Après deux ans d’austérité salariale, l’année 2011 risque fort de ne pas apporter d’amélioration aux
salariés qui ont vu fondre leur pouvoir d’achat au fil des années. Un sondage BVA pour L’Expansion révèle que les deux tiers des salariés (64 %) n’ont pas vu « leur
revenu augmenter significativement » depuis deux ans, 42 % affirmant même qu’ils n’ont pas bénéficié d’augmentation depuis cinq ans. Les salariés de l’encadrement ne
sont pas mieux lotis que les autres catégories socioprofessionnelles. Selon une étude sur les rémunérations, réalisée par Cegos pour le quotidien Les Échos, 52 % des
cadres se disent insatisfaits de l’évolution de leur rémunération et un tiers d’entre eux déclarent n’avoir pas vu progresser leur fiche de paie en 2009.
Pour eux non plus, l’année 2011 ne devrait pas apporter de changement. La même étude estime que les
augmentations générales ne devraient être pratiquées que par 38 % des entreprises, contre 48 % en 2009 et 2010, tandis que les directions des ressources humaines
interrogées envisagent de se montrer plus sélectives en matière d’augmentations individuelles. À l’occasion de l’ouverture des négociations annuelles obligatoires (NAO), les
employeurs invoquent une fois de plus la crise pour camper sur des propositions d’augmentation dérisoires. Les salariés quant à eux ne sont pas dupes et se mobilisent. D’autant
que les dividendes ont suivi une trajectoire inverse de celle des salaires. Des salaires qui ne permettent plus de couvrir les dépenses contraintes (gaz, électricité,
transports, produits alimentaires, impôts…). Le gouvernement donne aussi le ton : le Smic ne bénéficiera d’aucun coup de pouce. Pour la cinquième année consécutive. En
parallèle, il a multiplié les allégements de cotisations pour les patrons, favorisant inexorablement le phénomène de trappe à bas salaires. Pour la CGT, ces cadeaux accordés au
patronat n’ont jamais apporté la preuve de leur efficacité en termes de créations d’emplois pérennes. Enfin, l’individualisation entraîne des inégalités injustifiées entre
salariés et contribue à remettre en cause et faire voler en éclats la garantie collective que constitue le salaire. L’annualisation, de son côté, entraîne une déstructuration du
salaire et des grilles, une tendance à l’éclatement des composantes mêmes du salaire. Sa généralisation affaiblit considérablement la garantie du revenu mensuel. Elle constitue
la fin des acquis de la mensualisation. Cette faiblesse des salaires s’inscrit plus généralement dans un contexte de travail largement dégradé où les inégalités se
multiplient : inégalités entre les femmes et les hommes, entre les salariés des grandes et des petites entreprises, entre les salariés à temps complet et les salariés à
temps partiel, entre les actifs et les privés d’emplois… Pour la CGT, une négociation collective annuelle loyale doit être l’occasion, par l’ensemble des sujets qu’elle vise, de
contrebalancer le pouvoir unilatéral de l’employeur dans l’entreprise.
LE DROIT
Dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations
représentatives, l’employeur est tenu d’engager chaque année une négociation obligatoire sur les thèmes énoncés aux articles L. 2242-5 à L. 2242-14 du code du travail. La
négociation doit porter sur les salaires effectifs, la durée effective et l’organisation du temps de travail, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes,
l’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés, la prévoyance et l’épargne salariale.
EN PRATIQUE
Les organisations de salariés doivent pouvoir négocier en toute connaissance de cause. Et les informations
nécessaires doivent être communiquées sur chacun des sujets de la négociation. Des propositions précises doivent être avancées par l’employeur pour permettre d’engager une
discussion qui peut être suivie de contre-propositions syndicales.
