers, parmi lesquels une accusation de corruption (pour avoir fait attribuer des terres aux paysans !).

 

A la tête du PLRA et allié tant au Parti Colorado qu’à une scission de celui-ci, l’Union nationale des citoyens éthiques (Unace), dirigée par l’ex-général putschiste Lino Oviedo, le vice-président Federico Franco mène cette bataille. C’est lui qui occuperait la fonction de M. Lugo si ce dernier était écarté du pouvoir. A chaque fois que l’occasion se présente, il se déclare « prêt à gouverner ».

L’annonce, début août, de la maladie du chef de l’Etat – un cancer du système lymphatique l’obligera à subir des séances régulières de chimiothérapie, pendant une durée de trois à six mois – ouvre de nouvelles perspectives à la droite et à l’extrême droite qui dominent le Congrès : bien que, d’après les médecins, la maladie de M. Lugo soit curable sans affecter son activité, l’idée d’une destitution « pour raison de santé » fait déjà son chemin.

 

En attendant, l’opposition a franchi une première étape en s’attaquant au ministre de la défense, l’ex-général Luis Bareiro Spaini. Ce dernier a provoqué son courroux en demandant des explications à l’ambassadrice des Etats-Unis, Mme Liliana Ayalde, à travers un courrier au style et au ton « vigoureux » : au cours d’un déjeuner organisé par la diplomate américaine, auquel participaient le vice-président Franco, le vice-ministre de la défense Cecilio Pérez Bordón, quelques membres de la classe politique – parmi lesquels le sénateur Hugo Estigarribia (Parti colorado) – et un groupe de généraux américains, furent dénigrées de façon sarcastique et insultante la fonction et la politique du président Lugo.

 

Ce « manquement aux usages diplomatiques » – celui du ministre, pas celui de l’ambassadrice ! – a amené la Chambre des députés – que va suivre le Sénat – à entamer un juicio político contre M. Bareiro Spaini. Ajoutant à la gravité de l’outrage fait à la représentante des Etats-Unis, on rend également responsable le ministre de la disparition de… trois fusils, dans une installation de l’état-major de l’armée.

Le 19 août, dans un communiqué de presse tout à fait inhabituel émanant d’une telle institution, le ministère de la défense nationale dénonce : « Dans ce montage psycho-politique de certains secteurs de l’opposition, la prétention à un jugement politique du ministre Bareiro Spaini ne fait qu’anticiper (…) l’objectif stratégique final : le jugement politique du président de la République Fernando Lugo » et n’hésite pas à mettre en cause « des intérêts étrangers et contraires à ceux du Paraguay ». A Washington, quelques oreilles doivent siffler.

 

Néanmoins, placé au cœur de la tourmente, M. Bareiro Spaini a, le 23 août, présenté sa démission au chef de l’Etat, qui a été contraint de l’accepter. L’opposition a fait un grand pas en avant : ce loyal collaborateur désormais écarté, elle pourra plus facilement compter sur l’appui de l’armée au cas où, le Congrès l’ayant destitué, le président Lugo refuserait d’obtempérer.

Toutefois, on observera que, contrairement à Tegucigalpa, Asunción ne se trouve pas dans l’immédiate « arrière-cour » des Etats-Unis. Partenaires du Paraguay au sein du Marché commun du sud (Mercosur), l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay accueilleraient sans doute très mal un coup d’Etat au cœur de leur organisation régionale, quand bien même il serait revêtu des oripeaux d’une pseudo légalité. Quant à l’Union des nations sud-américaines (Unasur), au sein de laquelle, outre les capitales des pays précités, Caracas, Quito et La Paz pèsent d’un grand poids, on rappellera qu’en 2008, elle a été un acteur majeur pour empêcher la déstabilisation de la Bolivie.

Ces réserves faites, on ne peut toutefois oublier ce que Washington a obtenu pour le Honduras : la reconnaissance, par ses amis latino-américains et une « communauté internationale » sans trop d’états d’âme, d’élections organisées par un gouvernement de facto issu d’un coup d’Etat.

Maurice Lemoine
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5 août 2010 4 05 /08 /août /2010 16:00
En congés jusqu'à fin Août

 

Bon été à tous,

 on se retrouve début Septembre.