1. Une obligation légale pour
l’employeur
Dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations
représentatives, l’employeur est tenu d’engager chaque année une négociation obligatoire sur les thèmes énoncés aux articles L. 2242-5 à L. 2242-14 du code du travail. La
négociation doit porter sur les salaires effectifs, la durée effective et l’organisation du temps de travail, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes,
l’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés, la prévoyance et l’épargne salariale. Dans ces deux derniers domaines, la négociation
d’entreprise présente un caractère subsidiaire et n’est obligatoire que si les salariés ne sont pas déjà couverts par un accord de branche ou d’entreprise. Chaque sujet peut
être abordé séparément à condition de l’être tous les ans.
Sanctions pénales, civiles, exonérations de
cotisations
Exonérations de cotisations : Depuis le 1er janvier 2009, une entreprise qui n’ouvre pas chaque
année la négociation obligatoire sur les salaires voit les allégements de charges dont elle bénéficie sur les bas salaires réduits, voire supprimés (loi du 3 décembre 2008). En
cas de non-respect de la NAO sur les salaires les deux premières années, le montant des allégements et exonérations au titre des salaires versés cette même année est réduit de
10 %, la troisième année les allégements sont supprimés. En pratique, le respect de la NAO sera pris en compte à partir de l’année civile 2009.
Sanctions pénales : Le fait de ne pas convoquer les parties à la négociation annuelle, de se
soustraire à l’obligation périodique de négocier est pénalement puni (art L. 2243-1 du code du travail). Sera passible de sanctions l’employeur qui n’a pris aucune initiative de
négociation dans les douze mois suivant la négociation précédente, n’a pas convoqué les organisations dans les 15 jours suivant la demande de l’une d’entre elles présentée à
l’expiration du délai de douze mois, ne négocie pas sur les thèmes obligatoires selon les modalités prévues par le code du travail.
Sanctions civiles : Outre une éventuelle action en dommages-intérêts intentée devant le TGI, les
organisations syndicales peuvent saisir en référé le président du TGI sur le fondement des articles 808 et 809 du nouveau code de procédure civile aux fins de contraindre
l’employeur d’engager la négociation annuelle. Le juge peut, éventuellement sous astreinte, imposer à l’employeur de convoquer l’ensemble des syndicats représentatifs à chacune
des réunions de négociation, communiquer à tout syndicat représentatif la liste des négociations en cours et à venir, fournir tous les documents qui se rapportent à ces
négociations.
L’égalité professionnelle
Même si elle fait l’objet d’une négociation particulière, l’égalité professionnelle doit être prise en
compte dans l’ensemble des négociations annuelles (article L. 2242-6 du code du travail). Outre la réduction des écarts de rémunération qui doit être abordée dans le cadre de la
négociation sur les salaires effectifs, l’employeur est tenu d’engager chaque année une négociation sur « les objectifs en matière d’égalité professionnelle entre les
femmes et les hommes dans l’entreprise, ainsi que sur les mesures permettant d’atteindre ces objectifs ».
Cette négociation porte notamment sur les conditions d’accès à l’emploi, à la formation professionnelle et
à la promotion professionnelle, les conditions de travail et d’emploi et en particulier celles des salariés à temps partiel, et l’articulation entre la vie professionnelle et
les responsabilités familiales (code du travail, art. L. 2242-5).
La négociation se déroule à partir des éléments figurant dans le rapport sur la situation comparée des
conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes dans l’entreprise que l’employeur soumet pour avis, chaque année, au comité d’entreprise. Les informations
qui doivent être communiquées dans le cadre de cette négociation doivent permettre une analyse comparée de la situation des personnes des deux sexes en ce qui concerne les
emplois et les qualifications, les salaires payés, les horaires effectués et l’organisation du tempsde travail et doivent faire apparaître les raisons de ces situations. Les
données brutes sont donc insuffisantes.
Le législateur a expressément mentionné que la négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes
et les hommes peut être menée en même temps que la négociation annuelle sur les salaires et le temps de travail.
Les salaires effectifs
Il s’agit des salaires catégoriels (les salaires bruts par catégories, y compris les primes et avantages en
nature) et non des salaires individuels. La négociation sur les salaires effectifs ne concerne donc pas les décisions individuelles en matière de rémunération. Elle porte sur
les salaires effectivement pratiqués et ne se limite donc pas au simple examen des minima garantis ou à la discussion sur un pourcentage d’augmentation. Elle doit concerner
l’ensemble des salariés. Depuis la loi du 23 mars 2006, la négociation sur les salaires effectifs devait viser également à définir et à programmer les mesures permettant de
supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes avant le 31 décembre 2010. Au-delà de la politique salariale, la négociation devait également agir sur les
autres éléments qui concourent aux écarts de rémunération entre les femmes et les hommes (politique de recrutement dans l’entreprise, promotion professionnelle…). Pour permettre
la négociation, un diagnostic des écarts éventuels de rémunération – au sens de l’article L. 3221-2 du code du travail – entre les femmes et les hommes est établi sur la base
des éléments figurant dans le rapport prévu au premier alinéa de l’article L. 2323-57 du code du travail. Est-il nécessaire de préciser que les écarts persistent au terme de la
période définie par la loi ?
Durée effective et organisation du temps de
travail
La négociation peut englober, au-delà du temps de travail proprement dit, les congés payés, les jours
fériés, les ponts. Quant à l’organisation du temps de travail, elle vise notamment les modes de répartition de l’horaire collectif de travail (durées journalières,
hebdomadaires, mensuelles…) et les formes particulières du temps de travail (travail de nuit, travail en continu…). L’article L. 2242-8 du code du travail place la mise en place
du travail à temps partiel à la demande des salariés comme sujet de la négociation au titre de l’organisation du temps de travail.
Travailleurs handicapés
Dans les entreprises concernées par l’obligation de négocier, la loi du 11 février 2005 impose à
l’employeur d’engager chaque année une négociation sur les mesures relatives à l’insertion professionnelle et au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés. La
négociation porte notamment sur les conditions d’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelle, sur les conditions de travail et d’emploi, ainsi que sur les
actions de sensibilisation au handicap de l’ensemble du personnel de l’entreprise. Cette négociation se déroule sur la base d’un rapport établi par l’employeur présentant la
situation en regard de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés. Lorsqu’un accord collectif comportant de telles mesures est signé dans l’entreprise, la périodicité de
la négociation est portée à trois ans.
2. Des négociations sur la forme et sur… le fond
La loi oblige l’employeur à négocier un ensemble de sujets qui correspondent réellement aux préoccupations
des salariés dans les entreprises. Ces préoccupations vont bien au-delà de la seule question des salaires à laquelle se résume trop souvent, dans la pratique, la négociation
annuelle obligatoire. Concernant les salaires, la négociation ne doit pas se limiter à des augmentations qui se contentent de « garantir le pouvoir d’achat »,
mais ces augmentations doivent assurer aux salariés une participation à la croissance et la prise en compte des gains de productivité. À l’occasion de cette négociation, il
s’agit d’exiger des augmentations générales de salaires alors que la tendance du patronat est de privilégier les pratiques d’individualisation des salaires. L’augmentation des
salaires doit correspondre à l’évolution réelle des dépenses, des besoins. Elle doit aussi refléter l’évolution des qualifications, traduire pour tous les salariés de
l’entreprise un déroulement de carrière. L’égalité salariale hommes-femmes doit être strictement respectée. Le progrès technique et l’accroissement de la productivité doivent
servir à réduire l’intensité du travail et sa durée, à en transformer le contenu, à permettre à chaque salarié de concilier vie professionnelle et vie privée. C’est pourquoi sur
la durée effective du travail la négociation ne doit pas revenir sur la durée légale. La durée légale à 35 heures constitue le socle de référence minimum à partir duquel doivent
se dérouler les négociations dans les entreprises, et ce quelle que soit l’entreprise, le contrat de travail, sans discrimination vis-à-vis des salarié(e)s à temps partiel ou
nouveaux embauchés. La négociation doit créer les conditions pour réduire la précarité et permettre à chacun de concilier vie personnelle et vie professionnelle.