 

 

 

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4 août 2010 3 04 /08 /août /2010 15:25

Condamnée à être retoquée selon Badinter, sa proposition de déchoir certains délinquants de la nationalité française est politique.

Robert Badinter à Paris le 9 janvier 2004 (Charles Platiau/Reuters).

L'affaire est donc entendue : Nicolas Sarkozy, aussitôt relayé par ses plus fidèles lieutenants, a énoncé vendredi une proposition qui est, de facto, inconstitutionnelle. C'est ce que nous disent ce lundi les meilleurs spécialistes. Si c'est le cas, pourquoi l'a-t-il fait ? Réponse : il a fait de la politique.

A voir les images de son discours de Grenoble, le président de la République était loin d'improviser. Au milieu de la phrase-clé de son discours, au moment d'annoncer la promesse de déchéance de la nationalité française pour toute « personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie » d'un policier ou d'un gendarme, Nicolas Sarkozy a fait une pause pour lire son texte.

Je n'ose imaginer que pour une annonce de ce type, le chef de l'Etat n'ait pas consulté le conseiller juridique de l'Elysée, Jean-Pierre Picca, un magistrat de 48 ans, pour s'assurer de la faisabilité légale de la réforme envisagée.

L'avis des spécialistes Robert Badinter et Guy Carcassonne

Or voici que deux des plus fins connaisseurs des lois et de la Constitution de la République, Robert Badinter et Guy Carcassonne, nous disent ce lundi matin que l'annonce du Président ne tient pas la route sur le plan constitutionnel.

On m'opposera que ce sont deux hommes de gauche, le premier est l'ancien garde des Sceaux de François Mitterrand, le second un ancien collaborateur de Michel Rocard à Matignon, et donc deux détracteurs de l'actuel Président. Mais ni l'un, ni l'autre ne prend le droit à la légère, et tous deux ont suffisamment de respect pour leur sujet pour ne pas le manipuler de manière aussi partisane.

Ils disent la même chose : tous les Français sont constitutionnellement égaux devant la loi « sans distinction d'origine ». Robert Badinter a souligné sur France Inter que « l'article premier de la Constitution dit que […] la France assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine ».

Dans le même esprit, le constitutionnaliste Guy Carcassonne estime dans Libération que, pour faire aboutir son projet, Nicolas Sarkozy devrait modifier cet article premier de la Constitution, avec toute la charge symbolique que cela entraînerait.

Ce qui compte, c'est l'annonce

Enoncer un projet de réforme en sachant d'avance qu'elle n'est pas constitutionnelle et ne passerait pas l'examen par les « Sages » du Conseil constitutionnel, ça s'appelle faire de la politique. Ce qui compte, c'est l'annonce, le moment T où celle-ci est faite, pas le processus législatif et juridique qui suit, et qui, s'il a effectivement lieu, aboutira dans plusieurs mois au minimum à un « retoquage » constitutionnel.

C'est, il faut l'avouer, une spécialité du chef de l'Etat, qui croit à la magie du verbe, de SON verbe pour être plus précis, dont il pense qu'il suffit à changer la donne. L'amnésie du public et la paresse suiviste des journalistes aidant, qui se souciera de vérifier si la promesse a bien été suivie d'effets ?

En attendant, l'impact politique, lui, est immédiat. Le Président monopolise le débat public depuis trois jours sur l'agenda qu'il a lui-même décidé, bombant le torse, contraignant l'opposition à réagir sur ce terrain traditionnellement inconfortable de la sécurité où il est aisé de dénoncer le « laxisme » de la gauche etc. Oubliées les « affaires » embarrassantes des dernières semaines, les inquiétudes économiques et sociales de l'heure : l'ennemi est en nos murs et il faut sonner le tocsin.

"Une faute politique"

Robert Badinter a le mieux apporté l'antidote à ces déclarations provocatrices :

« C'est contraire à l'esprit républicain… et c'est une faute politique parce que le cœur du problème c'est le sentiment de certains de ces Français, que M. Sarkozy appelle d'origine étrangère, de demeurer malgré leur carte d'identité des étrangers de la nation. »

 

De quoi remettre un peu de sang froid et de dignité dans un débat de fond de la société française, plutôt que de l'enflammer avec des propositions sans lendemain.