3. L’égalité
professionnelle
L’égalité professionnelle doit faire l’objet d’une protection particulière même si la thématique de
l’égalité est transversale tout au long de la négociation obligatoire, dans tous ses sujets. La négociation doit tendre vers des objectifs précis en matière de rattrapage dans
l’emploi, la carrière, la formation continue, la santé, la reconnaissance des qualifications, la vie personnelle, la retraite. Il s’agit :
de permettre d’assurer un déroulement de carrière pour toutes les femmes et leur accès aux postes à
responsabilité ;
de prévoir une organisation du travail qui ne repose plus sur une division sexuée du travail avec
l’interdiction du temps partiel imposé et de toute forme de précarité des femmes ;
d’obtenir l’application effective du principe « à travail de valeur égale, salaire
égal » par la reconnaissance des qualifications des femmes ;
de prévoir un vrai partage des temps sociaux : vie professionnelle, familiale et
sociale ;
de mettre tout en oeuvre pour que les femmes bénéficient de conditions de travail dans un
environnement qui respecte leur santé ;
de leur assurer un environnement de travail sans pression sexiste, sans harcèlement et sans violences
sexuelles.
4. En pratique, qui fait
quoi ?
L’initiative de la négociation incombe en principe à l’employeur. À défaut d’initiative de l’employeur
depuis plus de 12 mois suivant la précédente négociation, les syndicats peuvent demander à l’employeur d’engager la négociation (art L. 2242-1 du code du travail).
L’employeur est alors tenu de l’organiser. La demande du syndicat fait courir un délai de 15 jours, le
temps pour l’employeur de convoquer l’ensemble des organisations syndicales représentatives à la négociation.
Loyauté de la négociation collective
Si l’article L. 2262-4 du code du travail prévoit que les accords collectifs doivent être exécutés de bonne
foi par les parties liées à l’accord (syndicats et employeurs), la législation française ne contient pas de dispositions générales équivalentes en ce qui concerne la négociation
collective. Plus largement, l’obligation de loyauté est un principe général qui préside à l’élaboration de tout accord collectif. Dans un arrêt du 10 octobre 2007, la Cour de
cassation (Cass.soc., 10 octobre 2007, n° 06-42.721) a posé les principales caractéristiques d’une négociation loyale.
Celles-ci reposent sur deux exigences :
la négociation ne pourra s’engager qu’à condition que l’ensemble des organisations représentatives
présentes dans l’entreprise ait été invité à y participer. L’accord conclu sans respect de cette condition est nul ;
les organisations de salariés doivent pouvoir négocier en toute connaissance de cause. À cet effet,
les informations nécessaires doivent être communiquées sur chacun des sujets que la négociation va aborder. Des propositions précises doivent être avancées par l’employeur pour
permettre d’engager une discussion qui peut être suivie de contre-propositions syndicales.
Informations à transmettre aux organisations
syndicales
À la date fixée lors de la première réunion, l’employeur remet à la délégation salariale les informations
relatives à la négociation. Ces informations portent notamment sur l’analyse comparée des hommes et des femmes (emplois, qualifications, horaires, organisation du temps de
travail…). Sur les salaires, la circulaire du 25 mai 1983 prévoit que l’information porte au moins sur la moyenne des salaires par catégorie et par sexe mais aussi sur la mesure
de dispersion des rémunérations au sein de chaque catégorie.
Effets sur les pouvoirs de l’employeur
Pendant le temps de la négociation, le pouvoir de décision unilatéral de l’employeur est suspendu sur les
matières traitées dans la négociation (art L. 2242-3 du code du travail). La Cour de Cassation applique strictement cette interdiction à laquelle est soumis l’employeur.
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