Photo : Robert Badinter à Paris le 9 janvier 2004 (Charles Platiau/Reuters)

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4 août 2010 3 04 /08 /août /2010 15:18

 

Liberté, égalité, fraternité

 mercredi 4 août 2010

 

Une avalanche de discours et d’annonces provocatrices s’est abattue depuis plusieurs jours sur notre pays. Jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, on entend des propos qui étaient jusqu’à présent l’apanage de l’extrême droite. Le président de la République, lui-même, montre du doigt des communautés et des groupes sociaux entiers, stigmatise les Roms, les Gens du voyage, les étrangers, les Français qui ne sont pas « de souche », les parents d’enfants délinquants, etc. Ce faisant, il ne lutte en rien contre la délinquance, qui est répréhensible pour tout individu sans distinction de nationalité ou d’origine : il met délibérément en cause les principes qui fondent l’égalité républicaine, alors que déjà une crise sociale et économique d’une extrême gravité menace la cohésion de la société tout entière.

 

En quelques jours, les plus hautes autorités de l’Etat sont passées de l’exploitation des préjugés contre les Gens du voyage au lien, désormais proclamé, entre immigration et délinquance, puis à la remise en cause de la nationalité française dans des termes inédits depuis 1945. Ce qui est à l’œuvre dans cette démarche s’inscrit dans une logique de désintégration sociale porteuse de graves dangers.

 

Il ne s’agit plus du débat légitime en démocratie sur la manière d’assurer la sûreté républicaine, mais bien d’une volonté de désigner comme a priori dangereuses des millions de personnes à raison de leur origine ou de leur situation sociale. Quelle que soit la légitimité que confère l’élection, aucun responsable politique n’a reçu mandat de violer les principes les plus élémentaires sur lesquels la République s’est construite.

Parce que le seuil ainsi franchi nous inquiète pour l’avenir de tous, nous, organisations associatives, syndicales et politiques diverses mais qui avons en commun l’attachement aux principes fondamentaux de la République laïque, démocratique et sociale, rappelons avec force que l’article 1er de la Constitution « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion », et que toutes propositions qui méconnaîtraient cette règle fondatrice de la démocratie constituent une atteinte à la paix civile.

Nous n’accepterons sous aucun prétexte que le nécessaire respect de l’ordre public soit utilisé pour créer des distinctions entre les habitants de ce pays et désigner des boucs émissaires.

 

Nous appelons donc l’ensemble des citoyens de ce pays à manifester publiquement leur opposition aux stratégies de stigmatisation et de discrimination et aux logiques de « guerre » qui menacent le vivre ensemble. A cet effet, nous proposerons dans les prochains jours à la signature en ligne un « Appel citoyen » refusant toute politique de la peur ou de la haine. Et nous appelons à un grand rassemblement citoyen à l’occasion du 140e anniversaire de la République, le samedi 4 septembre Place de la République à Paris, à 14h00, et partout en France, pour dire ensemble notre attachement à la liberté, à l’égalité et à la fraternité qui sont et qui resteront notre bien commun.

 

Signataires : AC ! Agir ensemble contre le chômage, Les Alternatifs, Les amoureux au banc public, Association de défense des droits de l’Homme au Maroc (ASDHOM), Association France Palestine Solidarité (AFPS), Association des Marocains en France (AMF), Association nationale des Gens du voyage catholiques (ANGVC), Association républicaine des anciens combattants (ARAC), ATTAC, Autremonde, Cedetim, Confédération française démocratique du travail (CFDT), Confédération générale du travail (CGT), La Confédération Paysanne, La Cimade, Le Cran, Droit au logement (DAL), Emmaüs France, Europe Ecologie, Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase), Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI), Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), Fédération SUD Education, Fédération syndicale unitaire (FSU), Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), FNASAT-Gens du voyage, Fondation Copernic, France Terre d’Asile, Gauche unitaire, Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), Les Jeunes Verts, Ligue des droits de l’Homme (LDH), Ligue de l’enseignement, Marches européennes, Médecins du Monde, Le Mouvement de la Paix, Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), le Parti communiste français (PCF), le Parti de Gauche, le Parti socialiste (PS), Réseau d’alerte et d’intervention pour les droits de l’Homme (RAIDH), Réseau Education Sans Frontière (RESF), SNESUP-FSU, SOS Racisme, Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature (SM), Union syndicale Solidaires, Les Verts.

Paris, le 4 août 2010

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